Avec son nouveau roman, Joseph Incardona plonge le lecteur dans une fable noire et aquatique, portée par Eve, une sirène professionnelle en quête de vengeance. Entre pulp débridé, humour noir et critique sociale, l’auteur revisite le mythe ancestral de la sirène pour en révéler toute la puissance tragique.

Un roman qui donne envie de faire trempette. Les héroïnes de Joseph Incardona ne sont pas des filles comme les autres. Après Stella, la prostituée guérisseuse, voici Eve (lève-toi), la sirène vengeresse.
Laissée pour morte au bord d’une route, Eve a perdu ses jambes et son corps ne compte plus beaucoup de pièces d’origine, comme certaines actrices. Elle ne retrouve la paix et sa liberté de mouvement que dans le grand bleu quand elle enfile sa queue de poisson en silicone pour des shows aquatiques dans les aquariums ou des piscines de millionnaires. L’apnée lui redonne du souffle. Son métier : sirène professionnelle. Son obsession : la vengeance. Son allergie : les sushis.
Elle est soutenue par un détective privé bien ventru et bien amoureux, chargé de découvrir l’identité du responsable de son accident. Eve ne cherche pas son Adam. Depuis son accident, la pomme est devenue compote.
Les romans de Joseph Incardona sont construits en surface comme des films de série B. Pas un temps mort, des dialogues qui sonnent comme des répliques avec un humour Expresso et des scènes très cinématographiques qui frappent l’imagination.
Mais au-delà de la fiction pulpée, originale et distrayante, il y a l’écume de la rancune. Celle qui dénonce l’impunité des puissants, celle qui s’afflige des îles de plastique, agglomération de déchets de plastique dans les Océans, honteux septième continent, celle qui s’insurge contre les lâchetés individuelles, délit de fuite en avant.
Dans ce roman, qui est à mon avis son meilleur, Joseph Incardona revisite le mythe de la sirène. Cette version est très éloignée de la version Walt Disney et du conte d’Andersen. Alors que leur sirène s’échoue à la surface de l’Océan pour observer le monde avec curiosité, Eve plonge pour rejoindre les abysses et fuir ce bas monde. Un retour aux origines tragiques du mythe grec.
J’ai adoré mais ne comptez pas sur moi pour m’inscrire dans les clubs de sirènes et tritons, espèces invasives de nos piscines municipales. J’ai déjà du mal avec le bonnet de bain et le slip moulant, alors s’il faut rajouter le maquillage à la Nina Hagen et la queue de poisson, je ressemblerai trop à un silure.
À défaut, ce roman m’aura redonné le goût pour ces créatures, intérêt perdu comme par hasard depuis qu’elles avaient remis le haut dans les films avec des bikinis de Coquilles Saint-Jacques. Marée basse. le mythe a perdu de sa magie. Pourtant, j’aime les plateaux de fruits de mer. La nostalgie de Darryl Hannah.
Bisou bulle pour cette sirène aphone.
Olivier de Bouty