« T’es mort » de Sam Sax : brillant et explosif

Qu’est-ce qui peut pousser un jeune new-yorkais à s’immoler par le feu au pied de la Trump Tower ? Telle est la question qui sert de point de départ au premier roman brillant et audacieux du poète Sam Sax.

© Hollis Rafkin

Le geste est sidérant, effrayant, incompréhensible… Un matin, Ezra, jeune new yorkais, se rend au pied de la Trump tower où se trouve déjà, comme chaque jour, un petit groupe de manifestants. Et là, il s’immole par le feu… Quelle chaîne d’événements a pu pousser Ezra à commettre un tel geste ? Comment en est-il arrivé à une telle extrémité ?

Son récit – Ezra est le narrateur de sa propre histoire – va tenter de reconstituer par bribes, par morceaux épars, l’histoire de ce jeune homme. Mais Sam Sax a choisi une autre voie que celle du roman chronologique. Le récit d’Ezra est donc comme un collage de segments (parfois très courts, quelques lignes, quelques paragraphes) qui permettent progressivement de reconstruire la vie et le parcours d’Ezra.
Après le départ de sa mère, qui a quitté le foyer quand il était enfant, Ezra a vu son père s’enfermer dans une pratique de plus en plus orthodoxe de son judaïsme. Ezra a grandi, seul le plus souvent, et sans jamais vraiment réussir à se départir d‘une certaine tristesse et d’un indéfinissable sentiment d’incompréhension du monde qui l’entoure. Adolescent, il a découvert son homosexualité. Étudiant, puis librairie dans le Lowe East Side, il s’est régulièrement perdu dans des relations sans avenir, voire toxiques.

T’es mort va donc s’attacher à raconter le parcours d’Ezra mais de manière fragmentaire. On comprend vite que le premier roman de Sam Sax est un objet littéraire hybride qui mêle prose poétique et narration, en refusant l’habituel ordre chronologique des événements. C’est un peu comme si Ezra nous livrait des fragments de son histoire, dans un ordre aléatoire, des fragments qui permettent des allers-retours incessants entre le récit de l’immolation et des scènes de la vie d’avant ce geste terrifiant. Ezra évoque beaucoup son père mais aussi ses relations amoureuses. Les réflexions du jeune homme (sur la communauté queer, sur la religion, et plus globalement sur le monde qui s’effondre autour de nous dans une indifférences quasi généralisée) parsèment le roman et créent au final un rythme syncopé qui permet presque une lecture par bribes, comme lorsque l’on ouvre un recueil de poèmes et que l’on relit au hasard tel ou tel texte. Le roman est ainsi traversé de fulgurances et l’on s’est surpris, au cours de la lecture, à relever tel ou tel passage, telle ou telle citation.

Récit touchant d’un jeune homme qui cherche à vivre, à aimer, à être heureux dans un monde chaotique qui ne semble pas vouloir de lui, T’es mort est aussi le portrait d’un être qui a conscience que le monde est en sursis… C’est aussi une première œuvre romanesque qui enthousiasme par sa tonalité et son originalité, la forme ici n’étouffant jamais les émotions. Une belle découverte donc.

Grégory Seyer

T’es mort
Un roman de Sam Sax
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Stéphane Vanderhaeghe
Editeur : La Croisée
256 pages – 22 €
Date de parution : le 2 avril 2025

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