Avec Peter Doherty, c’est toujours la même histoire. On ne sait pas trop à quoi s’attendre, et on finit toujours plus ou moins déçu, mais en se disant qu’on l’aime bien, quand même. Cette soirée boulevard de Rochechouart ne déroge pas à la règle…

Ah, Peter Doherty ! Avec lui, c’est toujours la même histoire. On ne sait pas trop à quoi s’attendre, et on finit toujours plus ou moins déçu, mais en se disant que, malgré tout, on l’aime bien, quand même, et on fait le décompte des kilos perdus ou retrouvés, et des nouvelles chansons réussies de manière inattendue. Cette soirée au Trianon ne va pas déroger à la règle, quasiment un théorème, appelons-le « le théorème de Pete(r) ». Elle débute aux toilettes de la salle du Boulevard de Rochechouart où mon voisin explique que le chanteur « est passé dans la salle tout à l’heure, il a perdu 30 kilos ! », et elle se finit sur le trottoir soixante-dix minutes plus tard en se demandant ce qu’on peut bien en penser.
L’histoire qui mène au théorème est connue, celle du lad fan de Queen’s Park Rangers puis du Havre Athlétic Club, qui revivifie le rock anglais il y a plus de vingt ans, meurt, ressuscite, plusieurs fois, je vous l’épargne, pour aller au but : ce soir du 26 avril au Trianon, Peter Doherty ne faisant rien comme tout le monde, voici que l’artiste nous propose une tournée « solo », intitulée « Felt Better in Europe », prélude à la sortie de son nouvel album, Felt Better Alive, à venir le 15 mai. Celle-ci s’intercale entre un volet anglais de tournée, celui-là réellement solo, et de nouvelles dates des Libertines. Une chose est sûre avec ce programme : Doherty ne chôme pas, et doit en ce moment s’occuper assez peu de son jardin en Normandie – sa terre d’adoption qu’il chante dans son nouvel album, le lieu où il a retrouvé paix, sérénité, et potager. Et où il doit sans doute aussi, comme David Hockney au bout d’un moment, s’ennuyer un petit peu…
21h14, le chanteur nous gratifie d’une minute d’avance sur le programme prévu pour débouler sur scène, après pas moins de trois premières parties, auxquelles nous n’aurons pas pu assister. Alors que le site du Trianon indiquait qu’il devait s’agir de « sa première tournée acoustique solo depuis dix ans, avec une série de spectacles intimistes « Songbook » au printemps. Peter interprétera une sélection de pépites de son catalogue, dont des classiques de The Libertines, Babyshambles, sans oublier tous ses délicieux projets/disques solo », comme la disposition des instruments sur scène le laissait supposer, l’artiste est loin d’être seul… Et la tournée « solo » se joue donc à 6, avec deux guitaristes (dont un plutôt préposé à l’électro-acoustique), un bassiste, un batteur et une claviériste l’accompagnant sur scène ! Moi qui me réjouissais d’un concert possiblement intimiste, là où il peut être le plus touchant potentiellement, ce sera pour un autre soir.
Au menu, 1h10 de set déroulé sans rappel, 17 chansons tenant la promesse d’un menu diversifié, avec 5 chansons extraites du prochain album (dont 2 des 3 singles sortis à ce jour : Felt Better Alive et Calvados), et piochant pour le reste dans ses albums solos, ceux des Libertines (trois chansons uniquement : la récente Night of the Hunter, Baron’s Claw, Time for Heroes), de Babyshambles (dont la belle et bien exécutée Albion), et aussi de son album avec les Putas Madres (chansons plus anecdotiques, et sonnant un peu pub rock, il faut bien le dire). Les chansons sont parfois exécutées de manière plus électrique que sur album dans cette formation, tout en gardant un équilibre, une tonalité générale assez mid tempo, quasi folk, avec même des accents country à certains moments (Hell to Pay at the Gates of Heaven)… si bien, que, à un moment donné, on se demande quand le concert va réellement démarrer.
Certes, la fosse, assez diversifiée en âges… et en genres, a souvent été en ébullition, s’accommodant des faiblesses habituelles de Doherty en live – voix pas toujours égale, débuts faiblards (l’énergique Killamanjro des Babyshambles, pour débuter le set, torpillé par un son à la ramasse, comme si la balance n’avait pas été faite), impression générale de je-m’en- foutisme, interactions avec le public limitées au maximum et à l’anecdotique entre deux bières (rappel en souriant qu’il faut déplacer le véhicule gênant le tour bus devant la salle…), et cette tendance fâcheuse à délivrer, finalement, un concert de pub rock (dans le son comme dans le rapport avec le public, et dans l’ambiance entre musiciens, aux looks de bûcherons amusés, un peu comme dans les backing bands de Morrissey), dans une salle de 2000 personnes.
Car, c’est son péché mignon, au brave Peter : considérer que donner un concert de pub rock dans des salles de 2000 personnes ou devant des parterres de 20 000 en festival, « fera le job« . Alors oui, cela peut faire le job, Peter, pour une partie plus jeune du public, qui est peut-être plus innocente que nous, ou en showcase de 30 minutes au Stade Océane du Havre, si le HAC se maintient et t’en donne l’opportunité en fin de saison. Mais là, au Trianon ce soir, et après avoir dévoyé le contrat initial (d’un concert solo, et d’une certaine intimité, à 50 balles la place), pour notre part, on trouve ça un peu court, et même à côté de la plaque. Pour qu’on ne t’en veuille pas trop d’ailleurs, ou imaginant que l’on emporterait dans la ligne 2 un souvenir extatique du show, tu as prévu une fin vraiment complètement hors sujet, « sympatoche » et poil punk, en faisant monter le public sur scène pour Time for Heroes, pour un début de pogo géant, mettant à mal les agents de sécurité, qui étaient jusqu’ici un peu engourdis. Puis, pour clôturer vraiment le concert, un Panic des familles, ou plutôt des Smiths, où tu te prends vraiment pour Morrissey en entonnant l’hymne ultime d’un certain rock indé fin 80s – début 90s (Hang the DJ), ce qui n’empêchera pas une bonne partie de la salle de rester quémander un rappel malgré les lumières rallumées, une reprise de Tainted love dans la sono, et les roadies qui remballent.
Ce concert, c’est un peu comme une crêpe au calva : on ne sait pas trop pourquoi on la commande ou la fait, cela prend un certain temps de préparer la pâte, puis de faire cuire la crêpe, ça flambe très rapidement, et, une fois la crêpe au calva flambée, ne reste plus qu’à l’avaler, et c’est quand même sacrément acide, comme le goût avec lequel on repartira en réalité dans le métro. Mais… On n’y peut rien, malgré la litanie de tes faiblesses sur scène, c’est plus fort que nous, Peter : on t’aime bien quand même, et on écoutera ton nouvel album avec bienveillance, car on a toujours considéré que tu étais un artiste rempli de talent, et que tes résurrections régulières (merci Frédéric Lo au passage), étaient réjouissantes. Elles nous rappellent qu’on peut avoir des hauts et des bas, plus ou moins chaud, en vouloir trop, et même avoir ce que l’on ne voulait pas.
CQFD. C’était l’application du théorème de Pete(r).
Un conseil affectueux pour la route : n’abuse pas trop du calva et du Stade Océane quand même.
Texte : Jérôme Barbarossa
Photos : Robert Gil