Baxter Dury – Allbarone : Culture Club

Neuvième album pour le dandy londonien, qui se renouvelle drastiquement en optant résolument pour l’électro et la dance. Pour un résultat détonnant.

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Photo : Tom Beard

Dès les premières secondes de Allbarone, premier morceau et premier single de ce nouvel album éponyme, le ton est donné : sons électroniques à gogo, qui n’auraient pas dépareillé sur certains morceaux de dance des 80s et 90s, gros beat, voix féminine en avant… Baxter Dury opte pour le changement et, le moins que l’on puisse dire, c’est que cela s’entend. Enregistré sous la houlette du producteur Paul Epworth (Adele, Bloc Party, Coldplay, Rihanna…), ce neuvième album de Dury Jr est relativement court – 9 morceaux pour 35 minutes au compteur –, optant une certaine densité, digitale, la coloration électro constituant la base de toutes les mélodies. Direction le dancefloor donc, en y allant à fond, jusqu’à flirter avec le disco (Alpha Dog, en milieu d’album, très réussi, possible nouveau classique de son répertoire).

BAXTER_DURY_ALLBARONE_DIGITAL_72_dpiPas vraiment la révolution certes, puisque les sons électro ont toujours existé chez Baxter Dury, mais ici, les machines ont vraiment pris le pouvoir, avec une volonté de faire danser, ambitieuse chez le dandy londonien, les autres ingrédients de sa musique n’y invitant pas a priori : voix traînante à l’accent cockney, déclamant des histoires interlopes dans les coins sombres la capitale anglaise, groove torve charriant flegme, humour noir, amertume et mélancolie existentielles dans un univers que l’on qualifiera de post-gainsbourgien, un peu par paresse certes mais aussi parce que cela a toujours été vrai, et constitue un adjectif assez efficace pour appréhender la musique de Baxter Dury.

L’auditeur, qui pourrait se sentir un peu perdu en terre très électro, retrouve heureusement une partie de ces ingrédients, comme des repères, et en premier lieu les textes : ainsi, Allbarone, la chanson, première composée avec Paul Epworth, « parle d’être assis sous la pluie devant un All Bar One [chaîne de bars à cocktails au Royaume-Uni], en se demandant pourquoi ce qui vient de se passer s’est passé de cette façon », en déballant une histoire d’amour brisée dans les rues de la capitale britannique : un texte déchirant, mais qui veut croire malgré tout en l’existence d’un « fragment d’amour » et que tout ne serait pas fichu.

L’autre nouveauté forte, c’est la moindre présence de la voix du chanteur, au profit d’une montée en puissance en premier lieu de voix féminines, en l’occurrence, de la voix de la Française Fabienne Debarre (du groupe Evergreen, et qui a la lourde tâche de succéder à la formidable Madeleine Hart), dans la lignée des dernières tournées du crooner, les moments chantés à deux, en canon, constituant, de part le contraste naturel entre les tessitures et rythmes vocaux, les moments les plus intéressants. Ainsi, troisième et dernier single propulsé par sa maison de disques, Schadenfraude, du nom donné par Freud à la joie malsaine du malheur d’autrui (!), où la voix de Debarre semble contaminée par celle de Dury, chantant comme revenue de tout « Deja vu on a hotel foyer / Ignored everything you said… », introduisant ici une variante réussie… avant de croiser le fer plus franchement en canon sur la troisième piste, Kubla Kahn, qui sonne comme du Sleaford Mods en mode duo mixte.

