[Live Report] Will Sheff et Flora Hibberd à la Boule Noire (Paris) : « It’s not even close to alright! »

On était heureux de retrouver notre cher Will Sheff, désormais dépouillé du nom d’Okkervil River, surtout dans le cadre intime de la Boule Noire. Malheureusement, son choix d’abandonner la subtilité musicale de son nouvel album au profit d’un gros Rock à guitares a un peu gâché le plaisir…

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Will Sheff à la Boule Noire – Photo : Robert Gil

Encore un dilemme presque insoluble ce soir : un nième concert des formidables Stranglers, désormais privés de l’indispensable Dave Greenfield, ou bien le retour de Okkervil River réduit à Will Sheff, ou plutôt de Will Sheff qui ne se cache plus sous le pseudonyme de son ancien groupe ? On a opté pour le confort plus intime de la Boule Noire, et pour la promesse habituellement tenue par Will de belles émotions.

Détail amusant, ce soir l’entrée de la Boule Noire, non protégée par les traditionnelles barrières, est bloquée par la foule très jeune et très nombreuse attendant pour le concert de J9ueve à la Cigale. Un grand plaisir que de converser avec ces jeunes passionnés de musique, tellement enthousiastes à l’idée de voir une de leurs idoles sur scène : la musique, sous toutes ses formes, a encore de bien beaux jours devant elle, surtout dans sa forme la plus passionnante, le live !

2023 03 11 Flora Hibberd Boule NoireC’est à 20h20, pour cause d’une ouverture des portes retardée de 30 minutes par rapport au programme, que la Londonienne devenue parisienne Flora Hibberd débute son set de 30 minutes. La grande force de Flora, c’est sa voix, grave, à la fois inhabituelle, impressionnante et extrêmement touchante. La faiblesse du set, ce sera par contre une certaine uniformité de l’interprétation, que Flora s’accompagne à la guitare acoustique ou à la guitare électrique. Tous les morceaux sont a priori de nouvelles compositions, à l’exception de Night, Perpetual, extrait de l’album Hold datant de 2021 : il est intéressant de comparer la version enregistrée du titre, beaucoup plus vivante, à celle interprétée ce soir. Flora avait-elle le trac (elle paraissait très tendue) ? Ou bien traverse-t-elle une phase « négative » ? Avant d’interpréter Crater Lake, elle s’est retenue de nous conter une anecdote sur la création de cette chanson, en nous disant : « De toute façon, c’est chiant… » ! Bref, malgré les applaudissements nourris d’un public visiblement conquis, on a eu le sentiment d’une artiste – clairement très, très douée – qui était sur la retenue, qui ne se livrait pas. Ce n’était sans doute pas la bonne soirée.

21h10 : Will Sheff est accompagné sur cette tournée d’un trio guitare, basse, batterie, composé d’amis et anciens complices de l’époque Okkervil River (en tenant compte de l’absence béante, bien entendu, de l’ami Travis, ex-batteur, disparu en 2020). Lui-même se tiendra une grande partie de l’heure et demie de son concert derrière un minuscule clavier, officiant de temps en temps à la guitare acoustique, et laissant un maximum d’espace à son guitariste soliste, exubérant et spectaculaire.

2023 03 11 Will Sheff Boule Noire RGLe set débute exactement comme on aime avec Will et Okkervil River, par une version bouleversante de Nothing Special, magnifique chanson sur le deuil : « Sit by my side, so close / And I’ll tell you all I know / I don’t mind if you’d like to repeat / It’s time to say it’s done » (Assieds-toi à mes côtés, tout près / Et je te raconterai tout ce que je sais / Ça ne me dérange pas si tu veux que je répète / Il est temps de dire que c’est fini). Ça enfle peu à peu, la mélodie est très semblable à celles des meilleurs morceaux d’Okkervil River, c’est merveilleusement beau. Impeccable ! On se prépare à une autre soirée pleinement satisfaisante avec Will Sheff

… sauf que dès, le morceau suivant, le set prend une direction inattendue, celle d’un gros rock US qui tache, bien loin de la sensibilité délicate de l’album de Will : c’est cool d’avoir un gros son de guitare, mais est-ce bien pertinent ? Surtout que Will va se mettre à littéralement « brailler » sur plusieurs morceaux, poussant sa voix délicate vers le cri… Assez désagréable, et surtout absurde par rapport à une démarche que l’on avait comprise sur l’album comme une sorte d’adieu au « rêve rock’n’rollien ».

Et quand Will fait une remarque désobligeante sur les « rappers » jouant à côté, à la Cigale (« Je suis furieux d’avoir oublié d’apporter ma boîte d’auto-tune… »), on ne peut guère souscrire à ce point de vue méprisant, typique d’un boomer. Allons, Will, tu es plus intelligent que ça !

Le set alternera des titres de l’album Nothing Special et des reprises d’Okkervil River, forcément bien accueillies par le public de la Boule Noire. Mais il alternera surtout de beaux passages intimistes (In The Thick of It, The Spiral Season) qui n’arriveront pourtant pas à retrouver la magie de l’introduction du set, ni celle de l’album, et des moments très bruyants qui se feront de plus en plus intenses au fur et à mesure que la soirée avance. Si Black, sans batterie et avec deux guitares sèches, est intéressant, on se serait bien passé des duels de guitare sur Like The Last Time ! La version interprétée ce soir du dynamique et positif (malgré son texte : « It’s not alright, it’s not even close to alright ! ») Down Down the Deep River sonne plus comme un standard country de bas étage que comme l’hymne d’un groupe jadis extraordinaire.

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Même traitement « rock » des trois titres de Okkervil River qui constitueront un rappel jouant beaucoup trop sur l’excès : si For Real débute superbement en version solo dépouillée, il est vite déséquilibré par l’irruption du groupe. Plus Ones, divin, rattrape le coup et serait une fin parfaite pour nous réconcilier avec Will, mais non, ils ont décidé de nous laisser sur un No Key, No Plan bien lourd…

En nous quittant, Will nous confie que le set de ce soir a été le meilleur de la tournée. On veut bien le croire, mais le plaisir n’a malheureusement pas été totalement partagé. Bref, nous avons assisté à l’un des moins bons concerts de Will et son Okkervil River. Heureusement, il y a eu au cours de cette heure et demie suffisamment de beaux moments où nous avons retrouvé la ferveur d’autrefois pour ne pas nous inquiéter.

Et son album, Nothing Special, est si beau… !

Photos : Robert Gil et Eric Debarnot
Texte : Eric Debarnot