[Netflix] Sanctuary saison 1 : grincheux et shikos

Dans chaque région que la plateforme US aborde, Netflix crée des séries à la saveur “locale”. Si pour la France l’exercice donnait le (laborieux) Marseille, pour l’archipel nippon l’essai s’appelle Sanctuary : une plongée dans l’univers du Sumo en 2023 qui se déguste depuis la France comme un anti Karate kid qui s’assume comme tel.

Sanctuary
©Netflix

A dire vrai, ce que je connaissais avant Sanctuary de l’univers du Sumo se résume à regarder d’un œil des saisons régulières des combats retransmis sur la NHK dans notre bouquet satellite familial : le néophyte total ! En démarrant Sanctuary, mon a priori se résume à : des combattants de plusieurs quintals dont le but consiste selon des prises apparemment très codifiées à expulser l’adversaire du cercle représenté au sol pour matérialiser l’arène. Je savais aussi que le personnage du sumo est en général un farouche guerrier, demi dieu, dans la culture du jeu vidéo par exemple, et qu’autour de la pratique sportive existent de véritables célébrations, faisant du sumo un art plutôt qu’un sport dans son acception “olympique” du terme.

De la formation des jeunes sumotoris, je ne savais rien, des parcours de vie des athlètes, rien ; de la manière dont l’art martial est perçu au Japon contemporain, rien non plus. C’est amusant parce qu’on a l’impression que Netflix Asia a reçu le même cahier des charges que Netflix pour la France : créer une vitrine qui soit utile au tourisme, mais aussi à la démonstration que nous, Netflix, nous adaptons aux régions, sans impérialisme… Mais aussi que les créateurs se sont amusés à jouer avec les prérequis de la formule : les téléspectateurs du monde s’attendent à une série initiatique dans la pure tradition asiatique, où un gars du peuple passe, après son initiation, au stade de demi dieu… Ok, on va leur donner ça !

MAIS ajoutons quelques éléments propres à l’univers du manga ou de l’anime dans le traitement des personnages; et surtout démontrons que le sumo est aussi un business parfois véreux, dans lequel les jeunes sumotoris ne se lancent pas par pur amour du “mélange de tradition et de modernité” par lequel on vante, sans trop se fouler dans notre partie du monde, la culture extrême-orientale. Et ça marche ! Ces trois ingrédients majeurs arrivent à s’agencer au fil d’une première saison qui remplit exactement les exigences du cahier des charges du producteur.

1. Sanctuary est l’histoire de Kiyoshi, une petite frappe bâtie comme un bœuf, dont la famille galère entre boisson, maladie et relégation sociale. Un jour, à l’occasion d’une baston quasi mafieuse, il est repéré par le patron d’une écurie du sumo de seconde zone qui évalue les capacités physiques du jeune homme. Dans une série ou un film initiatique standard (Karate Kid, bloodsport, Rocky…) le héros, d’abord dissipé, se trouve un maître à penser et progressivement se focalise sur son art pour finalement y exceller malgré l’adversité….

Dans Sanctuary, Kiyoshi, rebaptisé Enno est une sorte de Liam Galhagher prétentieux et lourdaud, qui vient au sumo pour l’espoir de l’argent facile (et on apprendra petit à petit qu’il y a une fêlure originelle derrière cette volonté) et qui n’en a rien, mais alors rien du tout à secouer de l’art, de la tradition et de la voie sacrée du Sumo.

Cette manière d’aborder le sumo permet astucieusement au spectateur de progressivement comprendre que le rite provient de spécificités martiales, que le modelage du corps est un art, et que la force est aussi spirituelle. Comme Enno, le spectateur rentre dans une une découverte initiatique complète, de manière un peu moins clichée qu’à l’accoutumée, (ou aussi clichée, mais plus assumée comme telle, voir point 2).

La grande force narrative de la série de Kan Eguchi est d’aborder tous les poncifs de la discipline par le regard d’un jeune contemporain, qui aime les filles, la picole, les selfies, la clope…. pénètrant goguenard dans un monde de rigueur apparemment incompréhensible au quidam, même japonais, et de codification de la moindre des actions dans le dojo.

… Mais 2. Sanctuary a aussi un énorme énorme côté exagéré, dans le portrait et la forme de jeu de ses personnages. Très souvent, on repère que les acteurs jouent et agissent comme si on lisait un manga sur le sujet, ou s’ils étaient sortis d’un anime.

Le personnage du vieux journaliste sportif (Tomorowo Taguchi) proche de la retraite, qu’on affuble d’une jeune journaliste rebelle ayant étudié aux USA (Kutsuna Shiori), et qui atterrit aux pages d’un sport antique, suite à un blâme pour avoir médit sur un candidat à une quelconque élection locale, le sumo impressionnant, Shizuuchi (Hishofuji Hiroki ex Juryo dans la vie réelle) mais silencieux avec son visage à demi brûlé, son pendant solaire Enya (Kensho Sawada ex-lutteur également) champion vieillissant de l’écurie Ensho qui lutte pour revenir à son meilleur niveau.

