[Titre par titre] Emmanuelle Parrenin – Targala La Maison Qui N’En Est Pas Une

Bien plus que la figure mythique d’un chef d’oeuvre des années 70 avec Maison Rose, Emmanuelle Parrenin continue d’explorer les frontières du son au-delà des enjeux stylistiques et des étiquettes rassurantes, son Targala sorti il y a peu vient clore cette trilogie des maisons. A la fois complexe et limpide, ce disque nécessite peut-être quelques clés pour mieux en appréhender la richesse infinie.

© Philippe Lebruman

Certains disques finissent par nous lasser à force de vouloir nous dérouter, d’autres nous écœurent par trop de facilités employées. Les albums d’Emmanuelle Parrenin ne tombent jamais dans ces deux écueils, ils ont ce souffle de liberté qui irradie  dans le regard et dans le rire (malicieux) de cette dame, la liberté rime rarement avec la transparence, au contraire, la musique de la joueuse de vielle est pleine d’aspérités, de trompe l’oeil et de faux-fuyants. Se dérobant toujours à un intellectualisme forcené, l’appréhension de la composition musicale semble plus venir d’un territoire du corps, d’une forme de vibration première, d’une respiration sensuelle. Pour mieux investir cette nouvelle maison qu’est Targala, nous avons voulu en savoir plus sur l’élaboration de ces douze mouvements qui constituent l’ossature et l’ombre d’un disque à la fois secret, mystérieux et diablement attirant.

01.Targala

Quand je suis revenue du confinement dans le désert, pendant un moment, je n’ai pas pu bouger de mon canapé, je suis restée dans le silence. Quand le confinement s’est terminé, je suis allé chez Colin Johnco qui avait mis un micro dans ses toilettes, il m’a enregistré dans cette pièce nous avions enregistré les sanza au paravent, avec Neman qui avait joué avec des effets et Colin en a ensuite rajouté d’autres, et m’a dit de chanter ce que je voulais. J’ai presque crié sur cette chanson, cette voix raconte tout ce que j’ai vécu pendant un mois et demi dans le désert. C’est ce que Targala raconte  Mes seuls amis c’étaient les éléments, le sable, l’air et le vent.

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02.Maison Vide

 C’est encore une autre histoire. Avant Targala, la maison qui n’en est pas une, j’avais fait un autre disque dans de très bonnes conditions, j’avais payé un studio pour ce faire ainsi que le mixage, mais ce mixage a duré très très longtemps et au résultat je ne m’y retrouvait plus du tout ! Il y avait beaucoup d’éléments rajoutés cette musique m’était devenue étrangère, de plus la maison de disque n’en était plus une il n’y avait plus de distributeur il n’y avait plus d’accompagnement ! Je n’ai jamais sorti ce disque et il devait s’appeler Maison Vide pour clore la trilogie de Maison. Il y a normalement beaucoup plus de paroles, je n’en ai conservé que la première partie et la fin, j’ai fait un mix. Dans ce disque Maison Vide, il y a quand même treize titres et certains de ces titres sont repris sur Targala d’une manière complètement différente  Il y avait beaucoup plus de paroles,  Nous avions travaillé ensemble avec Flop et c’était un peu la suite de Maison Cube, ce n’était pas facile pour moi de prendre cette décision de ne pas le sortir, il y avait aussi de beaux titres mais ce n’était plus ma musique, Maison Vide est partie de cet enregistrement mais j’en ai fait tout à fait autre chose sur Targala. la venue de Gaspar Claus au violoncelle a aussi contribuée a ce changement, une fois encore c’est la matière sonore qui a pris le dessus !

,03.La Rêvelinière

 C’est l’endroit du village où habite mon fils. J’ai fait cette musique au coin du feu avec une épinette toute simple, je l’ai composé chez lui. C’est pour cela qu’elle porte le nom de son village. J’ai juste ajouté un accent circonflexe pour donner un autre sens et un autre son au nom.

04.N’attends Pas

J’avais commencé à mettre les paroles de ce morceau dans Duende qui vient plus loin dans le disque et puis j’ai retiré. C’est venue d’une balance que j’ai faite à la harpe, comme un balancement si vous voulez. C’était beaucoup plus naturel de mettre ces paroles sur cette musique que j’ai composée après.

