Tous les albums de Bowie : 10. Pin Ups (1973)

Emballé dans une pochette iconique se dissimule le premier album « problématique » de la discographie de Bowie : le glam rock de Bowie sonne creux, artificiel, les chansons reprises ici ont perdu leur âme. Mais c’est exactement là le concept de Pin Ups

Pin Ups Image

Ziggy vient de commettre son rock’n’roll suicide, et Bowie réfléchit déjà à sa prochaine persona, sans les Spiders mais surtout sans Mick Ronson : sa séparation d’avec son guitariste sera une décision difficile à avaler pour une partie des fans, tant le talent de Ronson est immense, et peut être perçu comme un composant essentiel du triomphe de Ziggy Stardust. Et c’est bien d’ailleurs la raison pour laquelle Bowie se sent obligé de s’en séparer !

Mais avant de disparaître à tout jamais, Ziggy va faire un dernier tour de piste, avec Pin Ups, album d’hommage, plutôt que de reprises au sens traditionnel du terme, à l’une des périodes les plus flamboyantes du jeune rock anglais, celle du Swinging London, jusqu’à la naissance du psychédélisme. Celle que Bowie considère comme avoir inspiré la musique de Ziggy, et qui lui permet de crédibiliser le glam rock avant de l’abandonner définitivement, en en exposant, presque de manière théorique, les racines.

Pin Ups rectoLa photo de la pochette sera iconique : Ziggy et Twiggy « the Wonderkid », masqués par Pierre Laroche, sont d’une beauté sublime mais d’une vacuité terrifiante. Sur la galette, les Spiders partent en sucette, après l’annonce-surprise faite par Bowie à l’Hammersmith Odeon, et avec le départ du formidable Woodmansey, remplacé par l’efficace Ainsley Dunbar. La musique sonne incroyablement « creuse », artificielle, sans plus rien de l’âme des morceaux – pour beaucoup, légendaires – ici repris. On peut dire que c’est exactement ça le concept, transformer des chansons « de chair et de sang » en « pin ups » de papier glacé… mais quelle frustration !

Pin Ups est un disque de grandes chansons : Them, les Who, les Pretty Things, les Kinks, les Yardbirds, le Pink Floyd de Barrett, les choix de Bowie sont imparables. Mais ces grandes chansons sont traitées par Bowie avec le genre d’égards que l’on réserve aux cadavres lorsqu’on les maquille et les habille pour les rendre présentables à la famille : personne ne peut aimer Pin Ups, il faut le reconnaître, en dépit de qualité du travail du croque-morts qu’est Bowie.

Pourtant, à première vue, Bowie semble chanter en y mettant le plus de cœur possible. Pourtant, on peut dire que, avec The Man Who Sold the World, il s’agit là de l’album de plus « Rock » de Bowie. Et pourtant, quelque chose résiste quand même, çà et là, au traitement cruel qui est réservé à la musique : puisqu’il s’agit seulement de faire défiler pour un dernier tour de piste les fantômes d’un passé qui a compté, mais qui n’est plus, la conclusion sur le Where Have All The Good Times Gone? des Kinks sonne parfaitement juste. Et ce n’est pas non plus une coïncidence si les deux meilleurs titres de l’album sont Friday On My Mind des Easybeats et Sorrow popularisée par The Merseys : deux groupes qui ne sont pas passés à la postérité, deux chansons sans histoire, sans destin, que Bowie peut plus facilement faire siennes, et grimer en morceaux proto-glam.

Pin Ups versoAcceptons donc que le Bowie que nous aimions, le Bowie intense, sensuel, brillant d’intelligence n’est pas vraiment là, sur Pin-Ups, il ne fait qu’essayer des tenues clinquantes, chacune pendant moins de 3 minutes. Il imite (singe ?) les artistes originaux, il prend la pose, il s’imagine une dernière fois dans ce Londres coloré et superficiel auquel il va très vite – dès l’album suivant – tourner définitivement le dos. Tiens, si le smartphone avait existé en 1973, on imagine très bien que Bowie aurait fait un selfie de sa composition sur chaque chanson. Parce que tout cela n’a absolument aucune, mais aucune importance…

… Et pourtant, c’est peut-être, vu d’aujourd’hui où l’on connaît toute l’histoire jusqu’à la fin, l’un des disques de Bowie qui en dit le plus long sur lui, sur ses ambitions, sur son rapport avec la Musique, sur sa vision de son destin et son Art.

