Après la croisade de HMLTD contre le ver géant Albionophage, d’inquiétantes rumeurs parlent d’une Australie en proie à un dragon géant assoiffé d’huile de moteur. Quel héros doit-on implorer ? Crocodile Dundee ? Mel Gibson ? Rupert Murdoch ? Le clan Hemsworth ? Pourquoi pas le Roi Gésier et son fameux Sorcier Lézard ? Lézard vs lézard, fuck yeah! Aux grands maux les gros mots.
Le metal est un genre qui nécessite beaucoup de distorsion, et Dieu (ou Satan) sait que c’est plutôt bon marché par les temps qui courent. Question crédibilité, en revanche, c’est moins simple. On ne compte plus les groupes qui, sous une étiquette extrême, touillent un potage pop (Bring Me The Horizon, Falling In Reverse et autres Asking Alexandria) ni ceux qui, à l’inverse, demeurent dans des ténèbres aussi denses que leur son (Vous aurez peu de chances de croiser Sunn O))) aux Grammy Awards). Entre ces deux extrêmes, le panel est flou. On a beau admirer l’ambition tortueuse d’un groupe comme Behemoth, on trouvera toujours une part du public chevelu pour les traiter de poseurs. Que dire de Metallica, tête couronnée du Big Four US, peu à peu devenue une enseigne vendue au kilo en grande surface ? Que penser du métal symphonique chanté par des sopranes en costumes de piratesses elfiques ? Le paroxysme de l’intégrité métallique consiste-t-il à se munir d’une meuleuse sans fil et d’un dictaphone analogique pour capter l’ultime râle d’agonie d’un agneau anorexique dans une église en flammes ? La réponse à ces questions cruciales convoque un raisonnement ayant déjà mis de l’ordre dans les débats éthiques d’un lointain cousin du metal : le punk. Plus encore qu’une idéologie ou un état d’esprit, le punk est une exécution, une grammaire, un langage qui perdure quand on en fait usage. En d’autres termes, la meilleure façon de juger de l’efficacité d’une recette est tout simplement de mordre dans le sandwich. Mordons, donc.
À force de faire tout et son contraire, les Aussies de King Gizzard & the Lizard Wizard sont forcément amenés à se répéter un peu. Attention, ce n’est pas un reproche, mais une évidence logique. Il y a des terrains sur lesquels on aime qu’ils reviennent, comme ceux du psychédélisme et du jazz rock à rallonge. Et d’autres qu’on espérait les voir fouler à nouveau, comme celui du metal, justement. En 2019, Infest the Rats’ Nest marquait la première incursion du groupe au pays du wattage pour headbangers. Après avoir chatouillé l’idée du bout des doigts sur quelques unes de leurs réalisations antérieures, King Gizzard livraient un thrash volcanique et charnu, embrassant les codes du genre avec une passion qui contrastait notablement avec leur second degré si souvent assumé. Là encore, ce n’est aucunement un reproche, bien au contraire. L’album à la pochette osseuse était rapidement devenu l’un de nos favoris personnels de leur pléthorique discographie, à la fois pour sa réelle qualité et pour son statut si singulier. Il aura donc fallu attendre quatre ans pour entendre le groupe reforger de la ferraille. Quatre ans, soit une éternité. Pour certains, c’est le temps qui s’écoule entre deux albums. King Gizzard, eux, en ont sorti neuf dans l’intervalle. PetroDragonic Apocalypse; or, Dawn of Eternal Night: An Annihilation of Planet Earth and the Beginning of Merciless Damnation (oui, sérieusement) est leur vingt-quatrième opus en une douzaine d’années de carrière ; et, surprise (ou pas), il rivalise largement avec son frère aîné.
