[arte] En Thérapie, Saison 2 : les liens familiaux et l’inconscient collectif

En Thérapie fait son retour avec une saison 2 tout aussi bouleversante que la première avec pour trame de fond le traumatisme du premier confinement lié au Covid-19. Toujours porté par le grand Frederic Pierrot, la série pousse encore un peu plus loin l’exploration d’un monde méconnu, celui de notre psyché.

En Thérapie Saison 02
Copyright Manuel Moutier

Dès 1925, l’auteur autrichien Stefan Zweig perçoit dans son essai L’Uniformisation Du Monde un bouleversement en pleine germination, à savoir le gommage des aspérités d’une civilisation pour ne se trouver que face à une surface lisse. Fort heureusement, l’un de ses contemporains et amis, Sigmund Freud trouva comme un échappatoire possible à ce constat par l’émergence d’une science humaine nouvelle, la Psychanalyse. Cette exploration de l’esprit remettait l’unicité de l’individu au centre d’une cosmologie sans dieu. Pourtant, le monde dont nous sommes contemporains nous a bel et bien entraîné dans cette forme d’uniformisation qui se traduit et s’étend jusque dans les cercles culturels, intimes et politiques. Comme une pensée unique égocentrée, ethnocentriste, l’individu ne se voit plus et ne voit l’autre qu’à travers son seul regard. L’individu est devenu un consommateur compulsif de nourritures, d’objets culturels. Il y a quelque chose du troupeau dans cette propension panurgique de la société à investir telle ou telle proposition culturelle.

Le monde de la Série et ce que le streaming, à travers ses chaînes propose, a encore accéléré cet état des choses. Chaque fois se répand le bruit de la série qu’il FAUT regarder, qu’il FAUT avoir vu avec cette forme d’absence d’esprit critique, avec ce manque de recul sur la réalité de la qualité de l’oeuvre autoproclamée série de l’année. Il y a la saison  Le Jeu de La Dame, l’épiphénomène Squid Game, toutes ces oeuvres attirantes comme autant d’opium du peuple.  Rares sont celles qui viennent réellement nous interroger ou nous secouer dans nos certitudes. Years And Years récemment, Six Feet Under il y a déjà quelques années. Ces séries qui refusent le cliffhanger, qui ne privilégient jamais l’action mais plutôt la subtilité d’une psychologie ou d’un personnage véritablement incarné. En Thérapie,  cette adaptation de la série israélienne BeTipul par Éric Toledano et Olivier Nakache, est de ce niveau d’exigence. Pourtant, on n’aurait rien pu attendre des réalisateurs du pensum Intouchables.  Ce qui est sans doute la source de la réussite de cette série, c’est assurément quelque chose que l’on sentait en germe dans le cinéma du duo, un certain humanisme et une volonté de tendre vers leurs personnages une caméra sociale et nuancée. Ce qui nous avait déjà charmé avec la première saison de la série en 2021 se reproduit une fois encore dans cette seconde saison peut-être encore supérieure.

Car dans cette série, rien ne se produit ou plutôt tout se produit à l’envers des mots, au détour d’un regard. Le suspense n’a nulle place ici ou plutôt il occupe toute la place mais pas de ces suspenses putassiers à la Hitchcock qui prend en otage son spectateur mais plus un suspense qui s’appuie sur notre histoire de vie pour mieux nous permettre de décoder nos travers et ceux des personnages à l’écran. Le psychiatre Philippe Dayan incarné très justement par Frédéric Pierrot nous montre ce que peut être l’empathie dans son sens le plus précieux, le plus authentique. Cette capacité d’écoute qu’ont peu de gens, cette écoute donc sans projection, sans envie pour l’autre. La psychanalyse de Philippe Dayan ne tend pas à changer son patient ni à le soigner mais à prendre conscience des ruines qui le constituent, de ce que des ruines peut naître un autre soi.

