[Apple TV+] « Highest 2 Lowest » de Spike Lee : entre le ciel et l’enfer

Le grand retour (?) de Spike Lee en compagnie de son vieux complice Denzel Washington est donc le remake d’un classique de Kurosawa. Improbable ? Pas tant que ça, car Lee sort de la piste à mi-course pour se livrer à une critique de l’évolution de la musique afro-américaine. Boomer un jour…

Highest 2 Lowest
Copyright David Lee / Apple TV+

Adapter Kurosawa en Occident est une idée assez risquée, à moins de s’appeler Sergio Leone et d’inventer un nouveau genre de cinéma sur les bases posées par le génial cinéaste japonais. Il est vrai néanmoins que le sujet de Entre le ciel et l’enfer est universel, et plus encore d’actualité aujourd’hui qu’en 1963 : l’enlèvement du fils d’un riche homme d’affaires qui devient un dilemme moral, mais aussi une question d’image publique pour ce dernier, quand il s’avère que les ravisseurs ont par erreur kidnappé le fils de son chauffeur. Et puis, pour nous donner un peu plus l’envie de voir Highest 2 Lowest (car Entre le ciel et l’enfer avait été baptisé High and Low aux USA), le nouveau Spike Lee marque les retrouvailles entre l’ex-génial metteur en scène et l’un de ses acteurs fétiches, Denzel Washington, après 20 ans.

Highest 2 Lowest afficheMalheureusement, Highest 2 Lowest démarre de manière terriblement poussive, comme si Spike Lee respectait trop le travail de Kurosawa pour s’en éloigner même d’un pas. L’histoire est identique, simplement transposée dans le monde actuel de la musique afro-américaine, et le film ronronne, se perd même dans une accumulation pénible de détails sur la vie de luxe menée par David King, patron célébrissime et ultra respecté dans le monde de la musique, se débattant dans des soucis financiers et de relations avec ses investisseurs, mettant en péril ce qu’il a construit tout au long de sa vie grâce à son oreille musicale. Washington, dont on connaît le goût pour le cabotinage lorsqu’il ne sait pas trop quoi faire de son personnage, n’est clairement pas à son meilleur non plus, et on se résout à ce que Highest 2 Lowest soit un autre de ces films de prestige qui sortent sur les plateformes (le film est produit par Apple TV+) pour leur conférer un peu de crédibilité cinéphilique.

Et puis, à mi-course, Spike Lee se réveille, redevient (presque) le Spike Lee pétulant de ses précieux débuts, et démarre un autre film : à l’occasion d’une remise de rançon pleine de péripéties absurdes, Lee décide de plutôt filmer la musique exubérante d’un festival de rue portoricain. Car Lee est New-Yorkais avant d’être cinéaste, et se délecte de la vitalité populaire de sa ville, bien loin des penthouses de luxe des milliardaires qui regardent le peuple de haut. Politiquement, même si son film parle haut et fort, comme à la grande époque, du peuple noir (osons ce mot puisque Lee lui-même est un chantre inspiré de la beauté et de la force des Black People), il montre dans ces belles scènes de liesse musicale – se confrontant à l’hystérie de fans blancs de football américain dans le métro – la richesse de la mixité culturelle et raciale.

À partir de là, alors que le film confronte King au ravisseur (un A$AP Rocky très convaincant), Lee décide de nous parler de la manière dont il voit l’évolution de la musique afro-américaine au cours des trente dernières années : la célébration de l’argent, la fin – le succès – qui justifie tous les moyens, le mépris des rappeurs envers les femmes, toutes les dérives du music business, Lee les voit, les comprend aussi (Yung Felon est finalement une victime autant qu’un monstre de futilité et d’égoïsme), mais il se positionne clairement comme le défenseur des belles traditions de son peuple. King peut rapper aussi bien qu’un Yung Felon (belle scène de battle dans un lieu incongru), mais il préférera toujours la beauté sublime d’une belle voix soul à la popularité instantanée offerte par les réseaux sociaux à des criminels habiles à jouer de leur image.

Boomers un jour, boomers toujours, Lee et Washington défendent un passé – culturel et musical – qui est celui de leur peuple, qu’ils aiment et dont ils sont fiers. Les plus jeunes d’entre nous en riront certainement, mais Highest 2 Lowest devient presque intéressant quand Lee abandonne son respect un peu confit pour Kurosawa pour nous parler de ce qu’il a sur le cœur, de ce qu’il aime comme de ce qu’il déteste.

Eric Debarnot

Highest 2 Lowest
Film US de Spike Lee
Avec : Denzel Washington, Jeffrey Wright, Ilfenesh Hadera, A$AP Rocky
Genre : drame, policier
Durée : 2h13
Date de sortie (Apple TV+) : 5 septembre 2025

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