Rose Tiger – Act II: The Ascent : En attendant l’opéra

Parlons peu, parlons bien. Ou, autrement dit : parlons EP, parlons glam. Rose Tiger dévoile le second acte de son opéra rock, The End Forever, dont la sortie est prévue pour début 2023. Quatre nouvelles chansons qui sentent fort l’eyeliner et les paillettes. Miam.

© Lucas Donaud

J’ai un master en glam rock. Dit comme ça, l’effet est un peu celui d’une blague lancée en fin de soirée pour décrocher quelques gloussements avinés, mais je vous promets que ce n’est pas une simple boutade pour socialiser entre deux verres. Enfin, pas seulement. Étant ce que l’on appelle couramment un millenialllllll (oui, parfaitement, avec sept L), je n’ai pas eu le plaisir d’habiter une planète où Marc Bolan, Freddie Mercury et Jobriath faisaient partie des vivants. Je n’ai pas connu Bryan et Brian (respectivement Ferry et Eno) à l’époque où ils bossaient ensemble. Le monde qui m’a vu grandir, post-bug de l’an 2000, était bien différent. Le Bowie que je voyais parler à la télé était un quinquagénaire, certes diablement sexy, mais apaisé et hilare. Les New York Dolls n’étaient pas encore reformés et Alice Cooper n’était plus un band depuis belle lurette, mais un chanteur de hard rock à guillotine. Steve Harley avait une tête de prof de math et Lou Reed de prof de litté (selon ses propres dires). Iggy était effectivement passé par la pop (Blah Blah Blah), mais aussi le métal (Beat ‘Em Up) et le spoken word (Avenue B), était devenu copain avec les Rita Mitsouko et Houellebecq, se préparait à ressusciter les Stooges et à reprendre Joe Dassin (Après). Les détonations les plus glitterisées de la période étaient celles d’échos nostalgiques, comme l’éblouissant Velvet Goldmine de Todd Haynes ou Marilyn Manson en alien à strass pour le clip de The Dope Show.

Pourtant, s’il y a un style musical dans lequel je peux me considérer expert, c’est bien le rock androgyne à platform boots pailletés, objet d’étude vers lequel je me suis tout naturellement dirigé le jour où nos profs de master eurent l’imprudence de mentionner que nos mémoires de fin d’études pouvaient porter sur « des sujets culturels ». Il y a des perches qu’il vaut mieux éviter de me tendre. Quelques années et une bonne centaine de pages plus tard, j’étais finalement titulaire d’un diplôme de master, presque uniquement grâce à Bowie et ses potes. J’aurais du mal à rationaliser cette obsession autrement qu’en concédant avoir été biberonné à Ziggy, Transformer, Roxy et autres clebs diamantés par mes parents qui, au final, n’écoutaient pas que ça non plus. Si je devais fournir une explication plus fouillée, j’invoquerais la valeur hautement post-moderne de la chose. Après tout, qu’est-ce que le glam rock, sinon une glorieuse confusion des genres (dans les deux sens du terme), dont la fantaisie aura permis de réinventer toute une cosmologie musicale, amalgamant son et image comme presque aucun autre style ne l’avait osé… sinon peut-être le rock n’ roll au sens large ? Car le glam rock, comme John Lennon l’avait si justement remarqué, ce n’est jamais que du rock n’ roll avec du rouge à lèvres. En cela, le glam transcende les générations, les modes et les mouvements. Ses enfants sont la new wave, le gothique et le punk. Oui, le punk. Rappelez-vous. Mick Jones était membre du fan club officiel de Mott The Hoople. Les Damned avaient fait leur première tournée nationale en ouvrant pour T.Rex. C’est un concert des New York Dolls au Mercer Art Center de Manhattan qui décida Johnny Ramone, Richard Hell et Tom Verlaine à créer leurs propres groupes. En parlant des Dolls, justement, une certaine Patti Smith avait déjà mis le pied à l’étrier en lisant ses poèmes en première partie de leurs concerts. Et aussi, La Les Paul de Steve Jones appartenait originellement à Sylvain Sylvain. Le seul concert londonien des Stooges période Raw Power, avec Iggy en pantalon argenté, peroxydé et maquillé, se fit devant un minuscule public de jeunes fans, parmi lesquels Joe Strummer, Brian James, Siouxie Sioux et John Lydon. Ce dernier auditionnera d’ailleurs pour les Pistols en chantant I’m Eighteen d’Alice Cooper. Coïncidence ? Sûrement pas. Le glam porte les germes du punk, donc, mais pas uniquement. Dans tous les Young Dudes chantés par Ian Hunter et Bowie, se trouvaient des gosses comme Robert Smith, Peter Murphy, Adam Ant, Joe Elliott, Morrissey, Simon LeBon, Boy George, Billy Duffy ou Michael Stipe. Le tas de paillettes était finalement un sacré bac à sable.

