[Live Review] Micah P. Hinson et Asso au Café de la Danse : la mauvaise réputation

Dans la foulée de son magnifique dernier album très orchestré, Micah P. Hanson a gratifié un Café de la Danse littéralement en lévitation d’un concert de toute beauté, qui marquera les esprits. Sans hésiter non plus à commenter avec l’humour corrosif qu’on lui connaît la situation des Etats-Unis.

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Micah P Hinson au Café de la Danse – Photo : Eric Debarnot

Allons-y franco : il n’y a pas, à notre avis, beaucoup d’artistes sur la planète en ce moment du calibre de Micah P. Hinson. Quelqu’un que l’on peut placer sans être particulièrement audacieux dans une filiation Johnny Cash (la country music transcendée, la VOIX) – Leonard Cohen (la poésie, l’humour noir et… la VOIX). Mais comme Micah joue de la Country music (comme il dit, que faire d’autre quand on est né à Memphis, Tennessee, et qu’on a grandi au Texas ?), peu de gens le prennent vraiment au sérieux. Aux USA, il est le genre d’outsider que l’Amérique qui pense être « Great Again » méprise, mais surtout craint. Qu’elle hait, en fait : il a des racines indiennes, ses amis n’ont pas la peau blanche et beaucoup sont « gays », voire « pire ». En Europe, il n’a d’abord séduit que ceux qui voient la country music comme une joyeuseté folklorique, et qui crient « Yeeehaaa » s’imaginant être des cowboys sur la piste de danse – ce qui a le don d’énerver Micah, parce qu’il considère ne pas jouer la même musique que ces « putain de bigots racistes et sexistes qui ont donné une mauvaise réputation au genre ». Mais peu à peu, à force de sortir des albums à la beauté bouleversante, il a gagné de ce côté-là de l’Atlantique des fans qui ne manqueraient pour rien au monde l’un de ses passages dans les environs. Pas assez nombreux malheureusement à Paris pour remplir une salle plus grande que le Café de la Danse, ce qui est quand même une aberration tragique, quand on voit les pitoyables clowns qui remplissent le Zénith ou même Bercy.

Cela étant, il faut reconnaître que, nous les premiers, nous étions séduits par son côté « cabossé », finalement très rock’n’roll, de loser flegmatique, de provocateur hilarant, de drôle de punk texan… Et que sa métamorphose récente, résultant de son changement de vie (divorce, installation à Madrid, stabilité musicale offerte par son partenariat avec le musicien-producteur italien Asso Stefana…), en « homme de demain », nous a surpris. Nous savions donc que, pour ce concert au Café de la Danse, nous n’aurions pas en face de nous le chanteur nerveux de Petit Bain il y a trois ans, qui nous avait offert un set terriblement malaisant, et impressionnant.

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A 20h00, c’est Alessandro « Asso » Stefana qui ouvre la soirée, avec trente minutes d’une musique instrumentale, souvent très cinématographique, à la guitare acoustique et à la pedal steel, qui nous permet de vérifier le talent, et même la virtuosité du musicien. Certaines pièces musicales ont été créées pour accompagner la voix d’un mineur chantant le blues a capella, créant un effet de « résurrection des fantômes » qui ne manque pas d’intérêt. Reste que l’on attend l’arrivée de Micah avec impatience !

A 21h00, le trio Micah-Asso-Paolo (Mogardi, impressionnant batteur !) prend possession de la scène, assez chichement éclairée pour le coup, avec des lumières qui resteront la plupart du temps fixes. Le message, lui, est clair : le « spectacle » est dans la musique (… et dans les mots de Micah, puisque ce dernier va se montrer particulièrement communicatif, voire volubile au cours des presque deux heures qui vont suivre). On attaque par Oh Sleepyhead, chanson écrite par Micah P. Hinson pour sa fille qui vit toujours au Texas : l’intro de Tomorrow Man permet de se rendre immédiatement compte de toutes les qualités à venir du set de ce soir. La voix de Micah a cette merveilleuse texture, chaleureuse et fragile à la fois, qui nous touche en plein cœur, l’accompagnement musical d’Asso et Paolo a une ampleur tout à fait étonnante, qui permet de suppléer sans problème à l’absence de l’orchestre symphonique de l’album. C’est très beau, à la fois « tout confort acoustiquement », mais suffisamment bouleversant toujours pour que la magie de Micah reste intacte.

