[Live Report] Sigur Rós au Zénith : Ce qui se meurt, ce qui se vit

Seule la formation islandaise pouvait remplir deux fois la salle de la Villette autour d’une musique furieuse et contemplative. Une tournée anniversaire qui ne verse pas dans la facilité et ne nous ramène non pas à nos 20 ans, mais à un monde qui côtoie les étoiles.

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Sigur Rós au Zénith – Photo : Robert Gil

19h30 l’attente est fébrile, d’autant plus qu’aucune première partie n’est prévue. Fébrile car l’activité récente du groupe peut sembler chaotique par rapport aux standards actuels. Pas de nouvel album en presque 10 ans, le groupe se contentant de remixes (Von brigði), de vieilleries exclusives (l’excellent live Odin’s Raven Magic), de sorties solos (Jónsi revenant à l’attaque avec Shiver et ses compères avec Circe) et un single, Óveður, qui laissait pourtant entrevoir une belle ouverture électronique au rock tempétueux des Islandais.

Mais une blessure plus profonde se cache : en 2018 en effet, le batteur Orri Páll Dýrason est accusé de viol et se voit donc contraint de quitter le groupe. Un coup de massue pour la formation qui est contrainte de prendre une pause dans les apparitions live. En toute logique, Jón Þór Birgisson (Jónsi) et Georg Hólm reviennent donc avec un nouveau batteur et surprise, le retour du claviériste Kjartan Sveinsson (les cheveux grisonnants, nous rappelant que l’amour pour ce groupe n’est plus tout jeune).

2022-11-04-Sigur Ros Zénith Robert Gil 20h, les fans s’impatient de voir donc à quoi ressemble cette nouvelle formation et il faudra finalement prendre son mal en patience pour voir la scène se parer de rouge et les premières notes de Vaka commencer. Choix audacieux que de commencer avec un titre tant chéri des fans, qui aurait donc trouver toute sa place dans les derniers instants… mais la setlist est faîte d’habiles tours de passe-passe. Déjà, pour contenter l’audience, nous aurons droit à deux heures de show entrecoupées d’une vingtaine de minutes d’entracte le temps de recharger les pintes de bières (ou aller se jeter sur le merch anniversaire ou le surprenant kit de survie à base de thé et d’encens). Ensuite, cette tournée se place dans le cadre des vingt ans de l’album () mais, fait inédit, ne se compose pas uniquement des titres de l’album joués dans l’ordre. Si le show débute par le premier Untitled (Vaka donc) et finit par le huitième (Popplagið), il est aussi parsemé de nombreuses autres chansons du trio (quatuor ?). A noter d’ailleurs l’absence du 4ème morceau sans titre (Njósnavélin) pourtant l’un des meilleurs, et taillé pour le live. En effet tout les titres de cette album pourtant culte de 2002 n’auront pas l’effet escompté, et, en jouant entre voyages contemplatifs et envolées post-rock, on y perd forcément quelques spectateurs au passage.

C’est surtout le cas dans la première partie, bien plus calme, au cours de laquelle l’audience cherche à se rattacher aux tubes les plus connus, ceux qui redynamisent le concert. Comment en vouloir à tout un public qui a souvent découvert Sigur Rós par l’intermédiaire de films comme 127 heures, Ben X, La Vie Aquatique, Captain Fantastic et de séries telles Skins ou Sense 8, voire même de jeux vidéos, à l’instar de nombreuses bandes-annonces pour Dead Space ou Assassin’s Creed ? La musique des Islandais est idéale pour la synchronisation dans les médias et leur a probablement valu leur lettres de noblesse, au point d’en faire des icônes de la pop culture avec des apparitions dans Les Simpsons ou Game of Thrones. Naturellement, donc, certains morceaux sont plus attendus que d’autres, et l’audience, parfois venue de loin (on entend parler d’Angers par exemple), reste vite pantoise face aux instants plus laconiques, même si l’enchantement est toujours présent. Arrivés à l’entracte, on entend de-ci de-là des fans émerveillés par la prestation vocale de Jonsi et la scénographie composée d’une vingtaine d’ampoules, de longs câbles et 3 écrans, diffusant tantôt des clips officiels (rares chez le groupe), tantôt des images plus abstraites, issues par exemple du side projet Liminal.

