Film littéralement inexistant – sans propos, sans projet, sans idées -, Toni, en famille est l’exemple parfait de la déperdition de l’amour du cinéma. Le néant, qui plus est encensé par une certaine critique, qui n’aime visiblement pas non plus le cinéma ou a oublié ce que c’est.
Le premier plan, la première scène de Toni, en famille, nous dit tout ce que nous avons besoin de savoir, établissant précisément le programme du film de Nathan Ambrosioni. Un programme auquel il ne dérogera jamais. Dans l’habitacle d’une voiture, une mère, encore jeune, au volant, et cinq adolescents – trois filles, deux garçons, visiblement séparés par peu d’années – qui se chamaillent, mêlant grandes questions existentielles de leur âge (« Je ne mesure que 1m60, je suis trop petite ») et conflits mineurs plus irritants qu’autre chose (« c’est toujours moi qui monte dans le coffre ! »). Les dialogues sont plus vrais que nature, les ados insupportables, la mère dépassée, portant sur le visage un air vaguement désespéré. L’image est d’une laideur infecte. La scène s’interrompt brutalement.
Tout le film sera sur ce modèle-là : jeu « subtil » de Camille Cottin (portée aux nues par les critiques, alors que ce que cette excellent actrice exprime de manière plutôt uniforme n’est peut-être tout simplement que la consternation devant ce qu’on lui demande de « jouer »), l’énergie des adolescents qui ne produit rien, le refus d’affronter la réalité et de mener à bout aucun des sujets potentiels d’un film qui en a soit trop, soit aucun. Et l’absence cruelle de quelque désir de cinéma que ce soit : d’un quelconque geste artistique d’abord, ou, et c’est pire, d’aucun acte d’auteur. Le néant sur l’écran.
Un néant émotionnel, déguisé de manière astucieuse en fausse « pudeur » – voire en « délicatesse », ce terme abominable quand on parle d’Art -, par exemple lorsque l’un des drames potentiels de l’histoire de Toni, en famille, le mal être violent de Timothée, est littéralement escamoté – on ne saura rien de l’opinion de la psychologue, ni des mots écrits à sa mère par l’ado en extrême souffrance : à la fin, tout le monde pleure et tout le monde rit, comme si absolument rien ne s’était passé.
Un néant narratif, déguisé en histoire faussement complexe, le film nous distillant au goutte à goutte les informations permettant de comprendre le trajet de cette famille monoparentale : absence du père, provenance des fonds permettant à la famille de subsister, passé de la mère, etc. Ce qui permet de créer une sorte de « suspense » inutile, gratuit, hors sujet.
Un néant de personnages, déguisé en faux film choral : chacun a son histoire, mais sans jamais avoir l’opportunité de la vivre, juste de l’exprimer en quelques phrases-clichés balancées dans des dialogues mal filmés et aussitôt oubliés. Et l’absence de personnages secondaires substantiels, sur lequel la caméra s’attarderait plus de quelques secondes : Ambrosioni préfère abandonner comme « inintéressants » toutes celles et ceux qui pourraient affecter la « cellule familiale » (la mère – Catherine Mouchet, pourtant ! -, le médecin à l’hôpital, la bonne copine, l’amoureuse de Camille, le jeune dragueur en boîte…), confirmant ce désir de fermeture au monde, qui est sans doute l’un des aspects les plus sinistres de Toni, en famille.
Un néant de cinéma, de mise en scène, de direction des acteurs, abandonnés à répéter encore et encore le genre de clichés qui n’attire que les habituels – et désespérants – commentaires « critiques » : « c’est tellement vrai ! ».
On parlait à une époque (une grande époque) de « cinéma du milieu » pour évoquer ce genre de films très français – ni film de genre, ni film d’auteur, ni film vraiment populaire -, mais c’était une époque où les Doillon, les Pialat, les Truffaut, etc. avaient quelque chose à nous dire, à nous raconter, n’avaient pas peur de nous émouvoir, de nous secouer dans nos certitudes. Et surtout aimaient le cinéma. Toni, en famille, c’est juste du cinéma mou. Voire ce n’est pas du cinéma du tout.
Eric Debarnot