« Incendie nocturne » : la précision, la complexité et le classicisme de Connelly

La qualité de la série télévisée que Michael Connelly a réussi à produire à partir de ses romans sur Harry Bosch est telle qu’on a pu oublier combien il était un grand auteur de romans policiers réalistes et complexes. Incendie Nocturne, qui sort en format Poche, nous le rappelle.

Michael Connelly
CREDIT: Ernesto Ruscio/Getty Images

A force d’aimer l’adaptation télévisée des enquêtes de Harry Bosch, produites par Michael Connelly lui-même, il nous faut bien avouer avoir laissé tomber les romans de l’auteur, dont nous savons bien qu’il ne nous offrira jamais plus un autre livre du calibre du Poète, qui date déjà de près de 25 ans !

Nos retrouvailles avec un Bosch définitivement vieilli, retraité sans les honneurs de la police qu’il a pourtant servi si longtemps, mais s’accrochant toujours, en dépit du bon sens, à la résolution – à titre personnel – de ces « cold cases » qui l’obsèdent, s’avèrent de fait assez déroutantes : rien n’a vraiment changé mais tout est différent, puisque Bosch agit désormais dans une quasi illégalité… ce qui rend d’ailleurs assez peu vraisemblables certains aspects de Incendie nocturne. L’alliance de Bosch avec une inspectrice aussi marginale que lui, Renée Ballard, ne vient pas arranger les choses de ce point de vue, même si elle permet à Connelly de nous offrir une nouvelle description – assez décourageante – des combines politiques internes au LAPD.

Incendie-nocturne couvertureMais si Incendie Nocturne, après un démarrage assez laborieux et en dépit d’une longueur conséquente, arrive à nous séduire, puis même à nous emporter dans sa puissante dernière partie, c’est que l’on y retrouve intacte la précision des descriptions du travail policier, cette sorte d’hyperréalisme « technique » que seul Connelly maîtrise réellement… Et, évidemment, la richesse de la construction de ses enquêtes. On ne compte ici pas moins de trois affaires principales sur lesquelles Bosch et Ballard travaillent, et ce sans même parler des différents faits-divers et incidents qui viennent se greffer dessus au fil des pages. Sans trop sacrifier au jeu désormais convenu dans le polar contemporain de faire se rejoindre ces enquêtes, deux d’entre elles vont effectivement converger, pour déboucher sur un final assez spectaculaire de confrontation avec un personnage « bigger than life », matérialisant l’irruption finale de la pure fiction dans le quotidien grisâtre du travail policier.

Mais ce qui est vraiment important ici, c’est que Connelly nous fait ressentir plus que jamais le foisonnement de situations, de drames humains, de personnages rencontrés ou simplement croisés, de victimes, de témoins, de coupables, qui constitue la vie quotidienne d’un policier dans une grande métropole contemporaine. Et le vertige que provoque initialement chez nous, pauvres lecteurs désorientés, cette accumulation de noms, de faits, de suppositions, couvrant plusieurs enquêtes simultanées, se mue, au fur et à mesure que nous progressons dans la lecture de Incendie nocturne, en une sourde excitation : petit à petit, nous entrons en résonnance avec le travail d’analyse et de réflexion de Bosh et de Ballard, pour déboucher en même temps qu’eux, non, à leur côtés, sur les mêmes conclusions… qui mèneront aux sanglantes confrontations finales. Et à un véritable plaisir pour nous… Un plaisir né de la précision des récits de Connelly, et du respect qu’il nous témoigne en évitant ces manipulations, ces coups de force, ces affreux « twists » qui ont envahi le thriller moderne.

Et si, plutôt que vieillir, Michael Connelly était en train de devenir un vrai… classique ?

Eric Debarnot

Incendie nocturne
Roman policier US de Michael Connelly
Editeur : Calmann-Lévy
576 pages – 8,70 €
Parution en format poche : 29 septembre 2021

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