On démarre avec le bien-nommé Motor Spirit. Les riffs claquent et la batterie fait une entrée fracassante avec un break virtuose, annonçant la couleur dès les premières mesures. Une fois n’est pas coutume, félicitons le batteur avant toute autre chose. Michael Cavanagh abat un boulot dantesque sur l’intégralité du projet, prouvant que la trépanation au pistolet à clous et le sprint thermonucléaire figurent parmi ses compétences. Fidèle à ses marottes, le groupe amorce un débrayage de cadences en cascade, passant d’un thrash speedé à un jungle beat biscornu sur fond d’harmonies mystiques, avant de relancer la baston par de nouveaux bourrinages protéiformes. Et la voix, dans tout ça ? King Gizzard compte en ses rangs plusieurs chanteurs compétents, mais il faut bien reconnaître qu’aucun d’entre eux n’est véritablement transcendant ou reconnaissable, ce qui limite parfois la portée de leur travail. Or, dans le contexte d’un metal bourru et bourrin, ces déficiences n’en sont plus vraiment. Au contraire, on apprécie d’entendre les micros éructer comme un seul homme, au point de ne plus différencier les différents participants. D’un strict point de vue sonore, on pourra regretter que le mixage de la basse soit un peu timide en comparaison du reste de l’instrumentation. Cernée par des guitares bouillonnantes et une batterie diabolique, la quatre-cordes est parfois en retrait, même si l’on reste heureusement bien loin d’un scénario catastrophe à la …And Justice for All. Ça ne veut pas dire que c’est idéal, mais on s’en accommode sans mal.
Supercell fleure bon la graisse à pistons façon Motörhead, étalée en tartine sur une biscotte prog où la batterie ne débarque jamais comme on l’attend. Nouvelle illusion rythmique jouissive avec Converge, qui retape la carlingue fumante de Slayer pour y insérer subrepticement le genre d’énorme shuffle stoner dont Kyuss avaient breveté la science au début des nineties. Witchcraft est sans doute la composition la plus « Gizzardesque » du menu en présence. L’ADN du groupe est déployé dès le thème d’introduction, évoluant naturellement vers les circonvolutions rythmiques bien barrées qu’on pouvait en espérer. Gila Monster est un bon gros machin heavy et rampant, de ceux que Metallica ont cessé d’offrir après le Black Album. À quatre minutes et quarante-cinq secondes, c’est aussi la composition la plus brève de ce nouvel opus, permettant de faire circuler le sang avant un double dessert final. Dragon et Flamethrower, deux titres qu’on a l’habitude de lire aux dos des albums de métal, mais qui ont rarement autant fait honneur à leurs noms. Avoisinant chacun la dizaine de minutes, ils offrent un dernier acte fumant et délirant à l’album. Dragon détonne en rafale comme les Melvins propulsés par les amphétamines de Motörhead. Les soli fusent sans jamais tomber dans l’outrance masturbatoire et la section rythmique encaisse implacablement chaque irrégularité du terrain. Flamethrower débaroule sur une cadence thrash qui renverrait presque à Megadeth, tourbillonnant jusqu’à un point de fusion où le chœur de Motor Spirit refait surface alors que les riffs se muent en boucles électroniques grinçantes.
https://www.youtube.com/watch?v=BjW57yLJVbY&ab_channel=cobarchives
Le groupe a d’ores et déjà annoncé un prochain opus pensé comme le « yang » synthétique du « yin » metal de Petrodragonic Apocalypse. En attendant, ce nouvel album permet de prouver que Infest the Rats’ Nest n’était pas une simple coquetterie de parcours et que les métalleux les plus sceptiques auraient grand tort de se méfier de King Gizzard & the Lizard Wizard. À noter, également, la présence d’une piste bonus de quatorze minutes sur la version vinyle, portant les quarante-huit minutes de la version standard à plus d’une heure pour l’édition physique. Une composition ouvertement cinématique, dépourvue de batterie et de riffs, menée la présence en guest de Leah Senior pour un spoken word du point de vue de la bête, détaillant la transformation d’un animal de compagnie en kaiju apocalyptique, personnification d’une nature vengeresse décimant l’humanité damnée. Le post-apo rugissant et énervé de Petrodragonic Apocalypse nous rappelle donc que l’Australie est autant la patrie de Midnight Oil que celle de Mad Max. Un seul et même carburant pour deux usages bien différents, mais qui, si l’on se fie à King Gizzard & the Lizard Wizard, ne sont absolument pas incompatibles.
Mattias Frances