Autre originalité, on relève une construction très mathématique, signe d’un esprit plus ordonné qu’il ne veut bien en avoir l’air (ou fruit de conseils de sa maison de disques ?) : The Other Me, titre clairement pivot de l’album en est situé en son milieu (en 5ème position), partageant deux moitiés symétriques de 4 chansons. “It was the other me / Pacing like a panther / Dripping with lust / Everyone’s scared of / Until it’s fun / It was other me / Broken faced anomaly / Screaming truths / Nylon fantasy / It was the other me” déblatère-t-il dans son spoken word à la limite du chant, retrouvant ainsi son ancienne manière. The Other Me, c’est du Dury canal historique, et le vieux fan aurait tendance à trouver cette chanson la meilleure de l’album, avec une montée de la mélodie appuyée par des cuivres seyants. Plus sûrement, c’est aussi la chanson la plus courte de l’album, s’arrêtant au bout de 2 mn 13 secondes seulement, comme si le chanteur nous disait : « je sais toujours faire, et très bien faire ça, mais cela ne m’intéresse plus tant que cela ».

Alors, sur la deuxième partie de l’album, retour aux nouveaux fondamentaux électros, beats et kicks sont à nouveau dans la place. Dury les convoque pour les massacrer parfois, avec des voix déformées (Hapsburg, à la fin heureusement portée par une basse très funky, Mr W4 qui conclut l’album). Mais subsistent dans cette deuxième partie d’Allbarone deux très belles chansons, d’abord Return of the Sharp Heads, deuxième single extrait, qui devrait faire mal sur scène, mélodie structurée autour d’une basse souple, sur laquelle nappes et couches électros s’enlacent, rappelant à certains égards Bentley Rythm Ace, pour qui se souvient de ce groupe des 90s. Puis Mockingjay, 3 minutes simples et irrésistibles, bonne synthèse du Dury d’avant et du Dury d’aujourd’hui (voix du chanteur affirmée, de plus en plus puissante, sur mélodie simple portée par synthés et batterie métronomique, et emportée par des chœurs féminins).

Résultat des courses ? Avec cet album assez orienté culture club, Baxter Dury cherche donc à se dépasser et se réinventer. Le résultat est globalement maîtrisé, le geste et le panache de l’intéressé méritant d’être salués, d’autant que les écoutes rendent à chaque fois plus attachantes ces chansons potentiellement un peu déstabilisantes pour le public historique du chanteur. Allbarone paraît toutefois pas totalement réussi, et pas « parfait », avec cette volonté de rupture parfois trop marquée, qui lui fait en faire un peu trop, voire massacrer certaines mélodies, ou, au contraire, stopper trop vite la meilleure chanson de l’album (The Other Me), sans doute trop représentative de son ancienne manière.

Assumant ses choix esthétiques dans les nombreuses interviews données pour promouvoir Allbarone, « espérant ne pas se mettre à dos trop de gens », mais visant aussi, implicitement, à conquérir un nouveau public. Les salles retenues pour la tournée européenne qui va débuter le 11 novembre en Irlande sont à la hauteur des ambitions nouvelles, d’abord à domicile, le chanteur y visant les salles les plus grandes de sa carrière, alors qu’il n’a jamais été prophète en son pays (à Londres, l’Eventim Apollo, qui peut accueillir jusqu’à 5000 personnes). Même topo dans l’hexagone, où il a toujours eu un succès proportionnellement plus important – à Paris, la Salle Pleyel, quasi complète à l’heure où sont écrites ces lignes, succède ainsi à la Cigale sur la tournée précédente, signe au passage d’une certaine gentrification. Ambitieux, mais, malgré l’existence d’une configuration hybride assis/debout, peut-être pas la meilleure façon de faire remuer un public…

Pour notre part, nous demanderons aussi à voir comment Baxter Dury transformera sur scène cet objet détonnant dans sa discographie : comment intègrera-t-il son ancien catalogue, aux nombreuses pépites mais pas vraiment dansantes, avec ou sans Madeleine Hart, centrale dans la réussite des shows des dernières tournées ?… Réponses sous peu.

Jérôme Barbarossa

Baxter Dury – Allbarone
Label : Heavenly
Date de sortie : 12/09/2025

Prochains concerts en France :
Lille (L’Aéronef) le 26 novembre
Paris (Salle Pleyel) le 4 décembre
Cenon (Bordeaux – Le Rocher de Palmer) le 5 décembre
Villeurbanne (Le Transbordeur) le 6 décembre.

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