On progresse, de Alain Bertrand

onprogresse.jpgOn ouvre le dernier ouvrage de Monsieur Bertrand, légèrement inquiet : allons bon, il se prend pour Philippe Delerm maintenant, il a écrit une série de chroniques nostalgiques sur sa vie quotidienne et les réminiscences de l’enfance, on va avoir droit au fameux refrain du  » c’était mieux avant, ma bonne dame » ». Passées les premières pages, on reconnaît s’être lourdement trompé.

« On progresse » est, au contraire, une réjouissante analyse, poétique et caustique, des rapports entre l’Homme (notez la majuscule arrogante) et les objets du quotidien qu’il a créés au cours des siècles précédents. Des ustensiles devenus indispensables pour la facilité de notre existence, des accessoires pratiques pour pallier à  nos vies speedées et désorganisées. Bref, tout pour nous rendre, a priori, la vie plus vivable…mais la plume d’Alain Bertrand, acérée tout en restant légère et drôle, nous rappelle vertement la dépendance néfaste que nous avons avec ces machines censées améliorer nos modes de fonctionnement. l’Homme à  la merci des objets, fatalement.

Plongez avec délice dans les vignettes douce-amère de ce catalogue brillant d’inventions pratiques : ici, l’ordinateur devient un objet pourvu d’une âme, déprimée de surcroît ; le robot ménager sous ses aspects multifonctionnels dévoile vite sa vraie nature (ne servir à  rien !) ; la hache peut rapidement se transformer en arme de destruction d’arbre mais aussi de couple ; le tapis roulant pour sportif témoigne de la vacuité de l’effort musculaire pour obtenir de piètres résultats dans l’estime de soi »

« et ainsi de suite :  » On progresse  » demeure surtout jubilatoire car Alain Bertrand ne cède jamais à  la facilité d’un style pompeux, ou moqueur, ou désabusé ou même naîf. Il se joue plutôt de la futilité de certains objets et de leur emploi, il use de métaphores étonnantes, trouve toujours le bon mot pour la bonne idée, ces billets d’humour et d’humeur ressemblent finalement à  de la poésie en prose.

Ce livre est un régal, à  savourer différemment d’un roman classique ; ne le lisez pas d’une traite, picorez et dégustez, commencez par la fin, et notamment l’histoire étonnante du cornet à  frites, à  chercher du côté de l’Antiquité Egyptienne chère à  Vialatte plutôt que dans les légendes culinaires du plat pays. Devant l’inéluctable frénésie de vouloir améliorer un peu plus le monde, Bertand pose un regard doux et bienveillant, accompagné de coups d’oeil cruels, et impose une poésie à  peine désabusée, toujours délicate, sur l’ironie de la chose. La meilleure blague belge de l’année : épicée et subtile.

Jean-françois Lahorgue

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On progresse,
auteur : Alain Bertrand
Editeur : Le Dilettante
224 pages – 16 euros
Format : 12à—18 cm
parution : octobre 2007