« Abena » de Pierre Chavagné : le nature-writing à la française sur fond de survivalisme.

On avait découvert Pierre Chavagné avec La femme paradis en 2023, une lecture marquante qui nous a incité à suivre aujourd’hui sa nouvelle héroïne : Abena.

© Abel Chavagné

Chavagné nous emmène en montagne sur les traces de Kofi et Abena, deux jeunes érythréens qui tentent de franchir les Alpes, poursuivis par des chasseurs de migrants : « impossible de rebrousser chemin, des hommes les pourchassent ». À près de 3.000 mètres d’altitude ils pourraient se croire seuls, perdus au milieu de nulle part. Il n’en est rien et les deux jeunes gens vont être pris en charge par d’autres exclus du monde, qui vivent en ermites tout là-haut.

Il y a là Jo, dite la Vieille, Rob son aveugle de mari, Caïn le taiseux et Pavel, leur plus ‘proche’ voisin, « un ancien soldat ukrainien ou biélorusse, elle n’a jamais vraiment su. Huit heures de crapahutage et trois cols à passer, a résumé Jo. »
Ils vivent là-haut, loin d’un monde qui semble partir en sucette : il y a des bruits et des rumeurs de guerre dans le monde d’en-bas, « des événements graves sont advenus dans le pays. L’État n’existe probablement plus ».
Au plus près des sommets, des sommets qui seront toujours là bien longtemps après la fin de l’humanité, chacun apprend à « se dépouiller de ses réflexes, de ses souvenirs », à faire le « désapprentissage de la modernité ».

On retrouve ici l’empreinte forte des romans noirs de Pierre Chavagné, celle qui nous avait déjà marqués dans La femme paradis : un authentique nature-writing à la française, des personnages féminins puissants, quelques envolées éco-lyriques, un zeste de survivalisme et une pincée de mystères, le tout peint sur une toile de fond où l’on peut deviner la fin de notre monde perdu.
Abena est dédié à Cormac McCarthy, un hommage que l’on devine sincère car avec Chavagné également, notre monde s’éteint et une poignée de survivants tente de fuir cette fin inéluctable… ou simplement de terminer autrement.
Et tout comme sur La route, seuls les plus jeunes seront porteurs d’un espoir de renouveau.
« […] Que faisons-nous ici ?
Il s’absorbe dans une longue méditation et mûrit sa réponse :
– Nous nous soignons de l’humanité.
Ou bien : – Nous vivons la dernière aventure. »

L’éclat de la neige et le soleil des montagnes cachent ici un roman noir bien sombre : « c’est un foutu western » nous dit même un des personnages de Chavagné dont le « but dans ce roman était de mettre en contact des gens de tous horizons qui ne se comprennent pas et n’ont pas les mêmes désirs et ambitions. La disparité et le dénuement de cette communauté permettent de mettre en relief l’absurdité de la vie ».
C’est sans doute ce qui explique pourquoi cette Abena n’a pas tout à fait la force de La femme paradis qui, elle, avait l’avantage de se focaliser sur un ou deux personnages. On pinaille.

Bruno Ménétrier

Abena
Roman de Pierre Chavagné
Editeur : Le mot et le reste
264 pages – 22 €
Date de parution : 21 mars 2025

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.