Mozart Estate – Pop-Up! Ker-Ching! And The Possibilities Of Modern Shopping : folie parfaite !

Ne cherchez pas plus loin le chef d’œuvre pop de 2023, il est sorti le 27 janvier, et ridiculise la concurrence passée et à venir. Espérons seulement que ce grand retour de Lawrence (ex-Felt), toujours aussi barjot, ne sera pas accueilli avec la même indifférence que ses albums précédents !

Mozart Estate - Photo : Laura Ghezzi
Photo : Laura Ghezzi

« I’m gonna wiggle with you cuz you get me / I’m gonna wiggle like a drug mule’s itch / … / I’m like a fish on a hook with a twitch » (Je vais me tortiller avec toi parce que tu me comprends / Je vais me tortiller comme un passeur de drogue que ça démange / … / Je suis comme un poisson accroché à un hameçon qu’on secoue) (I’m Gonna Wiggle)

L’impressionnante ouverture de Pop-Up! Ker-Ching! And The Possibilities Of Modern Shopping, le premier disque de Lawrence sous le nom de Mozart Estate, amènera forcément le sourire aux lèvres de tous les fans de Sparks, dont nous sommes, du fait d’une parenté musicale qui saute littéralement aux oreilles : le type de mélodie, l’hystérie sous-jacente, les paroles drôles et absurdes à la fois, et même la manière de chanter évoquant, avec un peu moins de virtuosité, la voix de Ron Mael… on est ici sur un terrain connu. Celui de la haute virtuosité mélodique – de la pop « classique » dans toute sa splendeur -, mais aussi de l’étrangeté, du décalage permanent, du baroque, voire même d’une sorte de folie douce qui tranche brillamment avec 99% de la musique qu’on peut entendre de nos jours.

Mozart+Estate+Pop-Up!La suite de cette scintillante affaire confirmera heureusement tout cela, sans jouer la carte de la copie conforme, les similitudes avec Sparks n’apparaissant plus, et c’est heureux, qu’à l’occasion (Lookin’ Thru Glass, délicieusement rétro, aurait toute sa place sur Indiscreet !), tandis qu’on trouvera sans peine une multitude de références autres, des Kinks de Ray Davies aux tous débuts de Squeeze, en passant par tout un pan de la culture populaire et télévisuelle britannique des années 70, pour ceux qui sont férus de ce genre de choses (les peu connus Chas’n’Dave et leur rock’n’roll burlesque peuvent venir aussi à l’esprit…).

Mais le plus important, au-delà des références, c’est bien l’absolue excellence de chacune (oui, sans aucune exception !) des 16 chansons qui composent les 40 minutes (à une seconde près, Lawrence est un puriste, et il sait que 40 minutes est la durée idéale de tout bon album de pop music) parfaites de cet Pop-Up! Ker-Ching! And The Possibilities Of Modern Shopping (et oui, vous avez bien remarqué que c’est un titre qui rime !).

Relative Poverty est un titre déjà connu de ceux qui suivent Lawrence depuis ses débuts, injustement obscurs avec Felt (un groupe pop magnifique et méconnu programmé par Lawrence pour composer 10 albums en 10 ans et se dissoudre ensuite). Sorti en 2018 sous le nom de Go-Kart Mozart, sur l’album Mozart’s Mini-Mart, le triste constat politique établi par Lawrence sur l’état de la société britannique est encore plus pertinent maintenant que les conséquences du Brexit étouffent les classes moyennes : « I’m living in relative poverty / A-wop-bop-a-loo-la / A tenner a day / Take a look at shop doorways, curled up on the floor / You’ll see men with no future, they were wiped out in the war / The British top brass won’t do bugger all / I don’t know what’s going on any more » (Je vis dans une pauvreté relative / A-wop-bop-a-loo-la / Un billet de dix livres par jour / Regarde les portes des magasins, recroquevillés par terre / Tu verras des hommes sans avenir, ils ont été balayés par la guerre / Les hauts responsables britanniques ne feront rien pour eux / Je ne sais plus ce qui se passe). Comme quoi, derrière l’ironie absurde, se cache (à peine) une conscience prolétaire qui rapproche définitivement Lawrence de Ray Davies.

