[Netflix] « Sandman – Saison 2 » : même les rêves se ternissent…

Après une première saison que nous avions trouvée brillante, la seconde et dernière partie de l’adaptation Netflix du Sandman de Neil Gaiman déçoit franchement…

Sandman S2
Tom Sturridge – Copyright Netflix

Il y a trois ans, la première saison de Sandman avait réussi le pari risqué d’adapter une œuvre aussi célébrée et respectée que le The Sandman de Neil Gaiman : le résultat était aussi accessible qu’ambitieux, avec un visuel certes stéréotypé, assez typique du gothisme « post-Tim Burton » régurgité par Netflix, mais régulièrement frappant. Cette deuxième – et ultime – saison de la série TV était donc très attendue. Et un peu redoutée aussi, vus les soucis judiciaires de Gaiman qui ont largement terni son aura, et qui font qu’il n’aurait pas participé autant cette fois que pour la première saison… mais c’est une autre histoire. En tout cas, ces onze nouveaux épisodes devaient prolonger l’enchantement : ils ne sont hélas que l’ombre pâle, distante, esthétisante, bavarde et froide, de ceux de la première saison. Explications…

Sandman S2 afficheCette fois, on découvre enfin « la famille » des Eternels, qui recèle quelques spécimens croquignolets : le père, dans l’une des meilleures scènes du film, interprété par le formidable Rufus Sewell, et la petite sœur Delirium (Esme Creed-Miles), qui apportera les plus beaux rayons de lumière et éclats de fantaisie des onze épisodes, ou encore Death, représentation joliment enjouée du concept de la « faucheuse ». On plonge surtout  profondément dans le passé du Seigneur des Rêves, pour découvrir toutes les mauvaises actions qu’il a commises (envers la femme qu’il aime, envers son fils Orphée), et dont il va, cette fois, payer le prix (léger spoiler, pardon !). Il s’avère donc très vite que, alors que la seconde saison se passe principalement dans des univers mythiques, à l’écart de la réalité terrestre, le sujet central en sera Morpheus lui-même. Ce qui va poser un GROS problème : toujours campé par un Tom Sturridge atone et perpétuellement figé dans une gravité éthérée, il devient un personnage assez antipathique. Ce pourrait être un choix courageux (ça l’est sans doute dans la BD), mais ici, son évolution – dont les autres protagonistes parlent régulièrement – est quasiment imperceptible, comme si il n’arrivait jamais à s’extraire de son propre labyrinthe de questionnements existentiels. Marmonnant des paroles vagues avec un regard perdu dans la brume pendant de longues, longues scènes, on ne peut guère parler ici de la création d’un personnage « empathique », et, comme des critiques l’ont remarqué avec humour, il y a du « Hamlet sous Lexomil » chez Morpheus. Il est dès lors difficile pour le téléspectateur de ressentir quoi que ce soit envers les malheurs d’un personnage aussi « absent ».

Qui plus est, les premiers épisodes donnent une impression de surplace, comme si les showrunners, satisfaits d’avoir gagné leurs galons « auteuristes » il y a trois ans, s’abandonnaient à l’autosatisfaction. Le fait que ces épisodes constituent un vaste déballage de la mythologie aussi complexe qu’hétérogène de l’univers créé par Gaiman en ravira certains, qui aimeront le foisonnement de personnages excentriques et bariolés, et en irritera bien d’autres, tant on frôle l’indigestion. Et quand on rentre dans le vif du sujet – le passé de Morpheus -, on a le sentiment désagréable d’une prolifération de protagonistes et d’une multitude d’intrigues qui flottent littéralement, loin de toute narration concrète et toute logique. Quelques bonnes idées surnagent, heureusement : l’introduction de nouveaux personnages, comme le cynique chien Barnabas ou, on l’a dit, la belle figure de Delirium, qui apportent un peu de fraîcheur, mais aussi la relation amoureuse contrariée entre Constantine et la seconde version du Corinthian, ou encore l’enthousiasme guerrier de Nuala, libérée des charmes du royaume où elle est prisonnière. Mais ces brefs éclairs d’originalité ne compensent pas la pesanteur d’une narration ralentie et par trop cérébrale. Quant à l’obstination des scénaristes à n’accepter la mort d’aucun personnage, et à les faire revenir à la fin d’une manière ou d’une autre – après tout, voici un univers fantastique où tout est permis -, elle est tout simplement lâche et grotesque.

Sandman ne manque pourtant pas de moyens, et continue de nous impressionner visuellement : certains décors, certaines apparitions, certaines idées transcendent l’esthétique convenue de l’heroic fantasy, évidemment opérante ici, comme dans toutes les séries de genre sur les plateformes. Mais les belles images et les jolies surprises masquent mal le manque d’émotion, l’absence d’urgence, la fadeur de la « chair ».

Et puis il y a tout le bruit autour de la série, hors de l’écran : les polémiques qui reviennent quant à son « ultra-wokisme » qui irrite tous ceux qui sont hostiles à ces concepts, les controverses autour de Neil Gaiman et de ses ennuis judiciaires, les tensions sur le tournage. D’où le doute, inévitable : les décideurs de chez Netflix savaient-ils encore quoi faire de cette série, passée du « produit d’appel » à « sujet embarrassant »… Ce n’est d’ailleurs pas une surprise que la série, après une rapide apparition en haut des classements, ne rencontre pas cette fois son public…

Cette seconde et dernière saison de Sandman n’est toutefois – et c’est heureux, après la réussite de la première – pas un désastre. C’est seulement une série qui se regarde rêver, écrite et réalisée par des gens sûrs de leur fait, probablement presque arrogants dans leur approche, qui se regardent raconter et filmer. On aurait aimé qu’elle nous emmène encore plus loin, mais elle se termine de manière fastidieuse dans un long autosatisfecit (le dernier épisode, interminable succession pendant une heure de discours célébrant Morpheus, sa vie et son œuvre !). Le rêve est devenu un mausolée surchargé de fioritures dignes d’une dictature décadente : on peut trouver ça superbe (au moins par moments), certes, mais on reste indifférent devant ce monument baroque et glacé.

Eric Debarnot

Sandman (The Sandman) – Saison 2
Série TV (US / GB) de David S. Goyer et Allan Heinberg, d’après Neil Gaiman
Avec : Tom Sturridge, Vivienne Acheampong, Boyd Holbrook, Jenna Coleman, Esme Creed-Miles, etc.
Genre : fantasy, fantastique, drame, comédie
11 épisodes de 50 minutes mis en ligne (Netflix) le 3 et le 24 juillet 2025

 

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