[Interview] Micah P. Hinson : « Besoin de plus de lumière, de plus de vent dans les voiles de nos bateaux… »

Ce n’est pas si souvent qu’on vit un moment magique en interviewant un musicien, surtout un artiste qu’on adore, qu’on place au dessus du lot. C’est pourtant ce qui est arrivé pour cet entretien avec Micah P. Hinson, qui, au delà de l’immense « folk singer » que l’on connaît à travers ses disques, est aussi un être humain passionnant.

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Photo : Lina Castellanos

Benzine : Micah, je crois que tu habites à Madrid, maintenant ?

Micah : Yes, sir! J’ai déménagé à la fin de la pandémie, je faisais des allers et retours de 90 jours, j’ai effectué la demande de résidence donc je peux maintenant y vivre. Ma femme est Colombienne, elle aussi la résidence en Espagne. J’aime voir autour de moi, à Madrid, qui est une ville internationale, une ville de mélanges, les visages de gens qui viennent d’un peu partout, d’Amérique Latine…

Benzine : … Et c’est probablement un bon moment pour être loin des USA…

Micah : ¡Sí, sí! Mon pays a toujours été très effrayant. Il y a toute cette propagande mensongère, « Land of The Free », « Home of The Brave », mais les masques sont en train de tomber. La manière dont nous, Américains, parlions de nous-mêmes, est devenue de plus en plus fausse. L’une des choses les plus préoccupantes, c’est que je viens en théorie d’un endroit où nous avons le droit de parler franchement, tant qu’il ne s’agit pas d’incitation à la violence. Et maintenant, je dois me préoccuper du fait que les gens du pouvoir peuvent regarder sur les réseaux sociaux, sur Internet, ce que je dis. Ma femme est Colombienne, nombre de mes amis sont gays, nombre de mes amis n’ont pas la peau blanche, et nous sommes les nouveaux ennemis de l’Etat ! Il y a vraiment eu un changement il y a quelques années. Alors je prie – et prier est un mot bizarre parce que je ne m’adresse pas au Dieu des croyants aux USA – que les gens qui me sont chers connaîtront un jour où ils n’auront plus à se soucier de tout ça.

Mais bon, on va parler de musique, pendant que le monde est en train de brûler !

Micah P Hinson Photo Lina Castellanos 02Benzine : Tu vis en Espagne, tu as enregistré ton dernier album en Italie, pourquoi ces choix ?

Micah : D’un point de vue purement technique, j’aurais sans doute dû le faire depuis longtemps. Ma carrière a toujours été en Europe. Il y a 15 ans, j’avais un label aux US, mais mon public était en Europe, et habiter aux US rendait les choses difficiles pour booker les tournées ici. Et pour justifier les coûts ! La musique, c’est ma vie, et c’était comme être deux personnes différentes : celui qui venait en tant que touriste jouer en Europe, et celui qui vivait en famille au Texas. Et la manière dont on parlait de moi dans la presse, comme ce Texan mystérieux et déprimé, eh bien je ne suis pas sûr que c’était vraiment moi. J’étais devenu un stéréotype de moi-même.

Mais durant la pandémie, on a tous eu le temps de réfléchir, d’évaluer la situation, et je me suis rendu compte que je n’étais pas heureux. Bien sûr, le bonheur n’est pas le but unique dans la vie, car nous avons des responsabilités. Mais je me sentais vraiment misérable, avec les gens de ma famille qui ne me comprenaient pas. Et puis cette situation familiale a explosé, il y a eu le divorce, il y a eu pour moi des moments très difficiles, aussi bien financièrement que spirituellement. J’ai donc pris la décision de laisser cette vie derrière moi. C’est une longue histoire, en fait.

Benzine : … Mais on peut en deviner une partie à travers tes chansons. Et dans ton dernier disque, tu sonnes comme une personne différente… Il y a vraiment une rupture…

Micah : ¡Sí, sí! L’album précédent, I Lie To You, a été enregistré alors que je n’avais plus de label, j’étais presque sur le point d’arrêter la musique, d’aller bosser dans un casino, comme un bon Indien ! On a enregistré ces chansons, qui étaient de vieilles chansons que je n’avais pas encore mises sur un album. Mais il y avait cette chanson, Ignore The Days, qui a été comme une étincelle. I Lie To You devait être mon disque d’adieu, et il est devenu mon disque de retour. De retour vers moi-même. Toutes les chansons de The Tomorrow Man sont nouvelles, écrites depuis le présent. Finalement, le gros problème, c’est que, jusque là, je ne parlais que de mon passé, j’écrivais des chansons sur des gens qui, d’une certaine manière, étaient « morts pour moi ». Et si tu ne fais que chanter au milieu d’un cimetière, c’est dur de trouver ton chemin vers l’avenir.

Benzine : Et donc ce « Tomorrow Man », c’est toi ? Qui sort du cimetière…

Micah : Ça a vraiment commencé comme ça, oui, je suis « l’homme de demain ». Mais le but de la musique, c’est que les gens voient leur propre histoire, leur propre destin dans les chansons. J’essaie de poursuivre cette mission des chansons « traditionnelles », qui est de faire de tout le monde de meilleurs être humains. Dans le monde où nous vivons, il y a des choses qui ne fonctionnent pas pour l’humanité, nous avons tous besoin de nous remplir de plus de lumière, de plus de vent dans les voiles des bateaux de notre putain d’existence : l’être humain de demain doit trouver un endroit où être plus raisonnable, plus aimant, plus soucieux des autres.

Benzine : La bonne nouvelle, c’est que tout ça se sent dans ce nouvel album ! Alors pourquoi l’Italie, pourquoi le grand orchestre ?

