Défense de Hugo Cabret, grand film sur le Cinéma, souvent méprisé par les afficionados français de Scorsese, mais que nous considérons, nous, comme l’une de ses œuvres les plus sincères, et, partant de là, les plus touchantes.
Et si, mine de rien, derrière son apparence de conte de Noël pour enfants, de livre de belles images un peu trop brillantes, Hugo Cabret était le meilleur Scorsese depuis Casino ? Et peut-être son film le plus personnel, le plus touchant, bouleversant même parfois, de sa longue carrière ?
Au départ, Hugo Cabret a tout du projet hollywoodien « standard » : un livre « illustré » pour enfants ayant rencontré un grand succès (The Invention of Hugo Cabret de Brian Selznick) acheté par une maison de production pour devenir un grand film populaire, à la recherche d’un metteur en scène, après que le projet de film ait été monté et le casting ait déjà été constitué. Scorsese succède à Chris Wedge, initialement pressenti, non sans logique étant donné son pedigree de réalisateur de films d’animation à succès. Pourquoi Scorsese ? Et surtout pourquoi Scorsese accepta-t-il un projet aussi éloigné de son univers habituel ? Pas besoin d’aller fouiller les articles de l’époque, il y a une réponse évidente, qui saute littéralement aux yeux à la moitié du film quand les aventures du jeune Hugo, réfugié dans les combles de la Gare Montparnasse, croisent la route de George Méliès, qui l’initie aux splendeurs de l’imaginaire cinématographique. On sait combien Scorsese – cinéphile passionné – a investi de temps et d’argent dans la préservation du patrimoine du Cinéma, comment pouvait-il refuser un tel sujet, glorifiant le génie de l’un des plus grands pionniers du 7ème Art, pour illustrer de manière littérale la force de la création artistique et sa capacité à transcender la réalité et à changer les existences ?
On est en tous cas d’abord saisi par la stupéfiante élégance de la mise en scène, avec une utilisation beaucoup plus impressionnante de la 3D que dans la majorité des films (On se souvient que James Cameron, expert en la matière, reconnut de bon gré la supériorité du travail de Scorsese…). Même si l’on sait que Scorsese est l’un des meilleurs orfèvres en la matière, cela reste un plaisir exquis de se laisser guider avec une telle maîtrise pour pénétrer peu à peu dans une fiction, tout d’abord un peu vaine, avec des aventures et des rebondissements assez stéréotypés, voire mécaniques, mais qui va s’avérer bien différente de ce à quoi on s’attendait.
Au niveau des qualités formelles du film, soulignons aussi l’excellence du score d’Howard Shore, et de l’interprétation générale, avec un Sacha Baron Cohen juste et touchant dans un rôle qui l’éloigne de ses personnages emblématiques, avec une première apparition convaincante d’Asa Butterfield – devenu la star de Sex Education bien des années plus tard -, et avec des pointures comme Ray Winstone, Jude Law et surtout Ben Kingsley, véritable sosie de Méliès. Par contre, les Parisiens s’offusqueront à juste titre de voir la Gare Montparnasse affublée d’une tour ressemblant à celle de la Gare de Lyon, mais d’une hauteur s’approchant de celle la Tour Eiffel !
Mais, finalement, tout cela n’est pas le plus important, car si Scorsese bâcle un peu l’aspect ludique de son film (qui n’est clairement pas ce qui l’intéresse), quand il entre au cœur du sujet qui le passionne, la mémoire et la magie du cinéma, à travers une réécriture tendre et incroyablement empathique de la vie de Méliès, le cinéphile en nous est littéralement à la fête : la re-création des tournages de Méliès, portés par un enthousiasme juvénile dont on sent Scorsese le digne dépositaire, mais aussi la reconstitution des chefs d’œuvre du maître, distillent une poésie foudroyante, et sont ce qu’on aura vu de plus beau en la matière. Lorsque Hugo Cabret se termine, nous abandonnant littéralement avec le cœur en joie et les larmes aux yeux devant ce magnifique travail de « passeur » qu’a fait ici Scorsese, nous nous réjouissons de pouvoir désormais regarder encore et encore cette magnifique déclaration d’amour au Cinéma par l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire.
… et surtout la montrer à nos enfants, pour qu’eux aussi, à leur tour, deviennent cinéphiles.
Eric Debarnot
Mille fois d’accord. J’aime profondément ce film et son cœur débordant.