PS : Attention néanmoins de ne pas faire l’erreur d’acheter une version de cet album incluant les covers de Brel et de Springsteen stupidement rajoutées par la maison de disques : quel que soit l’intérêt de ces versions – et on a le droit de les apprécier – elles dévoient totalement le concept de Pin-Ups !

Eric Debarnot

David Bowie – Pin Ups
Label original : RCA
Date de sortie originale : 19 octobre 1973

13 thoughts on “Tous les albums de Bowie : 10. Pin Ups (1973)

  1. Bonjour, je pense qu’il était inutile de parler du départ de Mick Ronson puisqu’il joue encore sur ce disque ! A vous lire il n’était plus là. D’autre part le morceau « Sorrow » que j’aime beaucoup n’est pas une reprise de The Merseys, même si ces derniers l’ont bien popularisée en avril 1966, mais de The McCoys qui date de octobre 1965.
    Bonne continuation tout de même pour cette rétrospective d’un grand artiste.

    1. Merci pour ton commentaire. Je comprends tout à fait ton point de vue, et du point de chronologique, c’est exact. D’ailleurs Trevor Bolder est lui aussi encore là. Je me réfère à des choses que j’ai lues, laissant entendre que continuer sans les Spiders – et sans Ronson – était déjà acté dans l’esprit de Bowie au moment où il « suicide » Ziggy à l’Hammersmith Odeon. Pin Ups est plus un dernier geste en faveur des fans et de son ancien groupe qu’un album de « nouvelle » musique. Tout au moins c’est comme ça que je le vois… Sans prétendre avoir raison, bien entendu ! En tous cas, on va continuer le travail sur Bowie, qui est un véritable géant de la musique du XXeme siècle. On a prévu de chroniquer plus d’une quarantaine de disques, en incluant pas mal de live, il y en a donc pour plusieurs mois encore. Dans l’attente de tes prochains commentaires !

      1. Je suis aussi d’accord avec vous sur l’explication du futur départ de Mick Ronson car cela confirme ce que j’avais également lu. Par contre vous ne répondez pas sur la paternité de la reprise de « Sorrow »…

        1. Pardon Sylvie. Vous avez parfaitement raison sur la paternité de Sorrow, je vais modifier mon texte, merci.

      2. @Eric @PENTEL Sylvie
        Il est possible que ce soit exact. Ronson fut apparemment le seul membre des Spiders à avoir été mis au courant du fameux « suicide » à l’avance. L’entourage du groupe à cette période s’accorde généralement sur le fait qu’il avait pris cet ultime projet d’enregistrement très à cœur, comme une tentative de poursuivre la collaboration avec Bowie pour le faire changer d’avis. Il est vrai que si Pin Ups avait été un triomphe, le sort des Spiders From Mars aurait pu s’en trouver dévié.
        (C’est mon grain de sel, désolé, je suis obsessionnel et monomaniaque dès qu’il s’agit de Ronson ^^)

  2. Et un drôle de son pour cet album pacotille de 73 qui sonne vraiment plus récent que la plupart des production de cette époque. Bizarre, vous avez dit bizarre ? Un son très moderne pour des reprises sixties. Cela contribue à sa dimension superficielle et kitch je trouve.

    Belles photos au demeurant. La photo la plus célèbre de Twiggy alors qu’elle était en fin de carrière. Sorrow, I can’t explain et Where Have All The Good Times Gone ? surnagent dans le lot.

    Album enregistré au château d’Hérouville en même temps que deux reprises par la chanteuse Lulu des chansons, The Man Who Sold the World et Watch That Man, qui valent le détour. Bon sortis aussi du studio de Michel Magne, Low et The Idiot avec Iggy sont bien plus forts, originaux et marquants.

      1. merci à toi de te lancer dans cette épopée pop….dommage qu on ne puisse plus commenter les premiers disques.

        1. Je ne savais pas qu’on ne pouvait plus les commenter, je vais voir pourquoi.

  3. Un album très banal et un peu ringard aujourd’hui de reprises assez quelconques de l’époqu et où Bowie n’apportait rien de plus aux originaux et encore on nous avait épargné le ridicule Amsterdam…

  4. Bonjour à vous,
    je m’excuse d’insister mais je constate que malgré votre engagement vous n’avez toujours pas remis la paternité originale au morceau « Sorrow » dans votre article. Vous constaterez que je suis la question (rire).
    Cordialement.

    1. J’ai corrigé le texte en précisant que le titre avait été « popularisé » par The Merseys. Je n’étais pas persuadé que c’était une information capitale de préciser la paternité originale…

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