5 + 5 = Les disques préférés d’Arnaud Viviant

Après Rebecca Manzoni, c’est une autre voix de France Inter qui se prête au petit jeu du 5+5 de BENZINE : Arnaud Viviant. L’occasion pour lui d’évoquer quelques disques fétiches mais aussi des noms qui lui sont chers ainsi que des souvenirs.

Arnaud Vivant

Arnaud Viviant est journaliste, écrivain, critique littéraire au masque et la plume, et directeur de la revue Charles. Il sortira le 17 septembre un essai intuité « Cantique de la critique » chez La fabrique éditions.

5 disques du moment :

Silvain Vanot – On peut apporter son réel

J’ai rencontré Silvain Vanot au milieu des années 80 dans une salle d’examen d’Arcueil. On passait le concours de Normale Sup. On l’a raté. On s’est retrouvé en fac à Censier. Dix ans plus tard je diffusais ses maquettes chez Bernard Lenoir. Il fut signé chez Virgin. On connaît la suite. Durant le confinement, il a enregistré cet album instrumental au titre impérial qui, grâce à une souscription, va bientôt exister en vinyle. A l’écoute, j’ai pensé à Durutti Column, à Jah Wobble (que j’adore). Surtout, j’ai beaucoup pensé à Silvain.

Alex Rossi – Tutto va bene

Encore un vieux copain. On s’est connu au début des années 2000. On a beaucoup bu, ri. On a fait un groupe, des chansons, du kolkhoze rock. Je le surnommais l’Iggy Pop du micheldelpechisme. Quand j’ai vu Alex sur le plateau de C à vous, dont l’invité principal était ce jour-là Edouard Philippe (alors premier ministre) interpréter en play back sa joyeuse cochonnerie avec sa familia grande, je me suis dit que Dieu existait et qu’il était marrant comme tout.

Sugar – Copper Blue

J’aimerais interviewer Bob Mould. J’adore les trois premiers albums de Sugar. Si j’ai choisi Copper Blue, c’est que j’ai un petit rituel depuis 1998. A chaque fois que je fini un livre, j’écoute à fond le morceau « A good idea ». Et là, il se trouve que je viens d’en finir un, pas moins de huit ans après le précédent. « N’oublie pas d’écrire » disait la mère de Balzac à son fils. J’ai fait péter l’ampli.

Alexandra Roos – Prends-moi

Allez, encore du copinage. Nous sommes deux critiques à tenir Alexandra Roos pour la plus grande chanteuse française : Michka Assayas et moi. J’ai la chance de la connaître, d’avoir même travaillé avec elle. Seulement voilà : elle n’a jamais connu le succès et arrêté de chanter. Avec Prends-moi, sur des paroles de l’immense Gérard Duguet-Grasser, elle chante comme la Marianne des temps révolutionnaires. Elle a la rage d’or.

Floating Points, Pharoah Sanders & The London Symphony Orchestra – Promises

La tuile, quand j’y pense. Cela fait un moment que je tanne tout le monde avec Pharaoh Sanders. Et puis voilà que tous les hipsters de la Terre le découvrent avec ce disque de Floating Points avec le London Symphonic Orchestra. Mais c’est LE disque de l’année. Un écrin pour Sanders, dont le sax est ici tout puissant, parfois magnifiquement traité à la réverb’, et quand Sanders chante ou psalmodie, on est un summum d’une musique de chamane, complétement dégenrée et nullement dérangée de l’être.

5 disques pour toujours :

Miles Davis – Bitches Brew

J’ai lu sur Wikipédia que Georges Marchais avait demandé à ce qu’on diffuse Bitches Brew lors de ses funérailles. J’imagine la tête des hiérarques du Parti. J’adore cette période de Miles Davis quand il est sous l’influence de Betty qui a quand même quitté Jimi Hendrix pour lui. Betty Davis. Il suffit de l’entendre chanter pour comprendre comment elle a décoincé Miles. Tu vas arrêter de jouer Les Feuilles mortes, man… Un jour, j’ai fait l’amour en écoutant Bitches Brew. Eh bien, ce n’est pas du tout pareil qu’en écoutant Jean-Louis Murat.

Pharaoh Sanders, Live

J’ai récemment trouvé le vinyle chez mon disquaire de proximité (Le Silence de la Rue, 75012). Je l’ai offert à mon grand fils. Pour me remercier, il m’a donné deux albums de Idles dont le live au Bataclan. Petit con. Je ne pourrais plus vivre sans ce disque emprunté à la médiathèque de l’avenue Parmentier avec lequel j’ai découvert Sanders jusqu’à vouloir tout écouter de lui et dès lors découvrir tant d’autre chefs-d’œuvre. C’est un médicament pour moi, ce disque, qui me rappelle comment on doit vivre lorsque j’oublie. You’ve got to have freedom. Tu te dois d’être libre. Avec un solo de batterie au milieu, s’il vous plaît.

Serge Gainsbourg – Aux armes et caetera…

L’intersectionnalité à l’œuvre dans ce disque me fait toujours autant vibrer. Cette réplique française au God the save the queen des Sex Pistols, est en soi une idée de l’universalisme, un mot avec lequel l’Occident s’est beaucoup tripoté. La Marseillaise en reggae, même Karim Benzema la chanterait. Je suis pour l’entrée de Serge Gainsbourg au Panthéon.

Jacques Brel – Les Marquises

Il y avait quelques K7 dans la voiture de mon père qui nous ramenait tous les dimanches soirs d’Amboise à Tours :  Köln Concert de Keith Jarrett, mon Glenn Gould à moi ; Animals de Pink Floyd que je connais encore aujourd’hui par cœur, y compris les solos de David GilmourRicochet de Tangerine Dream ; Blue Moves d’Elton John, que j’écoutais rarement… Et Les Marquises de Jacques Brel. Aujourd’hui encore, je suis plus Ferré que Brel, mais mon amour pour la langue française me vient des toutes dernières chansons « à deux doigts d’êtres nues » de Brel.

My Bloody Valentine – Loveless

Ce disque, je l’emporterais sur une île déserte parce qu’il est lui-même une île déserte. Le premier dessin de Luz dans Les Inrocks représentait Kevin Shields chez le dentiste en train de taper la mesure avec le bruit de la roulette… Quand je vois toute la place que lui accorde aujourd’hui une nouvelle génération d’excellents critiques qui a eu la chance de découvrir MBV pendant l’adolescence et non pas à trente ans comme moi (à moins que ce ne soit l’inverse, je me demande toujours) je suis heureux.