 

© Lucas Donaud

Si le glam semble depuis avoir un peu disparu de la scène, c’est surtout parce qu’il est disséminé aux quatre vents, comme autant de sequins qui ne brillent que sous la bonne lumière. Il n’est jamais loin quand on creuse un peu. Dans la mode, dans le cinéma, chez Lady Gaga ou chez Marilyn Manson. Chez Katy Perry quand elle sort les guitares bisexuelles sur I Kissed A Girl, chez Mika quand il singe Freddie sur Grace Kelly et chez Queens Of The Stone Age dès que Josh Homme folâtre en falsetto (autrement dit, souvent). Et, apparemment, chez Rose Tiger, dont le petit nom se prête déjà bien au sujet, vous en conviendrez. Pourtant, il semblerait que le virage soit récent. Après avoir trôné aux fûts pour Jehnny Beth, Serpent et Adrien Gallo, Cyprien Jacquet avait fondé Rose Tiger sous le signe de la synthpop rétro, version 8-bit et néon violacé. Est-ce son expatriation londonienne qui l’a décidé à remonter un peu plus loin le fil des décennies ? Peut-être. Officiant désormais sous le masque de son alter-ego Wendy Killman et flanqué de Domi Hawken et Irene Gonzalez, il s’est donné pour projet de signer un opéra rock riche en glitter et en mascara. Le genre d’entreprise qui, à titre personnel, me fait forcément dresser les deux oreilles avec la vigueur d’un lévrier flairant un pâté de foie. L’album, intitulé The End Forever et divisé en trois actes, sera distillé en autant d’EPs avant une sortie compilée prévue pour le début de l’année prochaine.

 

© Lucas Donaud

L’acte I, The Shallows, avait éclos au printemps, et c’est un vent d’automne qui nous amène à présent l’acte II, The Ascent. La structure interne de ce nouvel EP est identique à celle de son prédécesseur. Un instrumental éponyme servant à la fois d’intro et d’outro pour encadrer quatre chansons, parmi lesquelles un single au redoutable potentiel de séduction. Après Abby’s Song sur l’acte I, voici donc Camelia, ritournelle accrocheuse qui tortille du cul avec beaucoup de grâce, servie par une batterie au cordeau et des mélodies infectieuses. Le chant de Killman trahit ponctuellement son accent français, mais il est légitime d’arguer que cela ajoute à la théâtralité de l’interprétation. La chanson The End Forever passe la vitesse supérieure sur un piano fifties escorté de guitares seventies (pensez Saturday Night’s Alright For Fighting d’Elton ou Star de Bowie, ce genre-là). Automatic doit énormément à Gary Numan (genre, vraiment beaucoup, allez écouter Metal et vous comprendrez), ce qui n’est pas pour déplaire. When You’re Here fait la part belle à la voix de Domi sur des guitares minimalistes et une basse bourrée d’effets, un contraste qui permet aux mélodies vocales de se frayer un passage très direct vers notre mémoire à long terme. Si l’on devait dresser des comparaisons actuelles, l’actualisation de cette esthétique rétro évoque Art D’Ecco en plein trip cinématique, ou MNQNNS préférant T.Rex à Depeche Mode. Sans avoir l’excentricité savamment calculée du premier ni la froideur martiale des seconds, le son habilement aguicheur de ces nouvelles chansons finit bel et bien par nous intriguer. Il va sans dire que nous reparlerons de l’album lors de sa sortie, puisqu’il figure désormais parmi nos attentes pour 2023. Le rendez-vous est pris, et nous n’aurons pas trop de quelques mois pour choisir quoi porter le jour J. Tous à vos paillettes !