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La seconde partie débute directement sur Glósóli, et se veut bien plus pêchue, comme une ode à la vie là où on avait jusqu’alors parcouru des chemins bien plus funestes. La batterie est bien plus présente (comme sur Gong) et la concentration de « hits » plus dense. Pas de surprise dans la setlist, puisqu’elle est la même déroulée dans toute l’Europe, mais c’est toujours un plaisir que d’entendre le tiercé final Festival, Kveikur et Popplagið. Alors le frontman se laisse totalement aller et interagit enfin avec le public pour essayer de chauffer une fosse qui, hésitant depuis le début entre tant d’émotions, ne va pas partir en pogo. Complètement habité, Jónsi en fera tomber son micro, micro qui ne lui aura servi à nous parler qu’une seule fois, en islandais, pour on suppose remercier toute l’équipe qui a fait un travail formidable (mais la surprise n’en sera que plus grande).

S’il fallait jouer au triste jeu du fan qui pointe les absences de la setlist, on regrettera que l’album Valtari soit complètement boudé, ou que des morceaux plus pop comme Ísjaki ou Gobbledigook n’aient pas trouvé leur place dans cette soirée magique. Magique et impeccable, car oui, Sigur Rós finit d’asseoir sa suprématie sur un genre complètement à part, à mi-chemin entre le post rock et l’ambient. Pas une seule fausse note pour des multi instrumentistes qui ne cesseront de varier les instruments sur scène, se réunissant parfois tous autour du piano pour Untitled #3 (Samskeyti), ou sortant les cuivres pour Rafmagnið búið. Et si les talents de chacun ne sont plus à démontrer (même le nouveau batteur ne démérite pas), c’est toujours Jónsi qui vole la vedette. Doté d’une voie incroyable qu’il laissera trainer plus d’une minute (!) sur Festival, dans une performance toujours aussi étonnante, et avec cette aptitude de faire sonner sa guitare de manière fantomatique grâce à un archet, l’homme fascine toujours autant : l’Intermission aura d’ailleurs été l’occasion pour beaucoup de néophytes de ce renseigner sur le lore incroyable qui entoure ce projet parfois chanté dans une langue imaginaire.

2022-11-04-Sigur Ros Zénith Robert GilLa scénographie participe clairement à la magie du show en jouant habilement de tout ses éléments, les vidéos contribuant élégamment à l’immersion dans les moments calmes et nous faisant aussi bien ressentir l’énergie solaire radioactive des plus beaux cliffs (Popplagið par exemple qui commence avec ce cheval en course pour ensuite finir en cendres). On ne peut alors que regretter encore plus l’absence des clips enchanteurs de Valtari (coucou Shia Leboeuf) ou la matière noire de Óveður et Ísjaki. Cependant, les oiseaux du très peu connu Untitled #9 (Smáskifa) balayent d’un revers tous les manquements. Concluant la première partie, le solo de piano et les voix en reverse résument bien le concert dans son entièreté : une expérience. De celles qui transcendent les simples thématiques de l’amour ou de la joie, mais vont explorer quelque chose de beaucoup de soit plus sombre, soit plus lumineux. Une musique au-delà des mortels, de la nature (qu’est-ce que la Nature après tout ?), hors du temps, qui nous suspend l’espace d’une nuit, voire même nous fait voler. Qu’on aurait aimé pouvoir s’allonger sur des tapis comme pour le précédent passage de Jónsi à la Villette aux Days Off Festival en 2019 avec son compagnon Alex Sommers, et combien on aurait aimé aussi la présence d’un orchestre comme pour leur prestation à la Philarmonie mais rien n’y fait. A deux, trois, quatre ou quarante, la musique de Sigur Rós résonne toujours profondément en nous. Elle remue la cage thoracique et fait vibrer ce qu’il y a de plus humain chez chacun de nous, qu’on veuille le voir ou non.

Et donc rien que pour ça, lors de l’ovation finale, ils méritaient bien le seul mot islandais que tout le public a appris depuis presque 20 ans, « Takk ».

Texte : Kévin Mermin
Photos : Robert Gil