[POUR] « Sirāt » de Óliver Laxe : Rave Road

Éloge du délestage et de l’amputation — des motifs comme des mobiles — Sirāt dissout la fable du père pour faire vibrer la communauté, la poussière, la nuit. Un trip radical où la techno devient cérémonie, puis convoi malade, jusqu’au feu qui consume tout et révèle la route.

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Oliver Laxe est un cinéaste du parcours : dans Mimosas, les protagonistes accompagnaient une dépouille dans l’Atlas marocain. Viendra le feu suivait un ex détenu parcourant les montagnes de sa Galicie natale, où il semblait laisser un sillage d’incendies. Sirāt, qui signifie chemin, se veut une extension de ces motifs : la rave qui ouvre le film se déploie pleinement à la nuit tombée, lorsqu’un show laser permet de dessiner des marches sur les gigantesques roches des canyons. La musique et la lumière inscrivent une autre voie possible, un sentier escarpé que vont emprunter un groupe composite de teufeurs, auquel s’ajoute ce père de famille à la recherche de sa fille. Dans cet univers à la marge, c’est l’euphorie qui prime : l’immersion dans la communauté se veut une ode sensorielle, où la frénésie hypnotique de la techno a l’ampleur d’une cérémonie, un lâcher prise où tout semble possible. Le départ vers un nouveau lieu prend alors les proportions d’une conquête des espaces inviolés, les camions filant avec l’arrogance des pionniers.

sirat-afficheOn en oublierait presque le motif du père, à la recherche de sa fille disparue : dans cette fuite en avant, le son sublime tout (en réglant l’ampli, l’un des techniciens affirme : « on sait jamais quand ça va lâcher »), et le LSD semble diluer la perception d’un réel qui se fragmente : pénurie d’essence, climat de guerre imminente accentuent l’avancée dans des territoires à l’écart de la civilisation. La rage des beats cède le pas au son des moteurs lutant avec la roche, la vitesse des warriors de Mad Max se fragmente dans une lutte tendue plus proche du Salaire de la peur ou Sorcerer.

Mais cette évolution est elle-même une transition : car le Sirāt en question est un chemin métaphorique qui conduit du paradis à l’enfer. Immanquablement, le feu viendra. Laxe va malmener les codes, les règles de la narration, ses personnages et le spectateur lui-même pour le rendre disponible à de nouvelles appréhensions de lui-même. Dans cette atmosphère crépusculaire, il est temps de puiser dans des ressources insoupçonnées.

« C’est ça qu’on sent quand c’est la fin du monde ?
– Je ne sais pas, mais ça fait longtemps que c’est la fin du monde.
 »

Sirāt ajoute à la difficulté du trip, sur des voies escarpées, les soubresauts violents d’un récit radical, qui déleste les protagonistes, voire tous les mobiles initiaux de la narration. Éloge de la blessure, de l’amputation des membres, des membres de la famille, c’est un itinéraire de délestage, où l’on commence par s’arracher à son pays, détacher la calandre de sa voiture avant de se plonger à corps perdu dans un décor en voie de dématérialisation. Dans la poussière ou les explosions violentes, les plans s’élargissent et la nuit, débarrassée des oripeaux de la fête, n’est plus que striée par d’infimes faisceaux de phares perdus dans l’immensité.

Dans Mimosas, Laxe déstructurait la temporalité et les éléments narratifs, béances qu’on retrouvait aussi dans Viendra le feu. Sirāt est de ce point de vue plus accessible, mais pas moins déroutant : les brutales trouées de son récit invitent à une introspection dont on ne maîtrisera jamais tous les enjeux. En dépit du réel, contre lui, puis avec lui, les protagonistes poursuivent la danse, écho destroy et rageur à la vision identique que proposait, sous un angle bien plus glamour, la chorégraphie dans Life of Chuck. Pulvériser l’ego n’entame en rien son mouvement.

« Marcher sans réfléchir » dans un champ de mines n’empêche en rien la profonde et intime connexion avec un monde qui ne demande qu’à révéler de nouveaux chemins.

Sergent Pepper

Sirāt
Film franco-espagnol de Óliver Laxe
Avec : Sergi López, Bruno Núñez, Jade Oukid
Genre : Drame
Durée : 1h55mn
Date de sortie en salles : 10 septembre 2025

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