[Live Review] caroline à Petit Bain : voyage en terre inconnue

L’étonnant groupe britannique de post-rock caroline était de passage à Petit Bain à Paris, pour décliner sur scène son deuxième album sorti au printemps, véritable OVNI musical. L’attente était grande pour les amateurs de sons inattendus.

caroline Robert Gil
caroline à Petit Bain – Photo : Robert Gil

Voyage en terre inconnue de lundi soir à Petit Bain, à la découverte de l’octuor britannique caroline, devant décliner sur scène son réussi mais déstabilisant deuxième album sorti au printemps, caroline 2.

Nina Garcia Robert GilMais, avant cela, la première partie est assurée par Nina Garcia, jeune guitariste, qui s’installe sur les coups de 20h30, seule avec sa guitare devant une salle déjà bien remplie, pour une grosse demi-heure de noise instrumentale. Le son est très fort, plus que dans le rouge, la musicienne varie les effets, en soulignant que ses premiers morceaux sont extraits de Bye bye bird, album sorti en février dernier, et qui fait visiblement suite à un premier LP, Autoreverse, si l’on en croit le stand de merch de l’artiste. Le public apprécie manifestement, pour ce qui nous concerne, on a moyennement adhéré, et surtout pensé, ou imaginé que cela pouvait ressembler à des concerts que pouvait donner Jim O’Rourke il y a 30 ans dans des tripots de la côte est, ou à certaines premières parties bruitistes et expérimentales que Sonic Youth pouvait inviter sur certaines tournées (par exemple, Jean-François Pauvros jouant de la guitare à l’archet à la Mutualité en 1999).

caroline Robert Gil 02Pourquoi pas ? Mais le plat de résistance, c’est bien aussi. Place donc après une demi-heure de battement, à caroline, dans une péniche affichant à présent complet, avec un public très composite, ce qui fait plaisir à voir – certes assez masculin, mais au moins très divers dans les âges brassés ce soir, preuve que le post-rock n’est pas mort et que le groupe a su toucher plus large que sa niche théorique. L’octuor (on ne se lasse pas de ce mot, somme toute rare) va prendre enfin possession de la scène à 21h35, avec cinq minutes de retard sur l’heure (déjà tardive) prévue, en se disposant de manière inhabituelle sur scène, nous installant d’ores et déjà dans une autre dimension. Quatre musiciens sont installés à gauche sur scène (violon, guitares, chant), trois à droite (guitare, violon, saxophone), et jouent face à face, à 90 degrés du public, en entourant le batteur. Les instruments joués indiqués ici sont les « dominantes » de chaque musicien, qui vont souvent en changer ou en introduire de nouveaux (trombone, violoncelle…) au cours de ce set d’un bloc, sans rappel, d’une heure et dix minutes, avec une set-list de dix chansons, dont huit du deuxième et récent album, et deux du premier.

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Dès le début du concert, on sent que le groupe a, logiquement, une volonté d’application, en veillant bien à jouer en symbiose, et à recréer son chaos organisé au millimètre, ce qui n’a rien d’évident quand on écoute la musique de caroline (qui fait penser à des choses aussi complexes que Gastr del Sol, Tortoise, ou certains albums de Low)… et que l’on est huit sur scène, avec des instruments aussi différents. On constate aussi, dès ce premier morceau, que les chanteurs, Mike O’Malley et Jasper Llewellyn avec l’appui de la violoniste Magdalena McLean (dont l’apport vocal nous a paru plus important sur scène), s’appliquent à poser sur ce bazar mélodique leurs voix, et leurs textes souvent basiques, et énigmatiques, faits de paroles répétées comme des mantras, afin de bien en ménager l’efficacité. Et enfin, on salue la malice du groupe, à l’œuvre dans son dernier album, et ici ce soir : ainsi, le groupe ouvre le set par song 2 (en deuxième position sur l’album, et sans aucun lien avec Blur), et s’appliquera à ne pas jouer beautiful ending en conclusion (mais en 7ème position), la dernière chanson étant Total euphoria, qui ouvre l’album…

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Il y a une certaine grâce, un certain charme, dans la retranscription sur scène de caroline 2, même celle-ci reste assez « scolaire », très proche de l’album. Voir ces jeunes musiciens qui s’échinent à croire dans la puissance de la création collective, et à former un collectif sur scène, à montrer qu’ils croient dans les vertus de leur forme post ou alt-rock totalement perchée de manière quasi chamanique, et réussir à toucher un public significatif en retour, a quelque chose de réconfortant, De ce set captivant, nous retiendrons en priorité When I get home, accompagné d’un beat léger, U R ONLY ACHING, à la puissance progressivement dynamisée par un saxophone bien senti, Two riders down, qui monte progressivement pour finir en jam noisy (meilleure chanson sur scène comme sur l’album), Tell Me I Never Knew That, sans la reine hyperpop Caroline Polachek, présente en invitée surprise au chant sur la version enregistrée, mais avec sa jolie trompette épuisée, et c’était très bien comme cela, et Total euphoria pour clôturer en beauté. On n’aura pas remarqué de différence marquante dans les deux compositions plus anciennes (Dark blue et Good morning (red)), peut-être légèrement moins déconstruites, mais très cohérentes dans l’univers du groupe de 2025.

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Alors, on pardonnera bien volontiers au groupe d’être peu dissert sur scène, car très appliqué à organiser son chaos. On a juste relevé une présentation d’un guitariste « remplaçant » un des titulaires pris pour obligations paternelles, très bien intégré… et, de manière plus longue et sympathique, vers la fin du concert, l’effort, dans un français très correct de Jasper Llewellyn pour expliquer la démarche artistique pour le moins particulière à l’origine de la chanson Coldplay cover (qui n’a bien sûr aucun rapport avec le groupe) : « Il y a deux chansons en une, les deux moitiés du groupe ont joué une chanson au salon et à la cuisine, on va essayer de recréer la chanson sur scène… ». Ce n’est pas tous les jours qu’on entend ce type d’explication, puis ce type de chanson qui va avec, pas plus « incohérente » finalement que les autres, ou plutôt relevant de la même (et logique à sa façon) incohérence.

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Alors que les lumières de notre péniche préférée se rallument, la vision d’une bonne cinquantaine de personnes assaillant le stand de merch et les membres du groupes présents ensuite, est un autre signal. De quelque chose qui serait comme la confirmation d’un grand espoir. Si ce début de phénomène n’est peut-être pas aussi intense et novateur qu’avec Mogwai 30 ans auparavant, si l’on peut prendre un point de comparaison « post rock », il est difficile en tout cas d’en nier l’évidence. Indéniablement, dans l’univers du « rock indé » au sens large, il se passe bien quelque chose avec caroline.

Nina Garcia :
Caroline :

Jérôme Barbarossa
Photos : Robert Gil

caroline et Nina Garcia à Petit Bain
Production : VEDETTES
Date : le lundi 15 septembre 2025

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