Ce dimanche, le Zénith accueillait Morrissey avec en ouverture le clone smithien Brigitte Calls Me Baby. Pour un concert à la fois plus bancal et paradoxalement plus convaincant que la paire de concerts de la Salle Pleyel.

Avant le Moz, on a pu voir (seulement) la fin de la prestation des clones smithiens Brigitte Calls Me Baby. Une bonne dégaine, un chanteur dont le physique pourrait être un avantage de poids lors d’un casting pour un biopic sur James Dean. Mais hélas le groupe se contentait de vaguement rejouer la pose suicidaire de son modèle. Il y avait sans doute quelque chose de plus proche de l’énergie scénique smithienne dans les concerts de première partie de carrière de Suede… alors que les Londoniens devaient surtout au Glam Rock. On se demande ironiquement si on n’aurait pas préféré voir les Sweet & Tender Hooligans, tribute band californien trentenaire des Smiths.
Lors du long clip précédant comme d’habitude les concerts du Moz, des huées d’impatience suggéraient que tout le monde n’était pas au courant de ce petit hors d’œuvre. En même temps, le Zénith parisien contenait forcément des fans non présents à Pleyel ou ne l’ayant pas vu à l’étranger ces derniers temps. D’un autre côté, le clip contenait cette fois à boire et à manger. Comme par exemple un morceau de Sigue Sigue Sputnik dont on se serait bien passé. Ceci dit, l’inclusion d’un extrait du mythique film de Pennebaker sur Ziggy Stardust montrait au moins que Morrissey avait fini par surmonter son contentieux de tournée avec Bowie. Et rayon moment francophile inattendu, il y avait les Stinky Toys.
Arrive le Moz. Pour un concert laissant une impression paradoxale de légère supériorité par rapport aux deux concerts à la Salle Pleyel en mars 2023, en dépit de défauts béants. Déjà parce que le Moz semblait moins fatigué ici que du côté des Ternes. Ensuite parce que, si la setlist n’était composée qu’à moitié de vrais grands titres, son coté rétrospectif avait un certain charme. Pas de Vauxhall and I ni de You are the quarry, certes, mais Viva Hate (l’album dont le titre incarne le mieux 2025 ?), Kill Uncle par la Face B, Your Arsenal par les Faces A et B, le mal aimé Southpaw grammar, Ringleader of the tormentors, Years of refusal, World peace is none of your business, Low in high school, et « l’album qui ne sortira jamais », Bonfire of teenagers.
I will see you In far-off places pourrait résumer les choses : pas ce que le Moz a fait de mieux, mais le parfait morceau pour finir le set avant le seul rappel. Dans les atouts de ce concert nettement moins bavard que Pleyel et sans tentative d’invasion scénique, il y a enfin la voix du Moz, son habituelle théâtralité et le choix impeccable du carré d’as de classiques smithiens.
Ce qui permet d’en venir au sujet qui fâche : le groupe. Quand on pense à ce que certains fans de la première heure des Smiths ont écrit sur Whyte / Boorer / Day / Cobrin… Alors qu’ils valaient mieux que le groupe de dimanche soir, souvent bourrin quand ça rocke, et ordinaire lorsque les choses se ralentissent. De façon prévisible, les morceaux appartenant au versant le plus « gros Rock qui tache« de la discographie du Moz s’en tirent le mieux. Par exemple un Best friend on the payroll de Southpaw grammar, pas déplaisant à réentendre. Life is a pigsty, provenant d’un Ringleader of the tormentors aux compos inégales mais impeccablement produit par Tony Visconti, s’en tire nettement moins bien.
Et il y a les morceaux des Smiths, prouvant encore une fois leur caractère insubmersible. Shoplifters of the world unite est un des sommets du set, en dépit d’une version pas terrible de son génial solo. Grâce à la voix du Moz et en dépit d’un accompagnement instrumental planplan, I Know it’s over réussit à susciter un « on comprend pourquoi l’enregistrement d’un tel morceau a bouleversé Marr. ». Et le rappel conclusif, Last night I dreamt that somebody loved me réussit, en dépit d’une intro interminable au synthétiseur, à surpasser la reprise pourtant sans faute de goût des Last Shadow Puppets.
Le groupe se tire bien de The Loop et de deux autres insubmersibles : How soon Is now? et Everyday Is like sunday. Si ce dernier morceau est sans doute l’un des sommets solo du Moz, voir une réaction du public plus intense que face aux morceaux des Smiths surprend au premier abord. Mais cela raconte peut-être quelque chose : la majorité du fandom français des Smiths et du Moz s’est probablement construite après la séparation des Mancuniens, au moment des débuts en solo, les compagnons de route des débuts se limitant dans l’hexagone à quelques happy few. En même temps, ils n’y ont joué que deux fois, à Paris, et pas durant leur état de grâce live et discographique de 1986.
Pour le reste… Lorsque le Moz introduit un morceau de Bonfire of teenagers par un « il sera publié après ma mort« , on sourit tout en ayant envie de répondre : Steven, il est facile en 2025 de publier un album même quand on est barré par une major, et ta fanbase suivra si tu le publies sur un label mexicain ou via ton site officiel ; l’envie d’avoir une promotion digne de ce nom, les logos de majors sur la pochette, le support physique appartiennent au passé. Rayon images cinéphiles projetées lors du concert, on a eu Bardot et Le Mépris, durant I’m throwing my arms around Paris, et de façon plus étonnante… La Haine ! Et puis trop de brouillard sur Jack the ripper. Et enfin ce moment où chaque membre du groupe s’adresse au public parisien pour le remercier.
Voilà. Après Mike Joyce batteur du défoncé repenti Doherty, c’était un tiers de ce qui reste des Smiths (RIP Andy Rourke) à La Villette. En attendant Marr au pied du métro Anvers à la rentrée pour une partie instrumentale qui a de fortes chances d’être nettement plus convaincante… mais des vocalises très probablement pas à la hauteur de ses géniales compositions. Mais bon, la reformation, ce truc auquel tous les grands groupes indie à posture anti-commerciale (et même les Stooges) ont fini par céder, est impossible et c‘est tant mieux.
Photos : Robert Gil
Texte : Ordell Robbie