Ceci donne un vrai côté pop à la galerie de protagonistes, et on regarde souvent la série en souriant des petits clins d’œil à la culture nipponne (les blagues potaches, le ton sentencieux, les baguettes qui virevoltent au repas, les jeunes femmes en colère, le vieux salaryman usé par le temps, mais passionné, le méchant qui fume des cigares) à destination des étrangers. C’est là une manière pour les auteurs et les acteurs de prendre un sujet chargé d’histoire identitaire sans lui donner le côté plombant du poids de la tradition. Cette tonalité d’anime ou de manga un peu adolescent est une vraie réussite, qui ajoute la légèreté à l’ensemble.

Enfin 3. Une peinture sans concession du milieu. Matchs arrangés, influence funeste des sponsors, trucage des rosters de combat, côté un peu has been de la pratique, au moins dans ses ligues les plus basses, sport un peu “désuet” dans son appréhension par le grand public (les arènes sont souvent à peine remplie pour les matchs d’Enno, apprenti d’une sous sous écurie, pratiquant un sport qui n’attire plus les foules).

 

La pyramide des grades du sumo
https://www.dosukoi.fr/banzuke/

C’est surprenant parce qu’on se dit : « wow c’est pas trop une pub en fait ». Oui mais, c’est intelligent. Parce qu’en montrant en 1) qu’Enno vient au sumo pour des raisons qui n’ont rien de l’art martial, et en montrant au spectateur que l’art du sumo lui même est un peu une vitrine d’un japon “à l’ancienne” qui a le regard dans le rétroviseur, la quête initiatique du protagoniste principal au sein de son écurie n’en devient que plus émouvante. Elle peut avancer de manière un peu moins caricaturale que dans la plupart des films initiatiques autour de la pratique sportive. Longtemps, au fil de la première saison, Kioshi est un petit (balèze) con qu’on a envie de baffer, sans rigueur, absent aux entraînements, remettant en cause les enseignements du maître du dojo.

Le plus fou est là. J’en viens petit à petit à me passionner pour le sumo, je sais ce que sont les shikos et leur usage dans le renforcement musculaire. Je comprends pourquoi on respecte le dohyo où se déroule le combat, et les différents grades dans la carrière du lutteur : Juryo, Ozeki, et le grade de demi dieu Yokosuna…. Ou pourquoi aussi les divisions les plus subalternes attirent sans doute moins de spectateurs. Je comprends pourquoi il est plus facile d’en tronquer l’issue aussi, quand une seule personne est habilitée du roster.

Et le tout en suivant le parcours narratif de Enno / Kiyoshi !

En mixant les trois ingrédients mentionnés plus haut, la réalisation crée un univers dans l’univers et des personnages qui sont autant de “types” et qui finissent par être attachants.

En vrai, on en redemande lorsque la fin, sous la forme d’un cliffhanger total, clôt les huit épisodes d’une série dont on ne sait encore si Netflix va la renouveler…

On en redemande aussi parce que les acteurs se donnent vraiment. Plus que De Niro dans Raging Bull, dont la transformation a fait le sel du film. Au fil des 8 épisodes de la saison l’évolution physique de l’acteur Wataru Ishioze (ex kick boxer) est impressionnante et visuellement captée à l’écran. Il devient Kiyoshi devenant le sumo Enno. Le corps de l’acteur se transforme, prend du gras, puis du muscle. L’entraînement et la modification de la position des bras, jambes, cuisses, le port de tête qui prend de la force…. tout cela est réellement palpable à l’écran. Le réalisateur arrive à capter l’évolution (il n’y avait pas intérêt à devoir retourner des scènes à postériori !). Ajoutant d’autant à la sympathie qu’on éprouve finalement pour cette tête de con d’Enno.

Au point que l’on quitte une série qu’on a entamé en mode “oula une série sur le sumo” “oula les personnages d’anime” “oula les longues minutes d’entraînement”, « allez c’est l’été, go… » en espérant que Netflix la renouvelle. Pour renouveller notre plaisir, et puis aussi parce qu’on se demande comment Wataru Ishioze arrive à vivre en surpoids tout ce temps.

Une découverte estivale étonnante et réellement plaisante

Denis Verloes

Sanctuary – saison 1
Série Japonaise de Tomoki Kanzawa et Kan Eguchi
Avec : Wataru Ichinose, Shôta Sometani, Pierre Taki…
Genre : drame sport
8 épisodes de 50 minutes mis en ligne (Netflix) en mai 2023