Dans Andor, Tony Gilroy explore ce bref moment de la chronologie de la Guerre des Etoiles précédant à la fois le Rogue One de 2016 dont le show est le préquel et le premier Star Wars de 1977. Il nous offre une nouvelle série bien plus subtile et plus réussie aussi que ce à quoi Disney nous avait habitués.
Depuis le rachat des droits de Star Wars par Disney, le géant de la vidéo à la demande semble bien décidé à explorer chaque recoin encore non explicite de l’histoire des trois trilogies des “Skywalker”. Après le Mandalorien situé dans la foulée du Retour du Jedi, après les aventures de Boba Fett, chasseur de primes du vilain Jaba, après la jeunesse de Han Solo, après la traversée du désert de Obi Wan Kenobi, voici évoquée la naissance de la rébellion et l’apparition de personnages dont les films cinéma, nous ont appris l’importance pour la réussite des aventures de Luke Skywalker contre Papy Vador.
Le résultat est toujours l’occasion pour les fans de se replonger dans les planètes et dans les rapports tragiques que leur ont appris à apprécier les 3 trilogies, mais pour le critique il n’est jamais simple d’avoir à y constater le caractère un peu dispensable des narratifs proposés. Quand l’âme de l’enfant des années 80 se heurte à la réalité du critique des années 2020.
Et de fait, les 3 premiers épisodes de cet Andor font craindre le pire. A-t-on vraiment envie, ou besoin, de suivre le préquel du commando de Rogue One ? De savoir où et comment vivait le pilote qui risquera sa vie plus tard pour permettre à la rébellion de mettre en place une partie de sa plus rusée tactique pour remporter la victoire contre l’Empereur Darth Sidious ?
« Encore une série pour les fans ou accumuler des abonnés », ai-je été tenté de penser au bout du premier épisode. Il est vrai aussi que le critique de 2023 en moi oublie toujours, dans son envie d’en découdre avec le géant de la VOD, que toute la saga Star Wars a porté, au fil des ans, l’usage de la production virtuelle et le traitement des décors ou des arrières plans, au rang d’art visuel évoluant avec son époque. Et qu’en soi, les FX sur Star wars sont une prouesse méritant à eux seuls de susciter l’envie de regarder n’importe quel opus. Pourtant, je reste toujours très critique avec les scénarios, soucieux qu’ils ne dénaturent pas mon plaisir d’enfant.
A cette pulsion initiale acerbe se substitue l’étonnement. Petit à petit, on se rend compte que, en partant du personnage de Cassian Andor, la série va nous offrir ce qui est sans doute l’adaptation la plus “réaliste” du quotidien des habitants des galaxies, alors que l’Empire resserre son étau sur les populations et que progresse à la fois l’oppression sous le joug de Sidious mais aussi l’idéal politique des barons noirs de la Rébellion.
Soudain, quelque part au troisième épisode de Andor, je me rends compte que le showrunner Tony Gilroy a vraiment pris le parti de proposer les didascalies de la Grande Histoire de Star Wars, par le prisme de la petite. La caméra filme les “sans dents” de l’Empire. Les Philippe Rickwaert révolutionnaires à l’ombre des étoiles ont enfin leur série. Comme si Gilroy avait entrepris de composer une réponse télévisuelle, trente ans plus tard, aux questionnements barrés du duo le plus slacker de toute l’Amérique cinématographique en 1994, évoquant alors la triste vie des ouvriers de l’Empire décimés par les foufous de Skywalker et sa clique.
(voir ci dessous l’extrait de de Clerks les employés modèles)
Andor, avant de raconter l’histoire de Cassian Andor (Diego Luna), 5 ans avant les événements de Rogue One, donne une vision Zola-ienne de l’épique. La série évolue à niveau de soudeurs, de contractants, de services de sécurité privés, d’épavistes sous traités par l’Empire, ou de fonctionnaires de la norme, de petits capos et de basses comptabilités du micro-pouvoir.
Une fois qu’on comprend (il faut quelques épisodes) que le sujet réel est là, et non uniquement dans la narration des prémices d’une vie de pilote de fusée dédiée à la réussite de la rébellion, la série, filmée majoritairement en prises de vue réelles, gagne en intérêt jusqu’à frôler l’indispensable.
