Invasion avait tout pour s’imposer dans le paysage SF : budget colossal, ambitions mondiales, casting irréprochable. Trois saisons plus tard, il reste surtout l’impression d’un trou noir narratif où se sont englouties idées, émotions et téléspectateurs.

Pour peu, on mériterait une médaille pour avoir réussi à aller jusqu’au bout des trois saisons et trente épisodes d’Invasion, l’une des séries de prestige de la maison Apple TV+ (normalement réputée pour la qualité de ses productions, souvent bien supérieures à celles de la concurrence). C’est que l’ennui qui nous a régulièrement envahis au fil du visionnage d’Invasion nous a souvent donné envie d’abandonner, et ce n’est que la curiosité de voir jusqu’où ses showrunners iraient dans leur errance narrative absurde qui nous a retenus de le faire.
Les créateurs de cette histoire d’une attaque de notre planète par des extraterrestres incompréhensibles semblaient avoir toutes les cartes en main : une approche différente d’une histoire pourtant bien usée, une perspective globale plutôt que US-centrée (abandonnée quand même lors de cette saison, qui se déroule entièrement sur le territoire des États-Unis), un casting soigné (il n’y a pas beaucoup de films d’action ayant mis une arme dans les mains de Golshifteh Farahani, mais elle s’en tire plutôt bien !), une mise en scène techniquement soignée, un budget conséquent autorisant des effets spéciaux convaincants, voire parfois même impressionnants… Ce qu’on a vite compris, pour résumer la chose en une phrase, c’est qu’avoir de l’ambition ne pallie pas l’absence d’une vision. Expliquons-nous…
Dans cette troisième et dernière saison, les extraterrestres, que l’humanité pensait contenus, sinon détruits, repassent à l’offensive depuis la Dead Zone où se trouve leur vaisseau-mère : ils ont cette fois une nouvelle forme, et mènent en parallèle une offensive mentale puissante, qui semble impossible à vaincre. Mais, bien sûr, la petite troupe de héros qui s’est constituée lors des deux saisons précédentes va repartir à l’attaque, dans le no man’s land entourant la forteresse gigantesque des aliens. Face à eux, va néanmoins se dresser l’obstacle d’une organisation qui a tout d’une secte, prônant la soumission à ces envahisseurs messianiques, supposés amener l’humanité à un niveau supérieur.
Ce qui est bien, dans cette troisième saison, c’est qu’on a – enfin ! – des scènes d’action, des moments de tension, mais aussi des enjeux clairs, susceptibles de maintenir notre intérêt de manière moins sporadique que dans les deux premières. En deux mots, on s’ennuie moins, et moins souvent, devant Invasion. Ce qui ne veut pas dire que la série ait enfin trouvé sa voie : fondamentalement, Invasion reste la vitrine luxueuse d’un magasin presque vide (d’idées). Jusqu’à la fin, on attendra le sujet, la thèse d’Invasion, la raison pour laquelle on a mis autant d’argent, réuni autant de talents, dans une série qui n’aura jamais été réellement divertissante ! Invasion est un exemple rare de blockbuster existentiel qui oublie lui-même d’exister, faute d’un moteur narratif.
Le dernier épisode, en forme de crescendo émotionnel interminable et d’une lourdeur étouffante, est finalement la cristallisation de tout ce qui n’a pas fonctionné tout au long des trois saisons : Invasion a tout misé sur l’humain (ce qui serait plutôt une qualité !), mais a passé tout son temps à ressasser les mêmes sentiments, les mêmes souffrances : culpabilité, séparation, retrouvailles, cliffhanger, repeat. Si on a ressenti de manière douloureuse la lenteur de toutes ces histoires, c’est que cette lenteur a échoué à nourrir l’évolution des personnages ou des situations. Les outrances psychologiques se sont avérées trop déconnectées des enjeux narratifs, du contexte science-fictionnel, pour pouvoir nous embarquer.
C’est ainsi par exemple que, si le concept des fanatiques conspirationnistes voyant l’arrivée des envahisseurs comme l’opportunité de refonder l’humanité autour de valeurs religieuses est réellement intéressant, il ne débouche finalement sur pas grand-chose, et ne s’avère qu’un obstacle scénaristique classique sur la trajectoire des personnages principaux, qui sera réglé l’arme au poing.
Il n’y a donc pas grand-chose à sauver d’Invasion : quelques belles images, quelques idées séduisantes, le tout noyé dans une confusion psychologique et émotionnelle qui n’a évité aucun poncif sur la famille, sur l’amour, sur ce qu’est être humain (face à un adversaire qui ne l’est pas). Au point que, honnêtement, on ne peut que conclure par un « Tout ça pour ça ? » désabusé.
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Eric Debarnot
