La musique a souvent été comparée à une nuisance par une nuée de primitifs ne trouvant aucune gêne aux bruits de la ville, au boucan du modernisme dont la finalité est une amnésie généralisée. Focus sur l’album prometteur du trio montpelliérain The Cracked Heads.
Je suis assis dans un bar miteux, un verre de whisky bon marché à la main, tandis que la musique de The Cracked Heads passe non pas en fond sonore, mais à fond dans une enceinte planquée derrière le comptoir. Je l’ai écouté une dizaine de fois en boucle, mais se le repasser est en soi, toujours un plaisir, surtout Baby please don’t go où la voix du chanteur-guitariste Alex culmine avec son timbre hautement accrocheur. Je commence à être pris de tressaillements au moment où le solo démarre, le barman me regarde avec un air vague de pitié, mais je m’en fous, je suis transporté dans un autre monde où la musique est reine, où les règles de la société n’ont plus cours.
Arrivée au Psycho Motel.
Psycho Motel déboule comme un bolide lancé sans freins, fonçant direct dans vos tympans en dix titres concassés. Sur la banquette décatie de la voiture en question, ça vrombit, ça gronde, ça sent l’excès et la clope froide. À l’instar d’une odyssée musicale digne des livres du regretté Hunter S. Thompson, le trio s’exonère des références évidentes, rappelant par moments les délires syncopés des Cramps, sans jamais se noyer dans la surenchère. D’une audace renversante, basse et batterie se donnent la réplique, tandis que les guitares bavent de riffs resserrés comme les griffes d’un lion évadé d’une cage dont les barreaux seraient imprégnés de LSD. Take Your Beer and Rock ’n’ Roll envoie des uppercuts, la guitare mord la nappe sonore comme un serpent dérangé, c’est carré et efficace. Et ça reste dans la tête.
Je vois des images défiler, des visions de villes en ruines, de déserts infinis, de forêts sombres et mystérieuses. La musique des Cracked Heads est la bande-son d’un film qui n’a pas encore été tourné, une aventure épique qui se déroule dans les recoins les plus sombres de notre imagination.
Sur We are on the Radio, le tempo ralentit juste assez pour que la mélodie vous enlace tendrement, et puis la basse intronise les guitares qui coulissent tandis que la rythmique fait vibrer les murs fissurés et ça repart jusqu’à un bouquet final. Ainsi se termine la face A, avec en contrefeu un petit jazz histoire de siroter un autre verre.
Le groupe se fait soudain plus vicieux sur Psycho Motel : bingo ! Le disque s’emballe, une chevauchée fiévreuse qui n’est qu’à son début. Chaque titre pulvérise la routine. On passe d’une cavalcade surf-punk à une complainte nocturne (Don’t Leave your Mama). L’ordre ici est renversé, la monotonie piétinée. Tant pis et tant mieux, on en redemande, jusqu’à épuiser ses semelles sur le plancher en dansant le skiffle.
Psycho Motel n’est pas un disque comme les autres, c’est une arène où les Cracked Heads balancent tout ce qu’ils ont dans la carlingue. Un shot d’adrénaline rock’n’roll, qui décrasse l’âme, et qui te catapulte vers l’Ouest sauvage. En ces temps de disette, on espère voir le trio écumer toutes les scènes possibles, parce qu’en Live, chaque membre trouve sa place, et que le soufre remonte depuis le sol pour envahir l’espace. Comme un pneu qui aurait accroché le bitume.
Franck irle