Classique du film de concert présentant les Talking Heads au sommet de leur créativité, Stop Making Sense est repris en salles en France. L’occasion de revenir sur un projet de cinéma parfaitement synchrone de la vision artistique du groupe qu’il filme.

Dès sa sortie américaine, Stop Making Sense avait conquis un statut immédiat de classique du film de concert auprès des critiques et cinéphiles américains, y compris les moins portés sur la chose Rock. Bien avant de connaître la notoriété mondiale avec Le Silence des Agneaux, son réalisateur Jonathan Demme avait vu les Talking Heads sur scène à New York en 1979… puis à Los Angeles en 1983. Il avait vu le quatuor se transformer en collectif multiracial, dans la foulée de l’injection d’influences africaines à la musique des Heads.
Il avait vu Byrne injecter des influences venues du mime, du théâtre japonais Nô et du ballet à ses prestations scéniques, dans un esprit pas si éloigné d’un Bowie. Il avait surtout vu les concerts des Heads devenir de plus en plus scénarisés, théâtralisés, dans un contexte de croissance de leur popularité à domicile. Non seulement les concerts sont mis en scène mais, dans une démarche artistique très newyorkaise, ils sont conscients d’être des concerts.
Filmant le groupe sur plusieurs soirées, Demme va construire un projet de cinéma parfaitement synchrone de la vision artistique de David Byrne. Dès le départ, Demme souhaite filmer le concert, rien que le concert, contrairement à Scorsese sur La Dernière Valse. Il souhaitait au départ inclure abondament, comme dans beaucoup de films de concerts, des plans rapprochés des réactions du public. Mais ce choix nécessitait un éclairage additionnel susceptible d’altérer la spontanéité de ces réactions.
Demme filme soit des plans très larges donnant à la scène des airs de scène de théâtre, soit des plans proches de ou sur la scène. Le spectateur de cinéma se retrouve placé dans la position du spectateur de concert… avant que sur la fin la caméra ne se décide enfin à montrer les réactions de la foule, tendant à ce dernier son propre miroir.
Dans les éléments rappelant que tout ceci n’est qu’un concert, on trouve ces plans parfois en plein milieu des morceaux où l’on voit les roadies installer le matériel scénique. Et la distanciation théâtrale induite par le scénario du concert. Byrne arrive seul sur scène pour interpréter Pyscho Killer à la guitare avec un ghetto blaster jouant une cassette pour battre la mesure. Une partie rythmique en fait interprétée par une boite à rythmes. Avant que les autres membres du groupe n’arrivent progressivement au cours des premiers morceaux. Plus loin, un éclairage projettera les ombres des membres du groupe façon faux hors champ des films de Fritz Lang.
Il y a surtout la prestation à la fois respectueuse de l’énergie primitive du Rock et intellectualisée de Byrne. Une prestation qui est le centre du film, même si ce dernier montre que les Talking Heads de l’époque sont aussi un collectif, bien avant Arcade Fire. Tiré de Girlfriend is better des Heads, le titre du film est synchrone de la démarche de Byrne. De même que l’affiche photographiant Byrne en lui coupant (en partie) la tête.
Stop Making Sense permettra à Demme d’être fortement demandé comme réalisateur de vidéoclips (son culte The Perfect Kiss pour New Order…). Le Rock prendra une place importante dans le film qui lui donne un début de notoriété cinéphile en France : mélange de Screwball Comedy et de Road Movie , Dangereuse sous tous rapports comporte les Feelies au casting, John Cale et Laurie Anderson à la BO. Pour les 40 ans du film qui a changé la manière de documenter un concert, A24 (Everything Everywhere All at Once, Past Lives…) en a distribué une version restaurée aux Etats-Unis.
Ordell Robbie.