Meiko Kaji – Hajiki Uta : La vengeance est un plat qui se mange froid. Elle se chante aussi

Mieux vaut tard que jamais. Le label français Wewantsounds a décidé de se pencher sur la carrière de chanteuse de Meiko Kaji, légende absolue du cinéma japonais des années 1970. En commençant par le réédition de son excellent premier album.

elle s'appelait scorpion photo
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Il m’est difficile de débuter un article sur Meiko Kaji sans évoquer les circonstances de ma découverte de l’actrice et de la chanteuse. Achat en 2000 du DVD américain d’Elle s’appelait Scorpion en pleine période de grosses découvertes cinéphiles asiatiques seventies. Un film qui m’apprit qu’il avait pu exister au Japon des films d’exploitation visuellement audacieux s’occasionnant même des embardées surréalistes. Et il y avait bien sûr Meiko Kaji, son mutisme, son regard plein de détermination vengeresse dans le rôle de Sasori. Meiko Kaji qui chantait sur la BO, notamment ce Urami Bushi que l’on retrouvera dans les Kill Bill. Un morceau résumé de son personnage de cinéma, une cousine nipponne des durs à cuire solitaires vus du côté du western et du polar américain : « Shinde hanami ga, sakuja nashi Urami hito-suji, ikite-yuku Onna, onna Onna inochi no… Urami bushi » (Aucune fleur ne fleurira sur mon cadavre. Je vais donc vivre ainsi accrochée à ma rancune. Femmes, ô femmes. Ma vie de femme fait partie de mon chant du ressentiment.).

 

Lady snowblood photo
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Peu de temps après, découverte dans un import anglais au transfert pourri de Lady Snowblood dans lequel son personnage de Yuki était en mission vengeresse dans un Japon de l’ère Edo au chaos moral, à l’agitation contestataire pas si éloignés de Japon des années 1970. O Ren Ishii portera dans le Volume 1 le kimono et le sabre de Yuki, dans une ambiance enneigée reprenant celle du début du film. Et une chanson chantée par Kaji dans Lady Snowblood, The Flower of Carnage, sera réutilisée dans la séquence mentionnée. La caution du cinéaste cinéphile à débit de mitraillette donnera à Kaji un surcroît mérité d’exposition en Occident. Elle tourne nettement moins depuis la fin des années 1970, et plutôt pour la télévision que le cinéma. Son dernier album date en revanche de 2018.

hajiki uta meiko kaji pochetteLe label français Wewantsounds a décidé cette année de se pencher sur sa carrière de chanteuse, en rééditant cinq albums datant du début des années 1970. Sorti en 1973 sur le label Teichiku, Hajiki Uta est le premier d’entre eux. A cette époque, les studios de cinéma pour lesquelles elle travaillait avaient décidé d’exploiter sa popularité en lui faisant enregistrer des albums liés à ses personnages de cinéma. Des albums ne s’inscrivant pas vraiment dans les grandes dynamiques musicales de son temps. Tendances qui furent en partie décrites par Julian Cope dans le livre Japrocksampler: How the Post-war Japanese Blew Their Minds on Rock ‘n’ Roll. Des liens entre le rock et le théâtre expérimental, un développement des scènes de rock progressif et de Metal. Une scène folk rock fut notamment incarnée par Happy End, dont on entend le morceau Kaze wo Atsumete dans Lost in translation. La scène musicale japonaise commence à s’emparer des synthétiseurs, ce qui culminera en fin de décennie avec YMO et Ryuichi Sakamoto.

L’album serait plus proche d’une certaine pop/variété anglo-saxonne sixties à arrangements très travaillés. Le titre d’ouverture Mekono Futebushi est une variante d’Urami Bushi auquel le seul ingrédient rajouté serait un peu de guitare légèrement saturée en ouverture. Les cuivres débarquent ensuite avant que guitare et cordes ne concoctent une progression d’accords proche du morceau mentionné. Plus douce dans son ton, la ballade Wara no Ue mêle guitares acoustiques, basse en retrait et clins d’œil au thème de Bond.  Onna Somuki Uta reste dans la veine du début de l’album avant qu’Hizumi Moe ne mêle un rythme latino à des cordes, un peu de wah wah et des cuivres jazzy. Onna Kawaki Uta est un auto-recyclage écoutable mais pas génial de la mélodie de Sounyu-ka Onna no Jumon (qui sera évoqué plus loin) avec quelques notes d’Urami Bushi en fin de morceau. Onna Agure Uta est une balade mêlant accordéon, guitare vaguement saturée et arrangements de cordes.

Le petit coup de mou Hitori Kaze ouvre la Face B. Il est suivi du plat de résistance Sounyu-ka Onna no Jumon. Un morceau entendu dans Elle s’appelait Scorpion au moment où les prisonnières courent dans la forêt avant d’atteindre une barque. Cordes sensuelles et xylophone en retrait font merveille accompagnées d’une petit touche d’orgue. Reprenant ponctuellement une des progressions d’accords de ce morceau, Betuni Doutte Koto Demo Naishi vaut pour son ambiance jazzy. Les ballades Nigori Onna et Kanashiku Naikara Fushiawase sont de bonne facture même si à ce stade la formule de l’album semble s’user. Mais l’album se finit par son second Everest : Urami Bushi, sa superbe introduction de basse, sa trompette qui n’aurait pas dépareillé dans un duel de western spaghetti, ses petites touches hispanisantes de guitare. Un album dont on peut saluer in fine la cohérence en dépit de la participation de cinq arrangeurs.

L’initiative de Wetsounds ne peut qu’être encouragée par les cinéphiles passionnés de tueuses asiatiques au caractère bien trempé… et par ceux et celles qui voudraient découvrir la musique populaire nippone des années 1970.

Ordell Robbie

Meiko Kaji – Hajiki Uta
Label : Wewantsounds
Date de sortie : 5 mai 2023