The Limits of Control

affiche.jpgY-a-t-il vraiment du souci à  se faire pour la suite de la carrière de Jim Jarmusch ? Si l’un se pose la question, elle n’affleure pas à  l’esprit de l’autre, plutôt conquis par la liberté et l’anticonformisme retrouvés et revendiqués de la part du réalisateur de Broken flowers

Jim Jarmusch est un cinéaste que l’on adore adorer ; en marge du système hollywoodien qu’il renie, touché par la grâce des années 80 (son cinéma des débuts, Down by law ou Stranger than paradise), toujours imprévisible puisqu’il surgit là  où on ne l’attend absolument pas… Autant dire que nombreux sont ceux qui convoitaient d’ajouter son nouveau film au sein de leur panthéon, et la réponse à  cette attente insoutenable tient… de l’imposture.

Le réalisateur de Broken Flowers est à  ce point doué et empreint d’un goût de la nostalgie, toujours reconnaissable dans son empreinte un peu déjantée, qu’il a décidé que, dans n’importe quel cas, son public serait prêt à  le suivre. Le parterre sidéré d’admirateurs largués en pleine route aura bien prouvé le contraire ; The Limits of Control n’est qu’une vague supercherie d’un auteur dont on aurait aimé qu’il soit honnête jusqu’au bout. Tout son cinéma finement alcoolisé tombe dans le fossé d’une création contemporaine et abstraite complètement artificielle, dénuée de signification ou même de sensations. On a l’impression que Jim Jarmusch veut ici confronter le minimalisme (de l’histoire, des personnages) à  un style excessif rempli de formes labyrinthiques et de jeux de lumières, perturbant ainsi l’effet des unes et des autres. Mais le plus flagrant reste le vide total du propos ; car même quand il veut jouer sur les genres, le film s’enfonce plus bas encore dans l’insignifiant et la paresse, transformant le dialogue en une répétition robotique de mots superflus, ou à  des silences à  l’esthétique de clips sur des morceaux tirés d’un juke-box de musique indépendante.

La profusion d’acteurs fait elle aussi partie du mystère : à  quoi bon étaler une telle palette de stars si c’est pour que chacune soit reléguée à  l’état d’apparition soudaine, l’une érotique, l’autre mystique, une autre hystérique, une humoristique. Pourquoi tout mêler dans cet infâme capharnaüm d’acteurs, de bruits, de pensées, de sensations inabouties ? Impossible de suivre cette cavale d’un ennui assommant, road-movie du pauvre dans lequel il ne se passe bien moins que rien sinon un exercice de style mort-né et désossé de toute structure claire. Jim Jarmusch a-t-il vraiment cru, dans sa faible source d’inspiration qu’a dû être l’entourage du moment, qu’une paire de seins, un désert perdu, des rues catalanes, une guitare, un tango, et une construction psychédélique à  base de tableaux abstraits et de boîtes d’allumettes auraient pu servir à  l’aboutissement d’un film ?

Certains maîtrisent la bizarrerie, d’autres la mélancolie, d’autres encore le mystère, et les plus talentueux sont ceux qui maîtrisent les trois à  la fois. The Limits of Control lui, fait l’étalage de ces trois possibilités mais se noie dans un abîme sans fond de prétention formelle et de non-sens cinématographique, n’arrivant jamais à  relier trois paramètres qui demandent une maîtrise totale de la narration et du style. De la part d’un si grand cinéaste, on appelle ça une immense déception, de celles qui suscitent l’inquiétude pour la suite.

Jean-Baptiste Doulcet

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Cinéaste de la déambulation, Jim Jarmusch revient avec The Limits of Control dans un registre plus identifiable, celui du road-movie contemplatif, à  l’origine de ses films les plus marquants, réussis et personnels. Cette patte était déjà  présente dans Stranger than Paradise, qui le révéla au monde en 1983, résume à  elle seule la caractéristique de la filmographie du réalisateur de Broken flowers. Fréquentant les marges, jamais aussi à  l’aise que dans la confrontation des cultures et le mélange des genres artistiques, Jim Jarmusch continue à  détourner et à  s’approprier les codes cinématographiques, : après le western (Dead Man) puis le film de samouraîs (Ghost Dog), il , revisite aujourd’hui le thriller (en y adjoignant d’ailleurs un peu des deux styles précités) dans cette lente et imprévisible errance ibérique d’un homme mutique et solitaire, chargé d’une étrange mission dont les éléments ne nous sont délivrés que petit à  petit.

The Limits of Control peut se voir comme un rébus, un jeu de pistes divisé en trois étapes, : Madrid, Séville et Almeria. Tout est ici question de rituels, : aussi bien du côté de l’énigmatique agent (ses doubles cafés dans deux tasses différentes, ses costumes impeccables et la manière de les plier) que des processus utilisés par les contacts successifs chargés de lui délivrer la clef pour le stade suivant (une question introductive sur sa méconnaissance de la langue, un discours sur l’art, le cinéma ou la peinture, la remise d’une petite boite d’allumettes contenant un message sibyllin qu’il s’empresse d’avaler). La mise en scène ludique épouse les contours d’un puzzle en cours d’assemblage devant nos yeux amusés et intrigués, à  l’affût de l’événement suivant. The Limits of Control, qui croit au pouvoir (subjectif) de l’art face au pouvoir économique au sens large, est aussi truffé de références et de citations (on y voit l’hommage en clin d’oeil espiègle et respectueux de Godard, Hitchcock, Antonioni ou encore Kaurismäki). D.’abord citadin, sur un traitement à  l’esthétique facile et convenue (le jeu sur les perspectives, les lignes droites et brisées), le film se débarrasse de ses tics en gagnant le sud aride et désertique, en superposant, toujours par jeu, les cadres (l’écran englobant là  une fenêtre de wagon, ici une ouverture dans un mur) traversés par un héros à  la démarche chaloupée et languide (interprétation impeccable du rarissime Isaach de Bankolé).

Film irréaliste ne s’embarrassant pas d’être vraisemblable (pour pénétrer dans un bunker, l’agent confesse juste qu’il a fait preuve d’imagination), The Limits of Control sait tenir en haleine le spectateur, à  la fois bercé par la torpeur mélancolique et contemplative enrobant l’incroyable périple et titillé par la construction subtile qui s’érige devant lui, reposant tant sur la répétition (les rites) que sur un ajout saupoudré de nouveaux indices et le recoupement des précédents. Au-delà  d’un seul exercice de style vain, il faut envisager The Limits of Control créant son propre espace de liberté et d’anticonformisme joyeux et sans prétention, d’une élégance feutrée et sensuelle, sans ostentation, à  l’aune de toutes les participations courtes et amicales d’un casting international.

Patrick Braganti

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The Limits of Control
Film américain de Jim Jarmusch
Genre : Thriller
Durée : 1h56
Sortie : 2 Décembre 2009
Avec Isaach de Bankolé, Alex Descas, Jean-François Stévenin,…

La bande-annonce :