« Fred Astaire, la haute société du spectacle » : du côté de la transcendance

Si Fred Astaire est, de l’avis de la plupart des adeptes de la comédie musicale « classique », le plus grand danseur jamais filmé, on peut compter sur Timothée Gérardin pour nous livrer un bon nombre d’analyses à la fois originales et saisissantes sur le talent de l’homme au chapeau haut de forme…

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Fred Astaire dans « Top Hat » – Copyright Editions Montparnasse

« Si [Gene] Kelly est du côté de l’immanence, (…), [Fred] Astaire se place du côté de la transcendance » : c’est grâce à des phrases comme celles-ci, qui clarifient de manière étonnante tout ce qu’on a toujours ressenti devant le travail des deux plus grands danseurs du cinéma US (et on regrette que Michael Jackson ne soit pas devenu star de cinéma, on aurait aimé avoir l’avis de Timothée Gérardin sur lui…), que Fred Astaire, la Haute Société du Spectacle, nous conquiert.

Après, même si la lecture de ce nouvel ouvrage de la belle collection Playlist Society est un véritable ravissement pour le cinéphile – il s’agit au moins du même niveau, du point de vue puissance de l’analyse, que les deux précédents ouvrages de Gérardin (Christopher Nolan, la possibilité d’un monde, Cinémiracles), on peut malheureusement se demander s’il reste suffisamment d’aficionados de la grande comédie musicale classique pour assurer le succès du livre en librairie…

Fred Astaire Playlist SocietyMais foin de considérations bassement mercantiles, et savourons plutôt les différentes approches de Gérardin sur l’Art d’Astaire : la façon dont il a su gérer, en les faisant converger dans ses films, ses talents exceptionnels de danseur, de chorégraphe – voire d’une certaine manière – de réalisateur, et d’acteur ; la mise en valeur de signes distinctifs qui n’appartiennent qu’à lui comme garantie de son statut de star « supérieure » ; la position très particulière du « travail », de l’effort, à la fois omniprésent dans son œuvre et à la visibilité pourtant inacceptable ; son goût pour l’illusion et l’animation quasi fantastique des objets… Et puis, même si Gérardin se permet de façon assez discutable, de dédouaner Astaire en lui prêtant – sans nous convaincre totalement – une volonté de laisser à ses partenaires féminines un espace de liberté, une célébration, bien typique de l’époque, de la domination de l’homme sur sa proie, la femme, que l’on séduit, manipule et trompe à l’envi… Chacun de ces thèmes est superbement développé, en s’appuyant bien entendu sur des scènes emblématiques des films les plus connus d’Astaire. A noter à ce sujet l’idée simple mais efficace d’inclure dans le livre des QR codes à flasher, qui permettent au lecteur de vérifier de visu les analyses de Gérardin !

S’il est néanmoins une théorie qui nous laisse dubitatifs (mais c’est bien là la marque d’un ouvrage qui pousse son lecteur à réfléchir), c’est bien le cadre général du livre, qui veut que Fred Astaire soit lui-même, avant tout et de manière consciente / volontaire, un pur produit commercial, symbolique d’une société industrielle en plein développement, où le Marketing et la Publicité commencent à régner… Enfin, vous verrez vous-mêmes ce que vous en pensez !

En attendant, et ce n’est pas le moindre mérite de Fred Astaire, la Haute Société du Spectacle, nous voilà en le refermant avec l’envie de revoir Top Hat, Yolanda et le Voleur ou Tous en Scène !

Eric Debarnot

Fred Astaire, la haute société du spectacle
Essai français de Timothée Gérardin
Playlist Society
118 pages – 14 Euros
Parution : 24 janvier 2023