Perfume Genius était de passage à Paris dans le cadre de la tournée de Glory, son septième album, sorti au début du printemps. L’occasion de faire le point sur la carrière de l’artiste américain, étendard d’un rock américain adulte de qualité et intense, mais à la production en dents de scie.

L’Américain Mike Hadreas, alias Perfume Genius, était de passage à Paris, en cette veille d’Halloween, dans l’écrin vermillon du Trianon, pour appuyer son (déjà) septième album, Glory, sorti au début du printemps, et toujours chez Matador. Au fond, comme pour les précédentes livraisons, nous avions salué la force intacte de l’univers fragile, parfois plus dense, de l’artiste, dans tous les cas très personnel, mais aussi ses hésitations esthétiques le faisant flirter avec un son rock mainstream, capable aussi bien du meilleur (le rapprochant dans ce cas de REM, voire, à certains égards, de Radiohead 90s), mais aussi du pire ou du « gnan-gnan »…
Au milieu de tout cela, une force motrice qui le propulse depuis des années : sa voix, immaculée, capables de grands écarts, et sa personnalité, attachante, de celui qui a connu plusieurs vies, et porte haut ses blessures, et ses revendications identitaires, l’homosexualité en premier lieu. Au Trianon, son public et l’ambiance sont d’ailleurs, visiblement, assez communautaires, avec de nombreux couples d’hommes, parfois de femmes, venus assister au concert, et on ne peut s’empêcher de se dire qu’Hadreas a visiblement encore « de la marge » pour conquérir un plus large public, que son talent mérite sans aucun doute. La salle du Trianon en elle-même, avec des balcons pleins, sonnera ce soir un peu creux : un remplissage autour des deux tiers pour la fosse, c’est un peu dommage pour un artiste désormais bien établi dans le paysage.
Dans l’immédiat, sur les coups de 20h, c’est l’artiste non binaire Meg Duffy, alias Hand Habits, en provenance de L.A., qui occupe la scène du Trianon avec ses musiciens. Hand Habits est connu des amateurs de musique puisque iel a accompagné sur scène divers groupes chéris, tels The War On Drugs, Weyes Blood et Perfume Genius lui-même. Iel a chanté avec Matt Berninger sur son dernier album solo, et mène une discrète carrière solo, marquée par la sortie d’un nouvel album, Blue Reminder, fin août. Sur scène, l’Angelino-a propose une demi-heure de folk très classique, avec quelques moments plus sombres, soulignés par des lumières outremer et mettant en valeur sa voix, qui n’a pas non plus énormément d’aspérités. Bref, c’est un peu mou mais relativement habité, suffisamment pour qu’on se dire qu’on a passé un moment agréable, et que cet-te artiste sera peut-être à revoir dans d’autres conditions.
Un peu avant 21h, avec quelques minutes de retard sur l’horaire théorique, c’est donc vers l’enfant terrible Hadreas que tous les regards se tournent. Accompagné d’un solide groupe dans une formation classique (guitare, basse, batterie, claviers), celui-ci va délivrer un show ramassé d’une heure dix, avec la bonne idée de capitaliser sur les meilleurs morceaux du dernier album Glory, à l’honneur avec le triplé introductif In a Row / It’s a Mirror / No Front Teeth (enregistrée avec Aldous Harding, ici absente), pour un joli rodage. Ce seront six morceaux de Glory qui seront jouées ce soir au total, les dix autres étant piochées avec parcimonie dans son répertoire, avec une impasse sur les deux premiers (Learning, 2010, et Put Your Back N 2 It, 2012), et comprenant deux covers. On regrettera pour notre part que l’artiste ne sélectionne que deux chansons dans son très beau cinquième album, Set My Heart On Fire Immediately (2020) : On the Floor, en milieu de concert, et première grande chanson du concert, sur ce fil du rock mainstream, ou adulte, ému et frissonnant, mélodique et intense, plus que dans sa version enregistrée en tout cas, puis Describe, ludique et réussie, avec son gros riff « fun », puis son solo de basse funky, enfin avec un outro en rupture, toute en nappes synthétiques, chanson prouvant que l’artiste peut aussi élargir son horizon artistique.
Quoi qu’il en soit, c’est la « vieillerie » Slip Away (sur l’album No Shape, 2017), en quatrième position, qui va faire vraiment décoller ce début de concert, suivie par une belle version de Left For Tomorrow, pour un retour au dernier album. Dès lors, l’Américain va beaucoup se contorsionner, danser, ramper parfois, arpentant la scène de long en large, appuyé par jeux de lumières de couleurs sobres et efficaces, ménageant des contrastes, entre obscurité entretenue, et grands flashes colorés, rouges, violets, blancs… Au passage, et cela contraste bien encore une fois avec Bar Italia la veille à la Maroquinerie, Perfume Genius se permet une certaine proximité avec son public dans quelques apartés sympathiques, comme notamment pour rappeler son premier concert à Paris il y a quinze ans (au Point FMR : « Il y avait une trentaine de personnes, j’étais terrifié… Et le suis toujours ! »), en remerciant ceux dans la salle qui auraient été présents aux deux concerts.
Nous aurons droit aussi à une parenthèse que d’aucuns pourront trouver « gnangnan », ou frémissante et émouvante, selon les goûts et l’humeur, quand le chanteur se met au clavier, à la place de son partenaire « de vie et de création » Alan Wyffels, pour chanter en solo deux chansons : Me&Angel, sur un fil, et Polly, une reprise d’une chanson du duo country-bluegrass US Dillard & Clark (composé de l’ancien membre des Byrds Gene Clark et du joueur de banjo Doug Dillard, auteur de deux albums en 1968-69) : une référence pour ma part assez obscure, mais je ne prétends pas être historien en americana non plus. La fin du set sera ensuite très réussie avec une montée en puissance progressive, de l’impeccable Clean Heart (sur le dernier album) à la grand messe des conclusifs Eye in the Wall, hypnotique (sur le précédent album Ugly Season, 2002), enchaîné sur le déluge sonore de My Body (sur Too Bright, 2014). Enfin, dans cet enchaînement, l’artiste et son groupe se délivrent vraiment de leur joliesse et de tout ce qui semble un peu « l’empêcher », sur scène comme sur ses enregistrements, pour livrer une performance totalement habitée et intense, de bout en bout. Mais c’est peut-être l’amateur de jeunesse sonique qui sommeille en nous, et qui s’est ici plus que pris au jeu, qui parle avant tout…
En tout cas, après une heure pile, il est déjà temps de quitter la scène et de revenir rapidement pour un court rappel, allant à l’essentiel : d’abord, une deuxième reprise également jouée systématiquement sur la tournée, Fade Into You, de Mazzy Star, dans une version vibrionnante, assez conforme à l’original, et sous des lumières pourpres, fidèles à l’univers de l’album dont cet incunable des 90s est extrait. Bizarrerie, comme pour la précédente cover, le chanteur ne signale pas la reprise ni l’artiste repris, et préfère curieusement remercier son guitariste, responsable juste de la reproduction du motif mélodique lancinant de la chanson. Puis, le plus gros « tube » pour finir, du moins sa chanson la plus streamée, Queen, hymne d’affirmation queer et manifeste en faveur du renversement des normes sociétales, jouée avec force et sans fioritures. Mike Hadreas s’enroule alors dans le rideau de bord de scène, jouant à cache-cache comme avec son identité, en sortant enfin, rampant, se relevant… pour quitter la scène pour de bon.
Au final, Perfume Genius a délivré indéniablement un « bon concert » ce jeudi soir à Paris, mais un peu court, l’heure dix jouée pour un artiste ancré désormais dans le paysage, en tête d’affiche de grandes salles dans les capitales, constituant la seule réserve, importante, à notre enthousiasme. On a ainsi du mal à comprendre pourquoi la setlist était plus courte de quelques chansons que sur les dates américaines récentes, et le rappel écourté d’une chanson en comparaison ; en terminant à 22h07 précises, il y avait encore un peu de marge jusqu’au fameux couvre-feu. Alors quoi ? Un peu de déception de l’artiste face à ce Trianon clairsemé ? On n’en saura pas plus ce soir, mais il est dommage de finir ainsi un concert sur un sentiment de légère déception, et l’on ne peut s’empêcher de penser que l’artiste, qui a certes le droit d’avoir ses émotions, n’est peut-être pas conseillé au mieux, comme sa discographie, qui interroge. Comment, avec un tel « matériel », Matador n’ont-ils pas transformé tout son potentiel en tas d’or ? Pourquoi Perfume Genius n’est-il pas « bigger » que cela ? Il est en tout cas temps pour une longue odyssée en ligne 2 sur ces questions, qui aboutiront pour ce soir sur des tunnels de non-réponses…
Hand Habits : ![]()
Perfume Genius : ![]()
Jérôme Barbarossa
Photos : Nicolas Roger (merci à lui !)
Perfume Genius et Hand Habits au Trianon (Paris)
Production : Radical
Date : le jeudi 30 octobre 2025