05.Puise

 C’était une chanson qui était dans mon album avorté Maison Vide qui était devenue extrêmement sophistiquée dans sa première version. Au mixage, il avait rajouté plein d’éléments alors que c’est un morceau très simple. Puise, c’est un peu moi qui à force d’aller chercher m’égare.

06.Epinette Noire

 C’est venu d’improvisations et de bruitisme. On a un peu travaillé la matière ,saxes ,vielle, harpe, percussions se mêlent à l’épinette. J’ai eu toute une période où je me suis demandée si je laissais ce titre dans le disque car c’était beaucoup plus long et cela aurait presque mérité dans cette première version un disque entier. Cela me posait problème par rapport à l’ensemble du disque. Je me suis même un peu pris la tête et au bout du compte j’ai pris conscience que le titre trouvait sa place. J’exprime le côté noir de l’épinette dans ce titre. C’est un peu dans la lignée d’un titre comme Topaze sur Maison Rose. Sauf que Topaze, j’étais surtout à la vielle.

07.Entre Moi

 C’est un lien avec Maison Rose, je parle de la même personne et du même amour. Peter Combard qui est venu jouer la guitare acoustique, a joué en direct spontanément sans aucune répétition !

08.Le Chemin

 C’est une mélodie que j’ai faite au départ à la harpe et je n’avais pas du tout pensé à écrire un texte sur cette musique. J’avais déjà écrit quelque chose sur le chemin car c’est très présent chez moi dans ce que j’écris, du chemin qui parfois me mène et que parfois c’est moi qui le mène. Ces paroles sont venues après que la musique ait été composée. La musique peut amener le texte et le texte peut amener la musique, je n’ai pas un processus immuable en termes de composition. Je pioche des phrases ici et là comme je peux piocher des lignes mélodiques qui amènent les mots.

09.Duende

C’est plus une improvisation avec Eat Gas, Colin, Neman et Etienne Jaumet ; jai d’abord commencé à le composer essentiellement à la vielle utilisée comme paysage et matière sonore. Ce ne sont que des harmoniques où je tisse quelque chose et j’y rajoute une seconde vielle. Les musiciens m’ont ensuite rejoint, j’avais déjà mon idée et leur intervention a fait que je suis partie ailleurs.

Emmanuelle Parrenin – Targala, la maison qui n’en est pas une :  une oeuvre foisonnante et généreuse

10.Delyade

Il a quelque chose de commun avec Duende dans cette peinture sonore de la vielle, je suis encore partie sur des harmoniques et l’intervention de Philippe Foch aux percussions et au souffle a beaucoup apporté !

11.Dulcimer

Comme son nom l’indique, j’ai imaginé ce titre par le son du Dulcimer. Ce titre n’a pas été enregistré avec Eat Gas dans son studio, un sous-sol de cave. Je l’ai composé là et Eat Gas a rajouté un peu de synthé. Une fois enregistré, on l’a écouté chez Colin et Paulie Jean qui était là a apporté ce son étrange qui nous vient des profondeurs !

 12.Batisma

Il termine le disque mais c’est le premier morceau sur lequel on a travaillé ensemble avec Colin Johnco. Il est venu chez moi et dès la première fois, on a enregistré les bases de Batisma.

Cette suite de morceaux raconte une histoire, ils s’enchevêtrent les uns dans les autres mais c’est un peu comme une suite de mouvements. Nous avons travaillé sur cette narration, avec Colin, cela compte aussi beaucoup dans la création d’un album l’ordre d’un disque. C’est vrai que l’on peut percevoir Epinette Noire comme une charnière dans le disque qui se déclinerait en deux périodes qui montrent bien quelque chose que j’ai en moi, cette envie d’épure et cette envie de paysage sonore.

Emmanuelle Parrenin – Targala, la maison qui n’en est pas une
Label : Johnkôôl Records
Date de sortie : 18 mars 2022

Un grand merci à Marc Chonier pour l’organisation de la rencontre et bien sûr à Emmanuelle Parrenin pour sa grande disponibilité et sa gentillesse rayonnante.