« Chien 51 », de Laurent Gaudé : Pas très obéissant le toutou du futur

Laurent Gaudé transforme en or littéraire tout ce qu’il touche et la dystopie n’échappe à son alchimie. Avec Chien 51, son nouveau roman, il transcende le genre SF, abordant les crises sociales, migratoires, économiques et écologiques de l’époque sans tomber dans le pamphlet caricatural.

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©Jean Luc BERTINI / PASCO

C’est quoi comme maladie, la dystopie ? Il s’agit d’un pessimisme pathologique qui augure du pire pour aspirer au meilleur. Nos oracles n’ont pas le moral et anticipent les emmerdements. Chien 51, c’est Zem Sparak, un policier grec qui n’est pas au meilleur de sa forme. Son pays a fait faillite. Oui… encore. La dette de la Grèce est antique mais, ce coup-ci, accuser l’Europe de ses propres turpitudes et demander aux habitants de payer leurs impôts n’a pas été suffisant. Le climat n’a pas aidé. Avec les pluies acides et des chaleurs de rôtissoires dominicales avec un soleil qui chauffe plus que celui des Scorta, le touriste a eu moins envie d’aller danser le Sirtaki à Mykonos avec sa chemise ouverte en lin, un verre d’ouzo à la main. La Goldtex, multinationale gloutonne, sauvage comme une Amazone, a racheté le pays, privatisé les Hellènes, garçons et filles compris. Il ne faut plus parler de citoyens mais de Cilariés.

"Chien 51", de Laurent GaudéZem Sparak, dans sa jeunesse étudiante et révoltée, avait essayé de résister mais une répression sanglante avait anéanti le mouvement de protestation. Depuis, la population est répartie dans les 3 zones d’une mégalopole baptisée Magnapole.
Dans la première zone, une classe de privilégiés et de dominants, dans la seconde, la classe moyenne qui trime et qui consomme, et dans la troisième, c’est le remake de New York 1999 de John Carpenter avec sa cohorte de miséreux et sa violence. Zem Sparak officie dans ce no man’s land. Une loterie permet à certains chanceux de gagner le droit de changer de zone. Cela s’appelle entretenir le désespoir. Les checkpoints entre chaque zone sont plus hermétiques que les frontières de la Corée du Nord. Ce n’est pas la douane qui chasse la bouteille de Pastis et les cartouches de clopes à la sortie de l’Andorre.
La découverte d’un corps dépecé va troubler l’équilibre des forces et Chien 51 va devoir collaborer avec une inspectrice ambitieuse de la zone 2, parfaitement intégrée à cette société privatisée.
L’auteur nous projette dans un futur pas si lointain et à priori, faire pipi sous la douche, interdire les barbecues et baisser d’un degré la température du jacuzzi n’a donc pas suffi pour sauver la planète.

Si le roman reprend les recettes du héros fatigué, revenu de tout pour aller nulle part, le récit de Laurent Gaudé transcende le genre et je me suis laissé entièrement absorbé par ce polar de SF qui aborde les crises sociales, migratoires, économiques et écologiques de l’époque sans tomber dans le pamphlet caricatural. L’intrigue est une réussite, certaines idées sont vraiment originales comme le Loveday ou celle du dôme climatique et le dénouement peu prévisible. Cette escapade dans le lendemain n’a pas raturé le style très fluide du Goncourisé. Un auteur américain en aurait fait 300 pages de plus mais Laurent Gaudé sait aller à l’essentiel.
Pour un tel coup de cœur, il est difficile de trouver quelque chose à redire mais si je cherche la petite bête, je dirai que le personnage féminin manque un peu d’épaisseur par rapport à Zem Sparak et que l’auteur fait un peu trop l’impasse sur de potentielles évolutions technologiques et leurs conséquences. Je ne m’attendais pas à un remake de Star Trek ou à des combats au sabre laser, mais il est difficile d’imaginer un tel statu quo en la matière.
Dans cette rentrée littéraire, jusqu’à présent, je n’ai pas trouvé mieux mais je ne sais pas ce que me réserve le futur.

Olivier de Bouty

Chien 51
Roman de Laurent Gaudé
Editeur : Actes Sud
292 pages – 22  euros
Parution : Août 2022