On ne viendra pas raconter ici l’intrigue de cette saison car elle importe peu mais on pourra dire que la première époque s’appuyait sur le traumatisme collectif des attentats du 13 novembre, la seconde, elle, a pour toile de fond l’après premier confinement de 2020. Tout au long de cette série en huis-clos, court paradoxalement la notion du collectif. Pourtant lors de ces 35 épisodes, nous assistons la plupart du temps à des relations duales, j’ai failli écrire duelles. Mais l’inconscient se nourrit d’une histoire collectif, d’une suite d’interactions entre les êtres, d’inextricables noeuds qui se font et se défont au cours de la vie. Dans l’élaboration de la série, il y a également cette notion du collectif avec la présence à la mise en scène de grands réalisateurs. On pouvait voir les travaux de Pierre Salvadori  ou Nicolas Pariser sur la première saison, la seconde époque s’appuie sur les visions d’Agnès Jaoui, Emmanuelle Bercot, Emmanuel Finkiel et Arnaud Desplechin. On n’est pas près d’oublier le personnage d’Alain joué par Jacques Weber ou celui de Lydia incarnée par Suzanne Lindon, fille de… Aliocha Delmotte, dans le rôle du jeune Robin, fils de deux personnages rencontrés dans la première saison, est bouleversant de réalité et justesse.

Les visages finissent par tous se ressembler, parce que soumis aux mêmes désirs, de même que les corps, qui s’exercent aux mêmes pratiques sportives, et les esprits, qui partagent les mêmes centres d’intérêt. Inconsciemment, une âme unique se crée, une âme de masse, mue par le désir accru d’uniformité, qui célèbre la dégénérescence des nerfs en faveur des muscles et la mort de l’individu en faveur d’un type générique.

Stefan Zweig – L’Uniformisation Du Monde

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Copyright Manuel Moutier

Toute la force de cette série c’est qu’elle combat cette fameuse crainte d’une uniformisation du monde en montrant que l’unicité de l’individu doit être la grand loi morale fondamentale. En ces temps où l’on s’appuie sur une société du tout communication, jamais l’individu n’a su aussi peu communiquer ou dialoguer avec lui-même. Au fur et à mesure que les épisodes s’égrènent et s’enchainent, on prend conscience que la démarche psychanalytique n’est finalement qu’un monologue guidé.

La série est souvent touchée par de véritables moments de grâce comme cette évocation de La Toupie de Franz Kafka. D’une délicatesse infinie, En Thérapie évite tous les écueils d’une hypersensibilité, d’un pathos larmoyant pour tendre vers un indicible, vers l’inconnu qui sommeille en nous. Atteindre cette plénitude de l’esprit, cette rencontre avec cet envers de soi est une chose rare, c’est un peu comme distinguer dans l’un des Nocturnes de Gabriel Fauré cette phrase de la Sonate de Vinteuil, cet imperceptible message et lien entre ce moi du dedans et ce reflet dans le miroir, ce lien entre passé enfoui et présent, entre douleur et réconfort.

Charlotte Gainsbourg, sublime de fragilité contenue nous émeut comme rarement quand pendant ce temps-là, on voit Eye Haïdara dans le rôle d’Inès se débattre avec une malédiction  familiale. En Thérapie interroge tout autant les liens familiaux que l’inconscient collectif et ses représentations. Alors sans doute Stefan Zweig avait-il raison quand il parlait en 1925 d’uniformisation du monde mais le monde peut bien s’uniformiser autant qu’il le souhaite ou non mais l’individu, lui, l’être profond, l’être caché reste et restera unique et c’est le peu que raconte En Thérapie, une évidence peut-être pour certains mais une vérité à chérir sans aucun doute.

Greg Bod

 En Thérapie Saison  2
Série de Eric Toledano et Olivier Nakache
Avec Frédéric Pierrot, Charlotte Gainsbourg, Jacques Weber…
35 épisodes de 20 minutes environ
Diffusée à partir du 7 avril 2022 sur Arte