S’il fallait qualifier la forme musicale principale de cet album, disons qu’il s’agit souvent ici d’une électro-pop primitive (pas si loin finalement de ce que Metronomy a voulu faire, sans y parvenir aussi joliment que Lawrence, sur certains de leurs albums). Mais ce serait trop réducteur, puisqu’il y a, on l’a dit, plus qu’un peu de la variété anglaise pré-Beatles, voire même une douceur orchestrale bon marché qui rapproche une chanson comme Flanca For Mr Flowers de certaines bizarreries de The Divine Comedy.

Poundland ressemble à un jingle publicitaire ressuscité d’un monde englouti (l’après-seconde guerre mondiale ?) où le shopping semblait le meilleur chemin vers le bonheur. Four White Men in a Black Car, plus menaçant, et en dépit de, ou grâce à sa brièveté (1 minute 51 secondes parfaites), réintroduit un soupçon de guitare électrique dans cette affaire fantaisiste, et pourrait bien s’avérer notre titre favori. I Wanna Murder You prouve que l’on peut écrire une chanson de pure haine recouverte de sucre glacé (« Slip some poison in your tea / Spray some nerve gas on your front door key / Ah, they’ll never know it was me / Slide a knife across your skin / Chop you up then put you in the bin / I tell you murder is not a sin » – Glisser du poison dans ton thé / Vaporiser du gaz neurotoxique sur la clé de ta porte d’entrée / Ah, ils ne sauront jamais que c’était moi / Glisser un couteau sur ta peau / Te Couper en morceau puis les jeter à la poubelle / Je te promets que le meurtre n’est pas un péché). Dans un genre bien différent, un titre comme Pink and the Purple, autre faux slogan publicitaire, devrait être obligatoire dans tous les karaokés de la planète.

On sait que Lawrence est plus qu’un peu affecté par le manque de reconnaissance dont souffre son génie (on le serait à moins), et son ressentiment apparaît çà et là dans ses textes, comme dans When the Harridans Came to Call : « I said to my girl / Do not throw my stuff away / Cuz it’s gonna be worth a fortune / Be valuable one day / It’s gonna be worth a heap of cash / Like the love you threw away » (J’ai dit à ma copine / Ne jette pas mes affaires / Parce que ça vaudra une fortune / Sois précieux un jour / Ça vaudra un tas d’argent / Comme l’amour que tu as jeté).

Honey, balade bouleversante au piano, prouve aussi que lorsque Lawrence arrête de faire le clown, il peut nous toucher en plein cœur, et que sa voix, qui passe à travers tous les styles au fil de l’album, est magnifique. Record Store Day est le second titre déjà connu, de l’album, et nous remettra ensuite directement de bonne humeur, comme un hymne glam rock à notre amour au Rock des années 70 et 80 et au vinyle (« Record Store Day (John Peel) / Record Store Day (Mark E Smith) / Record Store Day (Rough Trade) / We’re gonna make a record and put it out on Record Store Day » – traduction inutile…).

Et ces quarante minutes qui resteront très certainement les plus littéralement « perchées » de 2023 se referment sur deux chansons aussi fantastiques que littéralement idiotes, Doin’ The Brickwall Crawl (une invitation à une danse débile) et Before and After the Barcode, délire magistral qui pose un vrai problème par rapport aux albums promis cette année par The Lemon Twigs et par Sparks : ils ont un sacré défi à relever pour même atteindre le niveau de Pop-Up! Ker-Ching! And The Possibilities Of Modern Shopping !

Eric Debarnot

Mozart Estate – Pop-Up! Ker-Ching! And The Possibilities Of Modern Shopping
Label : Cherry Red Records
Date de sortie : 27 janvier 2023