Sur Girl With No Face, Allie X raffine son écriture pour livrer un album de synthpop ludique, malin et accrocheur, qui devrait logiquement lui ouvrir de nouvelles portes et lui permettre de toucher un public plus large qu’avec ses précédents travaux.
Son nom ne vous dit peut-être rien, mais Allie X sillonne les scènes d’outre-atlantique depuis presque vingt ans. Après des débuts discrets dans la scène indie canadienne, quelques apparitions dans des talent shows locaux et plusieurs EP sous divers noms de scène (ALX, Allie Hughes), elle déménage à Los Angeles et commence à sortir des singles en 2014. Remarquée par quelques gros noms de la pop comme Katy Perry et Troye Sivan, elle adopte officiellement le nom d’Allie X et publie en 2015 un EP, CollXtion I, avant un premier « véritable » album, logiquement intitulé CollXtion II. Le second, Cape God, affirmera de belles envies de sophistication qui lui vaudront un accueil critique enthousiaste. Après des collaborations avec Mitski, Vicetone et Violet Chachki, voici enfin Girl With No Face, dont les singles promettaient d’entériner le dévouement de la chanteuse à une synthpop résolument tournée vers le futur.
Weird World fait péter le bouchon avec une grande efficacité, prouvant qu’Allie connaît le programme synthpop sur le bout des doigts. Boîte à rythme martiale, synthés eighties et guitares squelettiques à la Depeche Mode, le cocktail est familier mais la chanson est suffisamment prenante pour transcender ce qui pourrait autrement s’apparenter à un liste de cases à cocher. La chanson éponyme Girl With No Face calme le tempo pour lorgner davantage vers les rythmiques minimalistes de Gary Newman, avec une ligne de basse aussi simple qu’efficace. Le single Off With Her Tits se permet, via son texte culotté, d’aborder la dysmorphophobie sans pour autant se priver d’humour. « I wanna be parallel / I wanna be a stick « . Inspirée par une rencontre avec Jonathan Borge (journaliste pour InStyle) et son petit ami John, John and Jonathan est un tube tout trouvé pour le dancefloor, avec des synthés disco et des roulements de toms tout droits sortis des années quatre-vingts.
L’époque contemporaine reprend la main sur Galina. Les sonorités sont encore une fois vintage, mais l’écriture de la composition, tout comme sa production, rappellent ce que Dua Lipa a pu produire de plus enthousiasmant. Au rayon des parti-pris moins lisses, le texte de Hardware Software regorge de sous-entendus tendancieux, à peine voilés par des métaphores technologiques. « my hardware is getting too hard / I like software, it makes me calm and stuff / I wanna make a computer that gives me pleasure / I wanna cut you and I wanna paste me. « On pense au dernier album de Fever Ray pour la performance vocale sensuelle mais menaçante, sur fond d’electro-indus qui fait le dos rond. Black Eye agglomère toute une panoplie de sonorités rétros (kick mécanique, samples « orchestral hit », arpèges chorusés) pour mieux les amener dans notre temps, sculptant une plage de post-punk synthétique où la voix d’Allie, plus abrasive que sur les titres précédents, semble narguer l’instrumentation lors d’un final qui figure parmi les meilleurs moments de l’album.
L’intro de You Slept On Me évoque le commun des visuels synthpop (un soleil fluo le long d’une route bordée de silhouettes de palmiers) mais s’agrémente d’une production vocale qui mobilise le meilleur de la pop des années 2020. Allie alterne entre chant susurré et projection pop punk sans jamais laisser retomber la pression. Saddest Smile est probablement ce qui se rapproche le plus d’une ballade à ce stade de l’écoute, mais la noirceur qui émane de ses accords de synthés suggère davantage un panorama nocturne qu’une ballade sur la plage. Le guitares arpégées se chargent d’assurer les transitions au gré d’une composition qui reste très fidèle à sa trame mélodique et dépasse à peine les trois minutes. Staying Power retourne au dancefloor sur une cadence imparable. La mélodie vocale des refrains est rusée, biscornue et particulièrement mémorable.
L’album s’achève sur l’un de ses titres les plus synthétiques et pop avec Truly Dreams, qui aurait quasiment pu figurer sur le Future Nostalgia de Dua Lipa. La différence est principalement perceptible sur la seconde moitié de la chanson, qui fait reluire des arpèges de guitares qu’on aurait pu imaginer entendre chez Drab Majesty ou Jonathan Bree. Le rendu est naturellement plaisant, mais plusieurs des titres précédents avaient de quoi offrir à Girl With No Face une conclusion plus divergente et représentative des grandes qualités plastiques de l’album. Il n’en reste pas moins que cette nouvelle fournée est de fort belle facture, et laisse présager le meilleur pour une artiste dont les prochaines sorties seront sans aucun doute examinées avec un intérêt grandissant.
Mattias Frances