« La Station », de Jakub Szamalek : huis clos en apesanteur

Après sa trilogie du darknet qui explorait les dangers de l’intelligence artificielle, les trafics d’images pédocriminelles et la cybercriminalité, le polonais Jakub Szamalek surprend avec un thriller spatial qui se déroule au coeur de l’ISS dans un contexte géopolitique tendu avec la reprise des rivalités entre les Etats-Unis et la Russie.

Jakub Celej
© editions metailie

Août 2021. La commandante Lucy Poplaski rejoint la station spatiale internationale depuis la base de lancement russe de Baïkonour. Elle va prendre la tête de l’équipage international pour six mois, une autorité surtout formelle car à l’instar des cinq autres astronautes, elle doit simplement suivre un programme préétabli. Au cours de son commandement tournant, elle n’aura pas à donner le moindre ordre. A moins qu’une situation de crise ne se déclare.

editions-metailie.com-la-station-station-hd-1Et elle se déclare assez vite. Une fuite d’ammoniac. Est-ce une fuite des circuits de refroidissement de l’eau dans lequel circule de l’ammoniac liquéfié ? Est-ce le résultat d’un accident aléatoire ou celui d’une action délibérée, un sabotage rendu possible par le fait que pendant une éruption solaire, les caméras ont été éteintes et la transmission de données télémétriques suspendues. Lucy doit garder un oeil sur tout alors que ses soupçons grandissent sur la présence d’un saboteur à bord.

« Les gens. Le maillon faible. Tous les autres éléments de la station pouvaient être mesurés, testés, améliorés, et leur paramètres exprimés dans une formule élégante. Mais les membres de l’équipage restaient une énigme. Tout le monde avait quelque chose à cacher. Bien sûr, on faisait son possible pour sélectionner au mieux. (…) Les méthodes variaient, mais aucune n’était efficace à cent pour cent. Tôt ou tard, quelqu’un qui n’aurait absolument pas dû aller dans l’space passait à travers les mailles du filet, pour des raisons de santé, pour des raisons de caractère ou à cause d’un sens moral défaillant. »

Six astronautes enfermés, 2 russes et 4 américains, tous personnages complexes aux multiples moteurs qui les font avancer, à commencer par Lucy Poplaski qui a dû beaucoup sacrifier et se battre pour en arriver là. C’est à ses côtés qu’on découvre l’ISS. Jakub Szamalek a fait un énorme travail de documentation pour parvenir à plonger de façon très immersive le lecteur dans le quotidien millimétré de la station, et sans pour autant transformer son texte en techno-roman qui ne parlerait qu’aux geeks. Même quand on n’a aucune culture scientifique, on parvient à comprendre le fonctionnement de cet espace soumis à la fonction, composé de série de modules tubes de la taille d’un bus, rempli de boutons, câbles, manivelles.

« Elle se sentit comme dans un caisson de privation sensorielle : les limites de son corps devinrent floues, elle se déconnectait de ses sens, immergée dans un bruit blanc. Les pensées qui, dans la journée, étaient noyées dans le grondement de la ventilation, reléguées au second plan, dispersées, s’alignaient à présent, les mots qu’elle avait entendu revenaient en écho. »

L’ISS est le cadre parfait pour un thriller. Jakub Szamalek sait parfaitement utiliser son espace étriqué, la promiscuité engendré, son isolement pour faire monter un suspense claustrophobe, palpable à chaque page dans cette course à la survie avec un ou des saboteurs à démasquer, la paranoïa envahissant progressivement les esprits. L’intrigue enchaîne les péripéties (souvent avec un humour doucement ironique), des extraits d’un procès-verbal d’audition daté de décembre 2021- soit quelques mois après les faits racontés – attisant la curiosité car on sait à travers eux que la sortie dans l’espace s’est mal passé.

Et derrière ces aventures techno-spatiales se dessine une réflexion géopolitique qui résonne avec l’actualité. La station spatiale internationale est le fruit de l’optimisme des années 1990 post guerre froide, un effort commun pour construire un laboratoire volant de 120 milliards de dollars, symbole d’une utopie partagée. Mais depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, c’est le retour des tensions américano-russes, d’autant plus que de nouveaux acteurs de l’espace sont apparus, la Chine et surtout les Space X avec ses capsules CrewDragon. L’ISS sera désorbitée en 2030, remplacée par des stations commerciales.

Jakub Szamalek montre à quel point l’arène géopolitique de l’ISS reproduit dans l’espace ce qu’il se passe dans le monde, le progrès scientifiques n’allant pas de pair avec le progrès civilisationnel.

Marie-Laure Kirzy

La Station (Stacja)
Roman de Jakub Szamalek
Traduit du polonais par Kamil Barbarski
Editions Métailié
380 pages – 23€
Date de parution : 3 octobre 2025

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.