Queer, pop, disco, « sparksien », gothique, Walt Disco est un peu tout ça à la fois. Mais, avec un leader aux vocaux évoquant Bowie, ils sont surtout un gros espoir du Rock écossais, comme on a pu s’en rendre compte hier soir au Hasard Ludique.
Qu’est-ce qui fait qu’un groupe de rock a plus de succès en France que dans son pays d’origine ? C’est une question que doivent se poser les Ecossais de Walt Disco, qui ont emballé la Cigale lors de leur première partie de O.M.D. en février dernier, et qui, ce soir, ont enflammé un Hasard Ludique, certes pas complet, mais totalement conquis à leur cause. Et quand on lit la joie dans les yeux des musiciens devant cette liesse générale qu’ils provoquent, quand on entend l’émotion qui déborde dans la voix de Jocelyn Si, le leader / chanteur du groupe quand il crie : « We love you, Paris ! »…
Mais revenons quelques heures en arrière. Ce soir, le choix a été cornélien entre les formidables Warmduscher à Petit Bain, où s’est massée, logiquement, la plus grande partie des fans de la frange la plus fantaisiste et turbulente du rock britannique actuel, et la nouvelle sensation queer, pop, disco, etc. Walt Disco, de Glasgow. Deux groupes attirant sensiblement le même public, ce qui joue évidemment en la défaveur de Walt Disco, moins établi… La curiosité nous a pourtant poussé à préférer le Hasard Ludique, beaucoup par goût pour les surprises…
… Un choix que nous regrettons (momentanément) quand, à 20h30, débarque un duo français, Toboggan, qui a noyé la scène de peluches roses et autres décorations se référant à une culture nippo-infantile très typée années 80. Tous deux campés derrière leurs claviers, mais venant régulièrement chanter côte à côte ou face à face au milieu de la scène, « elle » et « lui » chantent une pop lo-fi aux sonorités naïves sur une électro bricolée, très « vintage » : il y a là un mélange d’innocence nostalgique et de vulnérabilité qui peut s’avérer touchant. Malheureusement, le choix de l’auto-tune systématique détruit totalement le concept, en le plaçant dans un « courant musical » actuel décalé par rapport au projet de Toboggan, et en artificialisant complètement la démarche. Regrettable.
21h20 : rapide installation du matériel et les cinq Glaswégiens débarquent, tous sourires dehors, portant des tenues originales sans pourtant tomber dans l’imagerie outrageuse comme dans leurs photos publicitaires : contrairement à ce que l’on pourrait imaginer à l’écoute de de certains de leurs titres – évidemment du fait de leur nom -, Walt Disco sont un groupe de Rock, un vrai. Et ils vont le prouver ce soir, en une heure dix très, très agitée, voire incendiaire par instants. Les regards sont fixés sur le flamboyant chanteur Jocelyn Si : short Adidas et santiags, blouson de cuir sans manches, maquillage discret et élégant, cheveux plus courts que sur les photos promotionnelles du groupe, Jocelyn dégage immédiatement un charisme exceptionnel. Mais c’est lorsqu’il se met à chanter l’intro de leur dernier album The Warping, Seed / Gnomes, qu’on est littéralement renversé : la similitude vocale avec David Bowie est encore plus sidérante que sur disque. L’orchestration beaucoup plus simple, « rock », sur scène, permet de se concentrer sur ce chant au lyrisme superlatif : l’émotion est forte, très forte, il y a là une véritable magie à l’œuvre…
The Warping, merveilleux bijou pop opératique, enluminé par le falsetto de Charlie, le surprenant bassiste, établit d’ores et déjà nos certitudes : voilà un groupe aussi original que littéralement impérieux dans sa maîtrise d’un style musical rare. La référence à Sparks que les musiciens ont utilisée se précise, mais pas d’une manière aussi évidente que prévu : c’est dans l’ambition formelle de cette musique, dans son côté bizarrement « martial » et pourtant presque humoristique que la parenté avec l’univers des frères Mael se manifeste. How Cool Are You? est d’ailleurs une confirmation jouissive de cette parenté…
Cut Your Hair, funky et presque hystérique, est un premier sommet « rock » de la soirée, rappelant accessoirement que, avant The Warping, Walt Disco ont sorti un premier album, Unlearning, pas piqué des hannetons non plus… L’enchaînement de You Make Me Feel So Dumb, mini-délire disco dont on reprend en chœurs les « la la la » gouleyants, et du très « bowien », pour le coup, Come Undone, constitue un beau moment de joie générale, mais marque aussi une rupture du set vers une seconde partie plus sombre, plus déchirante, qui montrera la puissance émotionnelle du groupe.
Don’t Do This Alone, en milieu de setlist, est apparemment une sorte de private joke du groupe, quelques mesures vite abandonnées dans l’hilarité générale, mais introduit donc la face presque tragique de Walt Disco. Jocelyn est une balade magnifique, mais ce sont la noirceur et la douleur qui imprègnent des titres comme Black Chocolate ou I Will Travel : on saisit alors le qualificatif de « gothique » également attribué au groupe. Sur scène, c’est un pandémonium rock’n’roll total : tous les musiciens, à l’exception de Lewis, le guitariste plutôt sobre qui officie à notre gauche, sont en transe, et le public s’accroche. Before the Walls est une sorte d’écho déconstruit et opératique du Heroes de Bowie, une conclusion parfaite de cette séquence « haute émotion »… avant un final logiquement très rock qui va nous être offert pour que nous ne sortions pas d’ici avec des idées noires : Macilent et surtout Weightless sont deux tueries qui achèvent de nous convaincre que, oui, Walt Disco pourrait bien devenir un groupe important.
Un titre en rappel, bonus inattendu, pour sanctifier le pacte d’amour qui vient d’être confirmé et signé entre Paris et Walt Disco, et nous voilà libres de repartir dans la nuit, les yeux écarquillés et le cœur en joie. Qu’ils reviennent très vite, comme ils nous l’ont promis !
Texte et photos : Eric Debarnot