Séphora Pondi décrit dans Avale l’ascension d’une jeune actrice noire, qui percute de plein fouet un milieu du cinéma toxique et des comportements masculinistes. L’autrice prend le temps de construire deux personnages, incarnés comme rarement dans une fiction.

Lame sent qu’elle a une carte à jouer dans le monde du cinéma et elle est bien décidée à se donner les moyens de ses ambitions. Jeune actrice noire qui se raconte à la première personne dans Avale, on découvre un personnage qui lutte entre deux mondes. Celui d’où elle vient avec son amie Génia, une éducatrice de l’ASE avec qui elle a grandi en HLM. Et de l’autre il y a le monde du cinéma avec ses codes, ses faux semblants et l’apprentissage d’un métier difficile. Un métier qui joue beaucoup sur l’apparence et ce que l’on renvoie aux autres. Lame n’est pas à l’aise avec ça et tôt dans le roman elle se livre sur ses difficultés, à commencer par un eczéma qui ne la lâche pas et qu’elle décide de traiter avec des séances d’hypnose.
En alternance avec les chapitres où Lame raconte sa trajectoire, sa vie, on découvre Romain (ou plutôt Tom depuis qu’il a voulu changer de prénom). Un jeune homme de 29 ans qui vit chez ses parents et qui a bien du mal à gérer ses idées noires. Tom a des obsessions, et le corps et le sexe en font partie. C’est très difficile pour lui de refouler ses pensées sordides et l’isolement qu’il côtoie à plusieurs reprises ne fait que renforcer cela. On découvre son parcours tout comme Lame, un parcours qui tourne en rond, car Romain est à la fac et redouble régulièrement. À 29 ans, il est toujours dans le même cursus malgré des facilités pour se faire bien voir de l’administration et des adultes encadrants de la faculté.
Ces deux histoires vont se percuter un soir, un soir de finale en juillet 2018. Reste à savoir comment, même si le premier chapitre du roman donne un aperçu de ce qui a pu se passer entre les deux personnages. C’est très sombre, écrit dans une langue au plus près de la chair, du corps, des sensations des personnages. Séphora Pondi s’attache à retranscrire des moments qui peuvent à la fois rendre mal à l’aise le lecteur et en même temps remuer, questionner, et c’est toute la force de ce livre. Lame a un rapport à son corps singulier comme Romain, chacun pour des raisons bien différentes. Le rapport à cette enveloppe corporelle est un thème qui revient au fil des chapitres, tout comme le regard que l’on porte dessus soi-même ou à travers les pairs.
L’écriture restitue très bien le souffle de Lame, la colère qui affleure derrière ses mots sur certains passages, cette difficulté pour elle de conjuguer son mal être et ses ambitions professionnelles dans le cinéma. On remonte l’histoire de Romain en parallèle avec son passé, derrière cette soirée de juillet 2018. La tension augmente progressivement et l’on donne du sens aux réactions de Lame et de Romain, en percevant petit à petit leurs cheminements.
La question du regard que les autres peuvent porter sur soi est donc prégnante dans ce roman, mais ce serait dommage de s’arrêter à ce thème, car il est aussi question des comportements toxiques des hommes, de ce qu’ils se croient permis sans aucune limite ou encore des troubles alimentaires. On sent que Séphora Pondi a travaillé un style qui permet de restituer au mieux cette violence subie par Lame et ce qu’elle traverse. Ces regards violents notamment, qui le sont de bien des manières, que ce soit dans le milieu du cinéma ou ailleurs. Avale est un roman qui sort le lecteur de sa zone de confort. C’est aussi pour ça que l’on accroche, lorsqu’il y a ce travail sur la forme et sur le fond que l’on n’a peu lu ailleurs. Une belle découverte de cette rentrée.
Sébastien PALEY