Micah : C’est étrange, je me suis réveillé un matin, et je me suis rendu compte que j’étais entouré d’Italiens. Mon label, mon management, mon producteur, mes musiciens. Ce n’est pas que j’ai décidé un jour : « J’ai besoin de n’avoir que des Italiens dans ma vie » [Rires]… Ça a été le résultat des circonstances… Mais, musicalement, si tu retournes jusqu’à mon premier album, The Gospel of Progress, il y a des cordes, du violoncelle. J’ai toujours été intéressé par les émotions que ça provoque. Mais ça demande de l’argent, du soutien de la part de ton label, donc je n’ai jamais pu me le permettre. Au départ, on pensait d’ailleurs faire les cordes de manière « réduite » comme pour I Lie To You, mais il s’est trouvé qu’il y a eu l’opportunité d’utiliser un orchestre à Naples. Malheureusement, je n’ai pas pu assister à l’enregistrement de l’orchestre, j’étais au Texas et au Nouveau Mexique avec mes enfants.

En fait, quand j’étais enfant, j’ai été influencé par John Denver, qui a toujours utilisé un grand orchestre. Et je voulais aussi aller aussi près que possible de la musique mélodramatique des « Princesses Disney » ! J’aime l’idée que la musique soit excessive. Bon, Disney n’est pas quelque chose que j’imaginais un jour avoir comme référence, mais, putain, voilà, j’y suis ! [Rires]

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Benzine : Je ne suis pas venu te voir en showcase aux Ballades Sonores, j’ai préféré attendre un concert dans une vraie salle…

Micah : Oui, on sera à Paris, et à Bordeaux aussi. mais ce n’était pas si mal en showcase, mes chansons sont toujours nées sous cette forme, la guitare acoustique, la voix, et le travail d’adaptation à une format de groupe, d’orchestre venait ensuite. Donc c’est facile pour moi de revenir à la base de l’émotion originelle des chansons.

Je vais jouer, comme pour I Lie To You, avec le groupe composé de Paolo Mongardi, à la batterie, un vrai poids lourd de la musique, et Asso, qui est notre pieuvre à nous, qui joue de tous les instruments sur lesquels il peut poser la main. Juste nous trois. Ça nous a demandé du travail d’adapter les chansons de The Tomorrow Man, mais dans le fond il s’agit de retrouver l’esprit original.

Benzine : Et c’est trop tôt sans doute pour en parler, mais quels sont tes projets ?

Micah : Il y a toujours de nouvelles aventures, mais je pourrai déjà commencer à enregistrer un nouveau disque aujourd’hui même ! Je réfléchis quand même à ce qui serait le mieux : laisser du temps à The Tomorrow Man pour exister ? On pensait autrefois d’ailleurs que les albums avaient une vie longue, que les gens vivraient un bon moment avec eux. Mais on vit aujourd’hui dans le futur, avec le streaming, et maintenant, c’est plutôt l’approche est « Qu’est-ce qu’on peut faire pour retarder la mort inévitable de l’album ? » Je fais ce boulot de musicien depuis 20 ans, et je ne comprends toujours pas le côté « jetable » de la musique aujourd’hui.

En fait, c’est simple : si tu as tout, tu n’as plus rien. Toute la musique est là, à notre disposition sur ces « robots », mais, dans le fond, qu’est-ce qu’on a réellement ? Mais je refuse que ça affecte la musique que je fais, ça ne va pas m’empêcher de recruter un grand orchestre à Naples, et de faire tout ce que pense être nécessaire pour ma musique.

Benzine : Le problème est quand même l’équation économique, car il est presque impossible de vivre de la musique aujourd’hui.

Micah : C’est un vrai problème. Je me souviens de mon label qui s’appelait Full Time Hobby, et j’avais pensé : « Oh, quel nom amusant ! » Mais après quelques années, je me suis dit : « Oh merde, c’est bien en effet un Full Time Hobby ! » [Rires].

Mais j’essaie de rester dans une perspective « d’éternité ». Ce qu’on fait, ce sont des albums qui existent physiquement, donc, tant qu’il y aura encore de l’électricité, quelqu’un pourra les écouter. Et dans 100 ans, peut-être que quelqu’un pourra m’écouter et trouver ça intéressant.

Benzine : Oui, restons optimistes !

Micah : Je fais plein d’interviews, et je parle de plein de choses, de ce qu’est être un « Native American », du colonialisme, et à mon sens, on peut être optimistes : on voit les problèmes, et on les résoudra, on ne va pas se mettre la tête dans le sable. C’est le moment de créer le changement ! C’est le moment de protester contre Spotify qui investit dans l’armement et utilise notre argent pour ça. A ce propos, j’aimerais retirer ma musique des sites de streaming, avoir juste Bandcamp. Mais quand je vois la liste de pays où vivent les gens qui m’écoutent… Ce matin, quelqu’un au Congo était en train de m’écouter… Il y a une responsabilité, je dirais presque sacrée, de l’artiste, dont la musique peut être entendue jusqu’aux putains de confins de la planète. C’est important : je me sens responsable de ça. Je suis un « musicien Folk », ce qui par définition signifie que je fais de la musique pour le peuple, pour les gens. Je ne peux pas le refuser parce que la « machine » qui véhicule ma musique est monstrueuse.

Propos recueillis par Eric Debarnot le 7 novembre 2025.

Micah P. Hinson jouera au Café de la Danse (Paris) le mardi 25 novembre et à la Rock School Barbey (Bordeaux) le samedi 29 novembre.

Le dernier album de Micah P. Hinson :

The Tomorrow Man

Micah P. HinsonThe Tomorrow Man
Label :  Ponderosa Music Records Srl.
Date de parution : 31 octobre 2025

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