[Live Review] Richard Dawson, Naima Bock, Clara Mann, Jake Xerxes Fussell à Petit Bain : less is more !

En ce jour où tous les regards étaient tournés vers la sortie de More, retour triomphal de Pulp, contre-programmation folk à Petit Bain avec un nouveau festival minimaliste intitulé « Diamond Day », porté par un autre monument du nord de l’Angleterre, Richard Dawson, en tête d’affiche.

Festival Diamond Day

L’air était finalement doux, ce vendredi 6 juin, sur Paris et notamment à Petit Bain, où nous avions décidé de passer la soirée, plutôt que de risquer la pneumopathie jusqu’à une heure avancée de la nuit pour l’ouverture de We Love Green au bois de Vincennes (pour la soirée « jeunes », aka rap en français). « Diamond Day » est un nouveau festival, un mini-festival serait-on tenté de dire, monté par le tourneur Vedettes, pour une soirée-concept – des chanteurs folk en solo, bref, pas vraiment la même ambiance qu’au bois de Vincennes. Le tout sur 3 soirs : la veille à Lyon, ce soir à Paris, le lendemain au Havre.

Naima BockEn guise d’adaptation parfaite à ces conditions météorologiques clémentes, le début de soirée se déroule sur le rooftop de la péniche-concert, où Naima Bock a le privilège d’ouvrir devant quelques dizaines de personnes et les péniches croisant à l’occasion. Autrice d’un album remarqué sorti fin 2024, Below A Massive Dark Land, la chanteuse, sous la petite tente protectrice (au cas où), déroule le fil de ses dix chansons en une petite quarantaine de minutes, toute en douceur, reprenant un seul morceau de sa dernière livraison (le beau Gentle), et préférant l’inattendu. Ainsi, elle pioche ailleurs dans son répertoire, mais aussi joue une reprise du regretté Michael Hurley, récemment décédé, Wildgeeses, que joue dans sa tournée actuelle un certain… Richard Dawson (qui ne l’interprétera pas ce soir). Ou encore deux reprises de chansons traditionnelles — dont une brésilienne et une américaine d’origine écossaise, Katie Cruel, dont l’interprétation la plus célèbre est celle de Karen Dalton, et qui a été reprise aussi, comme l’a souligné Naima Bock, par Beth Orton. Pour cette chanson, pleine d’autodérision, elle sort la pédale de dirtorsion, « sleepless and brave tonight », manquant de sommeil et courageuse ce soir, dit-elle en souriant à propos d’elle-même. Sa voix est pure et s’autorise de jolies variations quand nécessaire. Naima Bock est définitivement une artiste à suivre, et il faudra la revoir en groupe et dans des conditions plus appropriées, mais cela constituait un début en douceur et ensoleillé, apprécié du public qui a grossi en cours de set. On regrettera de ne pas la croiser ensuite au stand merchandising, peut-être était-elle fatiguée par le jet-lag.

Clara Mann 2

Deuxième artiste de la soirée, Clara Mann est programmée dans la salle de concert de Petit Bain, au sous-sol, et cela coïncide avec le rafraîchissement de l’air. Parfait timing – et une pensée pour les aficionados du bois de Vincennes, pour qui le froid ne fait alors que commencer. Nous découvrons pour notre part cette musicienne franco-britannique apparemment installée à Londres, et qui a publié en mars un premier album, Rift. Elle aussi délivre une dizaine de jolies chansons issues pour la plupart de son album sorti en mars. Sa voix est cristalline, presque trop, et elle compense cette quasi trop grande pureté par une franchise matinée de second degré dans ses interactions, dans un français parfait, avec le public, dédiant au passage une chanson à sa voiture, une Nissan Micra, qu’elle aime beaucoup, ou ironisant sur les expressions typiquement françaises comme « c’est chill » ou « nickel, comme vous dites en français ». Le set se bonifiant au fil de l’eau, si l’on peut dire, on se dit aussi qu’il faudra écouter son album à tête reposée.

