[Live Report] Anne Clark au Café de la Danse (Paris) : « It rains even harder now… »

Une heure et demi de poésie supportée par un groupe irrésistible, voilà ce que nous a offert hier soir Anne Clarke, au cours d’une soirée au Café de la Danse qui s’est avérée – de manière un peu inattendue sans doute – particulièrement enthousiasmante !

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Anne Clark au Café de la Danse – Photo : Robert Gil

Devant le succès rencontré par Dry Cleaning auprès d’un public indie branché à la mémoire courte, il a été souvent nécessaire de rappeler que le « spoken word » n’est pas une discipline – ou une forme musicale si l’on veut – récente. Les musicologues considèrent que ce sont les artistes de la Beat Generation – Ginsberg, en particulier – qui l’ont popularisé (enfin, façon de parler) en récitant leur poésie sur de la musique, mais on relève aussi qu’à la même époque – c’est-à-dire les années 60 -, l’usage du spoken word se répandit dans la communauté afro-américaine pour diffuser des messages politiques. Dans le rock, quarante ans avant Dry Cleaning, l’une des femmes les plus célèbres à l’utiliser fut Anne Clark, artiste new wave qui récitait ses poèmes sur un background synthpop, et des titres comme Sleeper In Metropolis et surtout Our Darkness – gros tube en Allemagne ! – marquèrent leur temps.  Ce petit retour en arrière pour expliquer pourquoi et comment Anne Clark, à 63 ans en 2023, remplit encore des salles (petites, mais quand même…) à travers l’Europe d’un public quasiment fanatique. Bon, un public qui a, dans sa majorité, dépassé la cinquantaine, mais manifeste bruyamment son enthousiasme…

2023 12 08 Livia Kojo Alour Café de la Danse RG19h50 : C’est la poétesse Livia Kojo Alour qui a été invitée par Anne à ouvrir la soirée, et même si, a priori, on craint vaguement de trouver le temps long devant une jeune femme récitant, seule sur scène, ses poèmes, la réalité sera tout autre. S’appuyant sur des boucles vocales qu’elle construit devant nous, et sur quelques accords de piano préenregistrés, Livia nous offre des textes magnifiques (bon, il faut évidemment comprendre l’anglais…) sur ses parents (Mother, Garden à propos de son père), puis plus politisés sur les différentes formes d’oppression dont nous sommes victimes (Oxygen, et surtout White Tears, qui parle de son enfance à Hambourg, où elle était la seule petite fille de couleur dans son école). Et puis, cerise sur ce beau gâteau, Livia chante divinement bien, dans un registre soul-blues classique impeccable. Le finale (Stay) prouve l’étendue de son talent : reconnaissons qu’on aimerait bien qu’elle devienne une chanteuse à part entière, elle a le potentiel d’être une star !

2023 12 08 Anne Clark Café de la Danse RG20h45 : le groupe, annoncé comme en « format électro-acoustique », accompagnant Anne Clark sur cette tournée, est composé d’un violoncelliste, d’un violoniste, d’un claviériste et chanteur occasionnel (le pianiste, renommé en Allemagne, Murat Parlak), d’un batteur percussionniste et d’un guitariste acoustique. Et il faut reconnaître que la réussite totale de la soirée va venir beaucoup de l’interprétation enthousiaste, chaleureuse et subtile à la fois, qu’ils vont nous offrir des morceaux d’Anne : elle, petite femme discrète vêtue de noir, restera perchée tout au long des 90 minutes de concert sur son tabouret, récitant d’une voix calme et patiente ses très beaux textes. Le tout constitue une sorte de mélange chaud/froid – ou si l’on veut physique/intellect – qui va s’avérer particulièrement efficace, et auquel le public, pourtant pas très jeune, on l’a dit, va répondre de manière démonstrative. Dans cette configuration, la majorité des titres sont très dansants, et auraient même mérité un peu plus de mouvement dans la fosse d’un Café de la Danse bien rempli (dixit une fan américaine se plaignant à la fin du manque d’agitation autour d’elle).

On pourrait pointer – et c’est bien l’unique reproche que l’on puisse honnêtement formuler à ce set qui a conjugué beauté et efficacité – une certaine uniformité des morceaux, jouant régulièrement sur des crescendos « galopants ». Mais ce serait injuste par rapport à la force des émotions véhiculées.

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Le sommet de la soirée – qui nous a mis les larmes aux yeux, pas moins – aura été Mriva – An Ode to Ukraine, un morceau au texte terrible sur un pays dévasté par la guerre. Ensuite, le groupe nous offrira un instrumental bien enlevé, presque festif, pour nous réconforter… Mais le finale de cette heure et demie d’un concert qui aura passé comme dans un rêve, marquera en toute logique un retour vers les débuts « cold wave » d’Anne, avec Sleeper in Metropolis, puis Our Darkness en rappel, la programmation froide du synthé (d’époque !) étant rapidement noyée par les déferlements des cordes.

Et, en replongeant ensuite dans la nuit froide et pluvieuse d’un mois de décembre, perdus dans un monde semblant de plus en plus hostile, comment ne pas réciter en boucle les vers concluant Our Darkness, écrits il y a pourtant quarante ans : « Would you walk with me now through this pouring rain? / It used to mingle with our tears then dry the hopes that we left behind / It rains even harder now » (Est-ce que tu marcherais avec moi maintenant sous cette pluie battante ? / Elle se mêlait à nos larmes avant d’assécher les espoirs que nous laissions derrière nous / Il pleut encore plus fort maintenant) ?

Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil