« La Villa », de Brigitte Benkemoun : histoire d’un héritage

De la difficulté à hériter des rêves de ses parents… Histoire de l’extravagante maison d’architecte que fit construire le père de Brigitte Benkemoun près d’Arles et qu’il lui légua, La Villa est aussi le portrait d’une famille et d’une époque, en même temps qu’une réflexion tendre et lucide sur la transmission.

Brigitte Benkemoun
Photo © Astrid di Crollalanza

« Tu la veux, la Villa ? ». C’est sur cette question de son père, à la fois directe et désinvolte, que s’est faite la transmission à Brigitte Benkemoun de la maison de ses parents. Elle ne se doute pas alors que, suite à leur mort soudaine, elle en deviendra l’héritière quelques semaines plus tard. Atypique, située à quelques kilomètres d’Arles, construite en 1974 par l’architecte Émile Sala, ce joyau de modernité constitue un beau cadeau, pourrait-on penser… Et pourtant, ce cadeau, Brigitte Benkemoun va le vivre pendant des années comme un fardeau. C’est à travers la Villa, cependant, qu’elle va retrouver l’histoire de ses parents, les racines de sa famille, s’interroger sur la façon dont un lieu nous construit autant que nous le construisons.

la-villaComment un tel projet architectural, hors norme, a-t-il pu naître chez des gens « ordinaires » ? Pierre et Simone Benkemoun sont un couple d’origine modeste, qui a débarqué d’Algérie en 1962, avec ses deux enfants, qui seront bientôt trois. Il est huissier de justice, elle était professeur de mathématiques avant de reprendre, pour un temps, son ancien métier d’institutrice. Après s’être d’abord installés à Marseille, ils découvrent, en 1970, dans la campagne arlésienne, un terrain de cinq hectares. Trop grand pour eux. Le hasard faisant bien les choses, ils s’entendent pour le partager avec une famille amie. Et, pour construire leur maison respective, les deux familles feront appel, sans se concerter, au même architecte, Émile Sala, un ami lui aussi.

Le premier intérêt du livre de Brigitte Benkemoun, surtout pour quelqu’un qui, comme moi, n’avait jamais entendu parler de la Villa, c’est de découvrir, à travers les vivantes descriptions qui en sont faites, un lieu extraordinaire, « exceptionnellement seventies ». Né d’un « cahier de renseignements » où Sala a demandé aux membres de la famille de consigner leur mode de vie et leurs attentes, le projet débouche sur un « château contemporain » à l’ architecture avant-gardiste : béton, lignes courbes, transparence, lumière, ouverture sur la nature environnante. À l’intérieur, meubles Knoll, chaises en plexiglass, cuisine intégrée et même un lit rond ! Une maison organique de plus de cinq cents mètres carrés, emblématique des années Pompidou, à laquelle le magazine « Art et Décoration » consacrera six pages en 1976.

Hériter de la Villa fut aussi pour Brigitte Benkemoun l’occasion de se replonger dans ses souvenirs d’enfance et d’adolescence, dans l’histoire du couple aimant et fantasque que formaient ses parents et plus largement dans une histoire familiale qui fair écho à la grande Histoire. Toujours hantée par la question : « Pourquoi une telle maison ? », elle comprendra que ce n’est pas seulement, comme on le lui a dit et répété, parce que « son père aimait le moderne ». L’homme faisant la maison et la maison faisant l’homme, la Villa a été pour lui l’occasion de tisser un lien entre passé et présent, entre l’Algérie et la France. Non seulement de retrouver un mode de vie perdu, entouré de sa « smala », mais aussi de prendre une revanche sur la vie, lui le petit clerc juif de Sidi Bel Abbès, méprisé par une belle-mère dont il fit, avec un malin plaisir, le témoin privilégié de sa réussite.

On ne peut pas rester insensible à l’histoire de cette Villa que l’on voit évoluer au fil de temps, du « projet conjugal » jusqu’à la « légende patrimoniale » qu’elle est devenue suite à la restauration qu’en ont faite Brigitte Benkemoun et Thierry Demaizière, en passant par l’âge de sa splendeur où elle attirait du « beau monde », puis celui de la décadence qui a accompagné la vieillesse de ses propriétaires. Loin des attendrissements convenus sur la maison de l’enfance mais non sans tendresse, l’auteur parle avec subtilité de la place que la Villa a occupée dans la construction familiale, de l’ambiguïté des sentiments qu’elle continue à susciter, tant il est difficile d’hériter des rêves de ses parents. Non, elle n’a pas répondu au cliché de « la maison du bonheur », mais elle a, à l’évidence, joué pour ses habitants le rôle de creuset, de révélateur de soi-même et des autres.

Anne Randon

La Villa
Récit de Brigitte Benkemoun
Editions Stock
208 pages – 19,50€
Parution : le 14 mai 2025

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