Xerxes 2

Changement de décor avec le troisième artiste de la soirée, Jake Xerxes Fussell, musicien américain originaire de l’Etat de Géorgie, et établi désormais en Caroline du Sud, qui évolue, d’une part avec une casquette solidement visée sur le crâne, d’autre part sur un territoire folk à la lisière du blues, mais aussi, un peu, de la country, et exaltant une certaine musique du sud des Etats-Unis. Americana, entre ici à Petit Bain. D’emblée, assis sur une chaise, le musicien a d’abord une présence, physique : corpulent, dense, et concentré, avec une voix mate et douce, mais utilisant différents registres vocaux, Jake Xerxes Fussell en impose, même dans ce format minimal. Son set de cinquante minutes est découpé en trois moments distincts, un batteur assez expérimenté et à l’air un peu fatigué le rejoignant en cours de route, seul moment où un musicien d’accompagnement apparaîtra sur scène ce soir. Donnant une ampleur un peu plus importante à certains morceaux, la batterie de son acolyte permettra à Jake Xerxes Fussell de donner une belle densité à sa fin de set, marquée par la très belle The River St Johns, titre d’ouverture de Out of Sight (2019), par Love Farewell de son dernier album paru en 2024, et par son dernier single, Close My Eyes. Et accessoirement de renouveler notre intérêt de spectateur – le risque étant celui de la monotonie au vu concept très « à l’os » de ce « Diamond Day ». Jake Xerxes Fussell, en tout cas, en fut la belle surprise.

Dawson 5Place à présent à l’ogre, l’enfant terrible, tant attendu par les aficionados hardcore de folk présents ce soir à Petit Bain, à présent très rempli : Richard Dawson, musicien britannique, as de la guitare, venant des tréfonds du centre de l’Angleterre, et qui vient d’accoucher de l’un des meilleurs disques de ce premier semestre 2025, End of the Middle, son huitième, album solo, centré sur les histoires d’une famille sur plusieurs générations. Le musicien autodidacte issu d’un milieu ouvrier jouit d’un succès d’estime, comme on dit, et on espère bien que ce dernier album lui fera franchir un palier. En France, il peut profiter des « 4T » Télérama, ce qui n’arrive pas à tout le monde, même si l’on doute que cela lui ait permis de faire exploser streams et ventes dans l’hexagone. A vrai dire, Richard Dawson a toujours été avec nous ce soir, à Petit Bain : assis sur un tabouret, en fond de salle, y compris sur le rooftop, il a écouté attentivement les sets des trois précédents artistes, avec sa dégaine improbable – casquette sur cheveux gras, chemise informe XXL recouvrant sa bedaine, énorme attelle à la jambe gauche… Définitivement grunge trente ans après l’heure !

21h55. Vient l’heure de détendre sa carcasse : l’homme de Newcastle monte lui-même sur scène préparer sa chaise, sa guitare, son ampli, et aider son roadie, avant de débuter son set avec 5 minutes d’avance, et ayant visiblement réussi à gratter 15 minutes au total sur le programme officiel, en vue d’une fin au couvre-feu à 23h, pour jouer 1h05 plutôt que les chiches 50 minutes prévues. Ce qui suit est assez indescriptible : sous ses airs de papy nonchalant ou de gros matou empêché, Richard Dawson est réellement une « bête de scène ». Débutant pour se chauffer par un long instrumental, le musicien enchaîne ensuite sur une sélection de morceaux de son dernier opus, où, comme sur l’album, se distinguent notamment Gondola et Boxing Day Sales. Des comptines tordues sur lesquelles plane l’ombre d’un Daniel Johnson, mais un Daniel Johnson revu et corrigé par quelqu’un sans pathologie mentale, et venant du tréfonds d’Albion. Habité par une flamme quasi punk, qu’il soit assis comme dans la première moitié du concert ou debout, il triture sa guitare avec amour et balance ses textes pleins de fiel avec une intensité inattendue, dans un mélange de fragilité et de puissance. Bref : énorme !

Dawson 8Et, sous l’ogre grunge, couve un grand professionnel qui, l’air de rien, tiendra son set et terminera à l’heure pile, même après une interruption technique de 3 minutes, afin de remplacer l’ampli qui a rendu l’âme pendant Boxing Day Sales, en ligne avec sa prévision. Réputé pour son humour sur scène, l’homme limitera les interactions compte tenu du timing limité, visiblement gêné de devoir « faire vite » (satané couvre-feu, tout de même !), tout en charriant gentiment plusieurs fois un spectateur lui réclamant une ancienne chanson. Se permettant un morceau a cappella, un dernier instrumental façon guitar hero de blues limite hard, il conclut son concert par Horse and Rider, en osant tous les registres vocaux, et sort de scène, visiblement heureux et reconnaissant, en faisant un énorme triomphe. Une attelle et des cheveux gras, certes, mais beaucoup de talent et de charisme sous la gangue grunge !

Voilà qui concluait en beauté la première édition de ce nouveau festival ayant joliment relevé le défi d’une programmation ascétique, mais passionnante compte tenu de la diversité des profils des artistes programmés. Une alternative définitivement intéressante à We Love Green. We love folk, longue vie au « Diamond Day » !

Texte et photos : Jérôme Barbarossa

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