2025 11 25 Micah P Hinson Café de la Danse (1)Les douze titres de The Tomorrow Man seront joués, dans un ordre respectant grosso modo celui de l’album, avec seulement quatre morceaux extraits des albums antérieurs à I Lie To You. Nous aurons droit en revanche à cinq morceaux de I Lie To you, cinq merveilles, dont une version tétanisante de Carelessly, le beau Ignore The Days, et le presque commercial People – qui a quand même un texte accablant, sur l’évolution de la culture US de l’amour des autres jusqu’à l’envie de les tuer, en passant par la haine et l’indifférence – au cours du rappel. Et lorsqu’un fan demanda à Micah de jouer l’un de ses classiques des débuts, il répondra franchement : « Non ! Car ça me donne l’impression d’être en train de relire mon journal intime ». Comme il nous l’a expliqué dans l’interview qu’il nous a donné, il ne veut plus chanter dans un cimetière, mais aller chercher l’espoir d’une amélioration dans le futur. « Tomorrow Man », comme il le dit.

Chacun trouvera les plus grands moments de beauté de la soirée là où son cœur aura le plus tremblé. J’avoue que j’ai vibré sur la superbe valse de I Thought I Was The One… jusqu’à ce que, ensuite, Micah explique que c’est sa chanson récente qu’il aime le plus, mais « qu’il a honte, car elle lui donne l’impression d’être devenu « emo », et de chanter dans Blink 182 » ! Et puis en fin de set, le lyrique Walls. Et encore, en rappel, le terrassant I Was Just Standing There, impossible à écouter sans avoir les yeux inondés de larmes.

2025 11 25 Micah P Hinson Café de la Danse (6)Mais ce concert, au-delà de sa perfection musicale, a été aussi l’occasion pour Micah de partager abondamment avec nous ses vues sur les Etats-Unis, sur son passé de colonisation, et sur son présent fasciste. Il rit des hillbillies incultes du Sud, il raconte l’histoire de son peuple, les Indiens Chickasaw, qui ont croisé la route du conquistador Hernando De Soto, dont ils décimèrent les troupes face aux exigences arrogantes des Espagnols, il regrette la substitution des croyances ancestrales par le Dieu des Blancs (il y a d’ailleurs cette phrase terrible dans I Don’t Know God : « I don’t love God and He don’t love me »).

Mais le sommet de ce dialogue entre Micah et son public sur des sujets « politiques » va survenir à l’occasion du rappel : la batterie de sa guitare acoustique étant déchargée, Asso s’occupe de l’instrument, et Micah se lance dans une réflexion sur la situation actuelle des USA et du monde. Il parle de sa déception après les grandes manifestations contre le génocide à Gaza :  » Maintenant on n’en parle plus, on est passés à autre chose« . Sa recommandation : « Arrêtez d’écouter les voix des blancs, écoutez celles des Native Americans et des peuples d’Amérique Centrale… » Ou encore, plus engagé : « Vu là où on est (c’est-à-dire près de la Bastille), vous Français vous savez ce qu’il faut faire contre ceux qui vous dominent et vous oppressent ». A ce moment, une voix s’élève de la salle, lui intimant de chanter (« Sing! »). Sa réponse sera cinglante : « Voilà, c’est exactement ce qu’ils veulent : tais-toi et chante, tais-toi et achète ton iPhone, tais-toi et paie ton abonnement à Amazon. » !!!

L’intelligence de la posture humaine et politique, la force des mots, la beauté des chansons, l’excellence de l’interprétation : que pouvait-on attendre de plus ? Les fans qui l’ont vu à chacun de ses passages à Paris m’ont avoué que c’était le plus beau concert qu’il ait donné jusqu’à présent. Et même la direction du Café de la Danse n’a pas osé interrompre Micah P. Hinson pour respecter le couvre-feu. A 22h45, après 1h55 de l’un ces sets qui deviendront légendaires, Micah nous a relâchés, prêts à retourner au monde. Plus humains. Plus forts aussi.

Concert de l’année 2025 pour moi. Sans hésitation aucune.

Micah P. Hinson :

Eric Debarnot

Micah P. Hinson au Café de la Danse (Paris)
Production : Voulez-vous danser / Café de la Danse
Date : le mardi 25 novembre 2025

Leurs derniers albums :

2025 11 25 Alessandro Stefana Café de la Danse AlbumAlessandro StefanaAleSSandrO Stefana
Label : Ipecac Recordings
Date de parution : 17 mai 2024

 

 

 

 

2025 11 25 Micah P Hinson Café de la Danse AlbumMicah P. HinsonThe Tomorrow Man
Label : Ponderosa Music Records
Date de parution : 31 octobre 2025

 

 

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