A 67 ans, Robert Forster sort Strawberries, un album très réussi comprenant une de ses toutes meilleures compositions. A la fois classique et surprenant, sa spontanéité fait mouche.

Comment être totalement objectif en chroniquant un disque de Robert Forster ? Forster, 67 ans maintenant, est en effet comme nos lecteurs le savent l‘un des 2 co-fondateurs des Go-Betweens, groupe dont les chansons parfaites ont bercé l’adolescence de nombre d’entre nous dans les années 80. Forster a sorti en 2019 Inferno, un album parfait et probablement le meilleur de sa discographie solo depuis Danger in the past en 1990. Le dernier album en date, The Candle and the Flame, écrit alors que sa femme se battait contre un cancer, s’est par contre révélé un peu inférieur. Robert Forster est un personnage étonnant, attachant et bougon comme ont pu le remarquer les spectateurs de ses deux derniers concerts solos à la Boule Noire. Il tourne régulièrement en Europe, documentant sur les réseaux sociaux ses trajets en train ou le show de la veille avec une grande malice et un talent littéraire indéniable. Souvent agrémentés de commentaires nostalgiques, sur son vieux partenaire décédé Grant McLennan ou sur ses souvenirs des villes traversées, ses shows font rarement la part belle à ses nouvelles compositions.
Nous attendions donc ce nouvel album avec anxiété. Ne faisons pas durer le suspense, Strawberries est très bon, et comprend même un titre exceptionnel. Breakfast on a Train est de ces morceaux qui donnent la chair de poule dès la première écoute, 8 minutes de bonheur total. Robert Forster nous narre la rencontre de deux vieilles connaissances à Edimbourg un jour de match de rugby. L’histoire est toute simple, un moment de vie de deux personnes, qui ne sont pas nommées, qui prennent une chambre d’hôtel, font l’amour et se séparent après avoir pris leur breakfast dans le train de 9h04. Le morceau est traversé de drôlerie, notamment lors de la description de leur amour bruyant (There was a family in the room next door, they were woken by the banging on the door. They phoned reception to complain. Reception said over the volume of love we have no claim). Accompagné de sa guitare acoustique au départ, Forster se fait rejoindre par le groupe au grand complet (magnifique Peter Moren à la guitare) qui se fond subtilement autour de la mélodie. Instant de vie poignant, le morceau touche au cœur : Love can be a winning game. Nous tenons là l’une des meilleures compositions jamais écrites par Robert Forster et probablement un temps fort des futurs concerts.
Compliqué pour les autres titres d’arriver à exister autour d’un tel tour de force. A notre sens, Good to Cry n’y arrive pas du tout. Voix un peu chevrotante, rockabilly sans enjeu, Robert Forster fait son âge sur ce titre heureusement très court. Le reste heureusement tient bien la route. L’album démarre par un Tell it Back to Me qu’on croirait extrait du catalogue des Go-Betweens, pop song parfaite avec harmonica à la Dylan. All of the time a des touches sixties irrésistibles et respire la joie.
Le morceau titre, Strawberries, est très symbolique. Sur l’album précédent, She’s a Fighter était dédié à sa femme Karin Baumler, qui combattait alors le cancer. Autour de cette simple ligne répétée tout du long, Robert Forster témoignait du courage de sa compagne et de la période compliquée qu’ils traversaient. Maintenant en rémission, Karin accompagne son mari sur ce titre, autour de la dégustation de fraises et de plaisirs simples retrouvés. L’épreuve a été dure et longue (it took time to recover back from the edge of the knife), les a marqués à jamais (we can’t go back to what we were), mais ils sont toujours debout, plus vivants que jamais. Pour sûr, l’explication de cet album qui respire la sérénité.
Such a Same est une jolie ballade au piano que Nick Cave aurait pu écrire, on croirait presque entendre des psaumes de Warren Ellis derrière. Là encore, ça joue très bien, le groupe est au top, Ana Ahman aux claviers en premier, et on attend avec impatience une tournée avec tout ce petit monde. Sur Fooling I Know, c’est le saxophone qui accompagne la guitare sur une nouvelle ballade avant que Forster surprenne son monde avec l’énergique Diamonds pour conclure. Après un démarrage tranquille, des guitares sauvages pour le moins inhabituelles accompagnent la voix déstructurée de Forster. Ce morceau va osciller ainsi entre moments calmes typiques de son écriture et des déflagrations qui ne sont pas fréquentes dans sa discographie. Sur la fin, le sax se la joue free, on pense quelques secondes au travail de Steve MacKay avec les Stooges ! Tout sauf prévisible ce titre, cette remise en question fait plaisir et anticipe peut-être une nouvelle direction sur l’album suivant qui sait ? Nous sommes preneurs si l’envie lui prend.
Nous en sommes maintenant convaincus, Robert Forster est toujours au top, et a trouvé avec Strawberries une nouvelle jeunesse.
Laurent Fegly
Robert Forster – Strawberries
Label Tapete records
Date de sortie : 23 mai 2025