« Connemara » d’Alex Lutz : nouvelles images d’Epinal ?

Adapté du roman de Nicolas Mathieu, Connemara d’Alex Lutz suit la trajectoire d’une consultante parisienne en plein burn-out, entre quête de reconstruction intime et étude sociologique d’un pays fracturé. Un film français « du milieu » ambitieux, inégal, mais porté par une Mélanie Thierry incandescente.

Connemara
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Qui n’a pas fantasmé un retour en province parmi les Parisiens « expatriés » à la capitale ? Hélène (Mélanie Thierry), en tout cas, décide d’y revenir avec mari et enfants, après une forme de burn-out – une scène introductive très réussie, où Hélène, consultante accomplie, bugge complètement au moment d’expliquer à ses clients ses recommandations de suppressions (pardon, « optimisations ») d’emplois liés à l’impact de l’IA… Ellipse sur les discussions de famille, un mois d’arrêt suffit visiblement à déménager à Epinal, trouver deux boulots pour des adultes expérimentés, scolariser les enfants, etc… Pas mal, somme toute, pour un personnage en burnout, affublée d’un mari un peu évanescent (incarné par Grégory Montel, dont le talent est peu utilisé ici). Quoi qu’il en soit, ce début de film abrupt, bénéficiant d’un montage sec et dynamique, marque et emporte dans l’histoire adaptée du roman éponyme de Nicolas Mathieu (publié chez Actes Sud, 2022).

Connemara AfficheMais le retour en province ne sera pas une partie de plaisir, on s’en doute (sinon, il n’y aurait pas de roman ni de film). Hélène doit y retrouver sa place, pas naturellement à l’aise dans cet ancien monde qu’elle retrouve, avec son regard et certains réflexes ou grilles de lectures « de bourgeoise parisienne », mais qui en est consciente et doit s’abandonner un peu. Hélène a-t-elle tout réglé pour pouvoir vraiment rebondir, et pour s’assumer en ex-transfuge de classe, revenue à la case départ, Epinal ? En guise d’indice, les séances chez sa psy, guère constructives, sont traitées avec un humour mordant, quasi woodyallénien, dans des flash-forwards qui font partie de l’attirail de mise en scène qu’Alex Lutz a choisi d’utiliser, confirmant un talent de mise en scène entr’aperçu dans le prometteur, mais inabouti Guy (où il incarnait lui-même un chanteur, ex-star de la variété française ayant du mal à sortir tout à fait de scène… décidément, aurait-on envie de dire quand ce Connemara fait référence au tube trans-générationnel de Sardou…).

C’est donc cette femme en reconstruction, sans doute pas encore tout à fait rééquilibrée, qui va rencontrer Christophe (Bastien Bouillon), ancienne star du lycée et du club de hockey sur glace d’Epinal, vivotant de petits trafics, clairement « CSP– » , pour une deuxième partie de film d’amour fou, beaucoup plus attendue par le spectateur. C’est celle-ci, et les conséquences de cette passade amenant à l’inévitable dernière partie, et à la conclusion du film, qui expliquent une bonne part des critiques négatives de certains média de référence et d’influence sur le cinéma d’auteur (Le Monde, Libération, les Cahiers … « le Triangle des Bermudes » comme disait feu Michel Ciment). Alors, c’est vrai, même quand on n’a pas lu Nicolas Mathieu, comme c’est mon cas, l’histoire semble cousue de fil blanc, et avance parfois avec ses gros sabots sociologiques. C’est vrai aussi, les apparitions de Bastien Bouillon font tiquer, tant son personnage est un décalque de celui incarné face à Juliette Armanet dans Partir un jour d’Amélie Bonnin (qui est plus original, dans son traitement de comédie musicale dépressive), jusqu’à rejouer des scènes de patinoire (cette fois-ci des entraînements et matches de hockey, là aussi dans une comparaison défavorable par rapport au film de Bonnin, où LA séquence de patinoire, onirique, est magistrale). C’est vrai encore, les personnages secondaires sont réduits à des ombres, pas du tout approfondis, qu’il s’agisse du mari d’Hélène, de ses enfants, de sa mère (apparition brève, dans une scène marquante mais tardive, de Clémentine Célarié, pas vue à l’écran depuis longtemps), ou de l’entourage de son amant, que ce soit son fils, son ex-femme, son père gagné par la démence sénile, incarné par un Jacques Gamblin qu’on a toujours plaisir à retrouver à l’écran. Là aussi, on relève que la comparaison, inévitable, avec Partir un jour (décidément, LE gros « problème marketing » de ce film), lui est défavorable, là où Dominique Blanc et François Rollin avaient de nombreuses scènes, seuls ou en couple, et existaient véritablement en tant que personnages, rendus si vivants par le talent immense de leurs deux interprètes. Ces défauts, ou ces moindres qualités, font que l’émotion a du mal à jaillir à la vision de Connemara

Mais si tout cela est vrai, nous ne crierons pas avec les loups : Connemara a de l’ambition et de la gueule, porté par un Alex Lutz qui a manifestement réfléchi à sa mise en scène, et a su s’entourer des talents nécessaires, pour en faire un beau film français, à la fois dense psychologiquement et classieux. Et surtout, il est porté tout du long par l’interprétation frémissante de Mélanie Thierry, qui trouve peut-être ici son plus beau rôle, avec une palette très large de sentiments et d’oscillations des émotions dans une même scène, comme cela peut être le cas dans la vraie vie dans des moments intenses. Les films qui osent cela sont en définitive assez rares. Ils prennent le risque du retour de bâton des grincheux, qui peuvent y voir un catalogue de l’Actor’s Studio – à Epinal.

Quant à la la difficulté de dialoguer des deux France qu’elle met en scène, une plus ou moins « nantie », l’autre plus ou moins paupérisée, voire « prolétaire », elle est à certains égards trop archétypale, les Cahiers y voyant même un réflexe typique du monde du cinéma français, qui à force de vouloir dénoncer le mépris de classe en vient à le reproduire. Nous n’irons pas jusque-là et y verrons pour notre part une tentative courageuse d’ausculter ce dialogue de sourds, et sortir des sentiers trop balisés de la Rive Gauche. Certes, l’amour façon coup de foudre comme réponse est sans doute beaucoup trop simpliste, et illusoire, mais le tableau d’une société trop fragmentée et polarisée, qui en définitive, ne se rejoindrait qu’abstraitement, dans l’écoute de vieux tubes de variétoche balancés dans les mariages, sorte de plus petit dénominateur commun sociétal, est peut-être plus profonde, et moins naïve qu’il n’y paraît.

Connemara ? Certainement pas un trip ébouriffant à la Sirat, mais certainement pas le nanar germanopratin du siècle que certains croient avoir vu.

Jérôme Barbarossa

Connemara
Film français d’Alex Lutz
Avec : Mélanie Thierry, Bastien Bouillon, Jacques Gamblin, Clémentine Célarié
Genre : comédie dramatique
Durée : 1h47
Date de sortie en salles : 10 septembre 2025

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