Mattias Frances

Rose Tiger – Act II: The Ascent
Label : Upton Park
Sortie : 4 novembre 2022

2 thoughts on “Rose Tiger – Act II: The Ascent : En attendant l’opéra

  1. Petit coucou de rédacteur à rédacteur. De mon côté l’élément déclencheur de la découverte du Glam fut le moment où, après s’être trimballé Raw Power et un Best Of de Lou, un type de ma classe s’était trimballé le disque qui allait changer ma vie en devenant la bouée de sauvetage de mon adolescence : Louder than bombs. Mais hélas les Smiths étaient séparés depuis deux ans. Pour compenser j’ai commencé un peu à prospecter les groupes dont ils se réclamaient. De plus, Bowie rééditait son oeuvre en CD bourrés de bonus l’année suivante : allez hop, achat… et achat du docu Ziggy Stardust de Pennebaker (jusque là Bowie c’était pour moi Let’s Dance, son seul album à avoir marché en France). Le courant devint un de mes favoris du rock anglais avec le punk.

    Sauf que j’ai pu quand même conjuguer le Glam au présent: 1) Ian Hunter+Bowie aux choeurs et au sax+Mick Ronson+Queen reprenant à Wembley All the young dudes pour le concert tribute à Freddie diffusé sur M6. 2) L’arrivée en 1992 de Suede qui nettoyait au Karcher les rockers regardant leurs pompes (shoegaze) et les pantalons baggy mancuniens à coup de glamour androgyne. Ils furent pour moi la consolation d’être arrivé trop tard pour le Glam et les Smiths. Et en dépit de leurs influences leur énergie et leurs thèmes étaient ceux de l’Angleterre de leur époque. 3) La même année Morrissey prenant totalement son envol solo avec le très glam Your Arsenal alors décrié par les Inrocks. 4) La découverte lors d’un concert aixois de Blur de la tournée Parklife du très glam For Tommorrow.

    Sinon dans l’héritage contemporain du Glam tu oublies Do I wanna know? dont le riff et le tatapoum pourraient tout à fait être applaudis platform boots au pied. Pour Rose Tiger, j’attends l’album mais pour le moment je n’accroche pas trop: parce que le souvenir du concert de Roxy est encore trop récent?;)

    Bonne journée.

    1. @Ordell Robbie
      Mes excuses pour cette réponse tardive, cher collègue. Ton commentaire me restait fermement à l’esprit sans pour autant que je puisse formuler un retour pertinent. Pour ma part, j’ai toujours perçu les Smiths comme un groupe aux références si vastes que le glam n’était au final qu’une de leurs facettes parmi tant d’autres (même si le maniérisme de Moz doit presque autant à Bryan Ferry que le riff de Panic à Metal Guru). En revanche, la présence de Ronson aux manettes de Your Arsenal rendait la connexion immédiatement évidente. Heureusement, les Inrocks disent parfois des conneries, eux aussi. La postérité aura bien prouvé à quel point l’album est chouette.
      Je dois avouer n’avoir jamais songé à Do I Wanna Know? sous l’angle glitter, mais il est exact que l’ampleur de la baston rythmique justifie la question. Je pense que je classerais l’affinité Bowiesque d’Alex Turner du côté de la soul chatoyante de Young Americans ou de la posture arty de Station to Station plutôt que de Ziggy, Aladdin et Halloween Jack. Dans un genre voisin, je retiens par contre Shoot The Runner de Kasabian ou Boys Wanna Be Her de Peaches. Dans le second exemple, le fond rejoint d’ailleurs la forme.
      Je suis curieux de découvrir ce que Rose Tiger proposera une fois l’album dévoilé dans son entièreté, mais je confesse un ressenti plus conflictuel au sujet des concerts récents de Roxy. Il s’agit de mon groupe européen fétiche, ni plus ni moins, mais je n’arrive à pas ignorer que la voix de Ferry accuse un sacré coup dans l’aile et j’ai du mal à écouter leur répertoire transposé vers le bas pour accommoder son âge. J’étais déjà mitigé sur la prestation du Rock & Roll Hall of Fame de 2019, mais c’était surtout une frustration liée à l’absence de Paul Thompson. J’ai l’impression que cette reformation arrive avec un peu trop de retard pour être tout à fait dynamique. Cela n’enlève rien à leur discographie parfaitement exemplaire, ni à leur héritage somptueux, et je demeure extrêmement envieux de ton expérience live de la chose :)

      Toujours un plaisir non-dissimulé de parler paillette et chiffon lamé *_*

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