L’efficacité est dans la petite histoire des interstices de la triple trilogie. Elle qui affiche de manière flagrante comment les 12 épisodes filmiques évitent scrupuleusement toute intrusion de “la vraie vie” dans la tragédie homérique, hormis par l’irruption de vagues tavernes ou cantinas interlopes. Andor montre la crasse d’une ville minière, la difficulté de joindre les deux bouts sous l’Empire, le bling bling d’une riviera de riches, les allées et magasins de ce Coruscant qu’on n’arpentait que par les airs dans les trilogies, (qui laissaient pourtant un décor propice à ces petits histoire des marginaux de l’épopée).
Puis, moins sociale et plus politique, la série aborde comment l’Empire étouffe les germes de révolte et asservit les populations de peu de biens. Comment le manque de moyens financiers conduit à la prison aussi parfois, dans des scènes qui ont des résonances toutes contemporaines avec la France de 2023.
Et c’est seulement après qu’elle s’attache à relater la vie d’Andor, qui semble servir de fil rouge à ces pérégrinations dans les recoins sociaux de la tragédie.
Andor est aussi fait d’une galerie de second rôles passionnants et construits comme la somme de plein de facettes, même si on ne les croise que quelques minutes ou quelques épisodes : la vie dédiée à lutter contre l’injustice de Maarva Carassi Andor (Fiona Shaw aperçue dans Killing Eve notamment), la mention spéciale à Andy Serkis dans le rôle de Kino Loy, détenu à quelques semaines de la remise de peine, ou le jeu subtil de Stellan Skarsgaard en maître d’œuvre des destins, sorte de Darth Sidious du bien. La série arrive à créer une épaisseur narrative et un fond à chacun des personnages qu’on y croise. Andor n’est-elle pas ainsi la première série Star Wars qui aborde aussi la question LGBT+ dans les étoiles ?
Andor devient assez rapidement addictif et se hisse largement au dessus des séries précédentes qui devaient plus à leurs effets spéciaux qu’au plaisir narratif poussif.
En matière de direction d’acteurs, les réalisateurs tirent parti de la la capacité de jouer dans un environnement qui ne soit pas fait que de fonds verts. Les échanges sonnent vrais même quand ils sont totalement irréels. D’ailleurs, il y a peu de non humanoïdes au premier plan dans cette série à hauteur d’homme. Avec Andor on voit des Tie Fighters à basse altitude qui font frémir les frondaisons des arbres (effet « wow » pour les gamins des eighties), oui. Mais on voit aussi les ouvriers qui meurent avec des lasers qui blessent, ou les doutes d’un soldat de l’Empire en garnison à l’autre bout de la galaxie, qui a perdu la femme qu’il aimait. Cassian Andor lui même, n’est pas un héros monolithique comme peut l’être Luke Skywalker, par comparaison. Il doute, il est parfois au plus bas, parfois plus enclin à remplir son frigo qu’à figurer parmi les héros des sagas stellaires. Réaliste ?
Le mix de tous ces ingrédients positifs finit par donner une série stellaire de haute tenue. Subtil mélange d’acteurs qui semblent heureux d’incarner leurs personnages, avec une narration largement moins fine que le papier à cigarettes auquel l’univers nous a habitué. Script malin et tirades parfois philosophiques. Etude de mœurs et levée de certains mystères entretenus pendant plus de trente ans sur le monde du travail et les rapports de pouvoir au sein de l’Empire… Le tout abordé par le fil rouge d’un des héros par lequel tout sera rendu possible.
Andor est à mes yeux la première vraie réussite « complète » d’une série Star Wars produite par Disney, mêlant l’univers enfantin et SF à des réflexions plus adultes qui passent sans aucune indigestion ni poncif disneyien. A découvrir sans hésiter. Je pense qu’il n’est même pas vraiment nécessaire d’avoir vu les trilogies ou Rogue One pour l’apprécier. Il suffit d’imaginer une chronique de la vie quotidienne d’une Galaxie après qu’elle a basculé d’un régime parlementaire à un régime totalitaire, et s’y laisser guider par le talent de conteur du showrunner qui fait une sorte de “Mystères de Ferrix” comme Eugène Sue écrivait en 1842 les Mystères de Paris.
Denis Verloes