Mystery – Lou Ye

Mystery marque le retour officiel de Lou Ye en Chine : un film noir qui essaye de parler en filigrane, des tares de son pays. Habile dans son scénario et sa mise en scène, Mystery n’est pourtant pas exempt de reproches.

Pour mémoire, , le cinéaste chinois avait été frappé d’une interdiction de cinq ans de tournage après Une Jeunesse chinoise (2006). Mais il avait, néanmoins, réussi à  tourner sous le manteau Nuits d’ivresse printanière, un film traitant d’un sujet tabou en Chine, l’homosexualité. Après Love and Bruises tourné en France, Lou Ye réalise donc Mystery avec l’aval, cette fois, des autorités chinoises. Et de là  à  imaginer que les ratés relatifs du film viennent d’emblée de cette contrainte…il n’y a qu’un pas : faire un film »inoffensif » sans perdre, pour autant, ce qui fait la personnalité de Lou Ye, c’est-à -dire, un regard critique sur la société chinoise ; voilà  qui n’est pas si simple. Le réalisateur choisit donc de faire un film noir : une femme découvre, peu à  peu, la double vie de son mari, et lorsque la maîtresse de celui-ci meurt écrasée dans un accident de la route, on est en droit de se demander s’il ne s’agit pas d’un meurtre et si tel est le cas, qui l’a tuée. , N’est exposée ici qu’une partie des mystères du film car Lou Ye dévoile, petit à  petit, ce qui se cache derrière les apparences ; non sans une certaine habilité et même un sens du suspense d’ailleurs (un bon point que l’on peut attribuer au film). Le spectateur a le sentiment d’être plongé totalement dans un film noir, fait de mystères , peu ragoûtants, de personnages troubles au deux visages et d’engrenage fatal. Une histoire un peu classique au final, voire convenue, mais le cadre est toutefois différent de ce que l’on a l’habitude de voir : la ville de Wuhan, montrée sous une pluie omniprésente et brouillant ainsi la vue de protagonistes, est loin de ressembler à  une petite ville du Midwest ou même à  New York. Le film est bien chinois et Lou Ye en profite pour évoquer en passant quelques tares actuelles de son pays : le pouvoir des Nouveaux riches, l’individualisme galopant, la corruption généralisée, y compris des forces des polices. Le cinéaste ne s’y attarde pas trop et ces sujets n’en restent qu’au niveau d’une toile de fond. , Il est vrai que, Mystery hésite souvent entre les deux, un film de genre et un film d’auteur, pour un résultat dès lors un peu bancal. De même, la structure du récit hésite entre l’éclatement et la linéarité : devenant un Inaritu à  moitié, Lou Ye veut perdre son spectateur mais pas trop. Ce parti-pris,un peu tiède, est lui aussi un peu batard.

Côté mise en scène, Lou Ye tire les bénéfices de son expérience de, Nuits d’ivresse printanière, adoptant, dans toutes les scènes intimes, une caméra légère qui vient se placer au plus près de ses personnages. Mais là  aussi, il ne se contente pas de cette seule façon de faire. Pour la peine, cela sert le film :, Lou Ye adapte sa mise en scène au contexte et aux situations de son film, proposant un travail plus sophistiqué. Citons quelques exemples. La scène d’amour illégitime est montrée de manière totalement impressionniste, par une série de sensations ; peut-être est-elle d’ailleurs le fruit de l’imagination de la femme trompée. La caméra opte pour de longs travellings, fluides et aériens, quand il s’agit, au sens propre; de prendre de la hauteur sur le déroulement du récit. La séquence de l’accident, en ouverture, n’épargne ni montage choc ni bande-son tonitruante, pour un résultat plus vrai que nature. Par la suite, cette même scène sera montrée, côté »coulisse » révélant ainsi le secret central du film : la mort de cette maîtresse encombrante est montrée, dès lors, dans une emphase tragique digne du martyre de Sainte-Blandine. Pour Lou Ye, la culpabilité est collective.

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Mystery
Film noir, drame chinois de Lou Ye
sortie le 20 mars 2013
durée : 1h35