Etonnante mini-série profondément « feelbad », The Full Monty retrouve les personnages du film emblématique de 1997, alors qu’ils sont encore plus dans la mouise. Pour nous faire beaucoup rire, mais pour nous désoler encore plus !
1997 : le film The Full Monty remporte un succès mondial considérable, relativement à son budget et à son thème : voici l’histoire d’une bande de « lads » (pour ne pas dire de « bras cassés ») de Sheffield, ancienne ville industrielle laminée par le Thatchérisme, qui, dans la lose, décident de monter un spectacle de strip-tease masculin pour retrouver un peu de leur fierté. En gros, l’Angleterre prolo de Loach en mode feelgood movie… et le triomphe critique et commercial du film engendrera par la suite nombre de « petits films » anglais, plus ou moins réussis, construits sur un principe similaire de la critique sociale associée à l’humour britannique…
2023 : le gouvernement Tory, radicalisé par le Brexit, a encore mis plusieurs tours de vis budgétaires, et a détruit à peu près la totalité des services publics britanniques : une réalité clairement exposée dans la brève introduction de la série éponyme d’Alice Nutter et Simon Beaufoy. Nous y retrouvons nos mêmes lads, près de 30 ans plus tard, encore plus laminés par une société anglaise en pleine décomposition où l’égoïsme règne… mais également par de mauvais choix personnels !
Chacun est plus ou moins dans la mouise : vie conjugale et familiale détruite ou en mauvais état, chômage ou petits boulots humiliants et payant insuffisamment pour vivre décemment… Même l’amitié de jadis s’est usée, au fil du temps (au fil des galères…!), laissant souvent place à l’indifférence, voire à la rancune. Gaz (Robert Carlyle) , toujours le plus « créatif » de la bande, aura-t-il une nouvelle idée géniale pour tirer tout le monde d’affaire ? Spoiler : non !!! Car on ne rêve plus, on est en 2023 : le pire n’est plus probable, mais certain !
Et c’est bien là ce qui est intéressant avec cette mini-série : en dépit d’un scénario qui n’évite pas certaines facilités regrettables et qui souffre régulièrement de maladresses qu’on n’aurait pas normalement envie de pardonner, elle ne nous vend pas de rêve comme le faisait le film en 1997, mais elle dresse un constat aussi lucide qu’accablant de notre situation… Il n’y a plus d’argent pour faire fonctionner les écoles ou les hôpitaux, l’administration est devenue une machine à exclure, on s’ennuie dans les couples, qu’ils soient hétéro ou homo, les enfants qu’on n’a pas eus ou qu’on a perdus sont une blessure qui ne se referme jamais, ceux qu’on a eus sont devenus soit nos ennemis, soit un rappel quotidien de notre incompétence, la vieillesse – solitaire, paupérisée, déconnectée de tout le fonctionnement du monde « moderne » – est un naufrage. Pour nos « héros » fatigués, les petites combines qui marchaient encore hier ne sont plus que des échecs systématiques qui les ridiculisent encore plus : le monde entier se rit d’eux, quand il a seulement conscience de leur existence. Et à la fin, on meurt seul, épuisé, dans la rue, ignoré par les passants qui ont sans doute l’œil rivé sur leur portable.
Le panorama dressé par The Full Monty est noir, ce qui ne veut pas dire, évidemment, que le merveilleux humour britannique ne l’irrigue pas vigoureusement : on ne rit jamais mieux que le cœur serré, voire brisé. Et pour réaliser ce prodige, les acteurs anglais restent intouchables : Robert Carlyle et Mark Addy sont le fer de lance de la série, chacun bouleversant et hilarant à sa manière… Mais il faudrait citer le casting tout entier, toujours parfaitement juste, et n’essayant jamais de rendre leurs personnages, capables du meilleur (parfois) comme du pire (la plus part du temps), plus sympathiques qu’il ne le sont.
Il nous reste donc à regretter l’écriture, qui laisse beaucoup à désirer, faisant le choix étonnant d’abandonner systématiquement (et lâchement ?) chacune des histoires racontées sans lui apporter de conclusion : le vol du chien, l’élevage des pigeons rares et l’arrivée du mystérieux Coréen, les tentatives musicales comme amoureuses de Destiny, « l’adoption » du touchant Twiglet par Dave… toutes ces fictions pourtant réussies s’évaporent sans réellement déboucher sur grand chose, la série passant à autre chose sans regarder en arrière. C’est tellement systématique qu’il s’agit là certainement d’une volonté de Beaufoy et Nutter, peut-être pour nous signifier que tout passe, même les choses qu’on a jugées importantes à un moment… Mais c’est indéniablement frustrant.
Le dernier épisode clôt la série de manière assez convenue, en dépit d’une très belle scène chantée et politiquement forte, formulant l’espoir que la jeunesse prenne le relais d’une révolte qu’on n’espère plus. Mais il nous laisse dans un endroit idéal : avec le sentiment d’avoir bien ri, tout en ayant des larmes plein les yeux. Et quand la voix du plus grand crooner de Sheffield, Richard Hawley, s’élève sur le générique de fin de The Full Monty, tout est pardonné. Car, même si le monde nous a oubliés, même si nous sommes loin d’être parfaits, nous nous sommes tant aimés.
Eric Debarnot