Retour sur… le Primavera Sound 2016

Hola Barcelona ! Deuxième expédition sonore (et un peu touristique) pour votre dévoué au pays de Gaudì, des pans con tomate et de la sangri…. de la pinte Heineken, pardon. Bilan d’un festival moins intense émotionnellement que l’année passée, mais qui reste probablement l’un des plus exigeants et excitants du continent européen.

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JOUR 1 : Jeudi

Chaque festival a son même lot de petits déboires pour débuter un marathon musical de quelques jours, même en ayant programmé à l’avance son emploi du temps des nuitées de live : la file d’attente du premier jour pour distribuer les bracelets-pass, et les groupes que tu connais pas, que tu découvres un peu trop tard et que tu regrettes de pas avoir sélectionnés dans ta liste déjà remplie. Double-combo dès le départ : une foule aux guichets de remise des entrées qui nous oblige à rater un groupe qu’on ne découvrira que le lendemain sur la foi d’un bouche-à-oreille et de quelques clips Youtube à la sauvette : il fallait donc voir Car Seat Headrest, paraît-il, les prochains Strokes. Soit. On va donc vite se rabattre sur la nouveauté de cette année : un îlot près du sable où des DJ’s animent ce coin ensoleillé un peu en retrait des autres scènes, juste avant les folles nuitées.

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Le set de Har Mar Superstar, DJ pour une heure, avant son concert du soir qu’on ratera aussi (sic), se termine avec deux bombinettes du Prince (un hommage de l’amateur de funk à son roi décédé) histoire de démarrer ce festival en dansant au soleil. On commence l’autre marathon, celui de l’épanchement de soif, en se dirigeant vers Destroyer. D’honnête facture, ce concert court mais agréable démontre l’influence énorme de Lou Reed sur le chanteur qui convoque la voix écorchée de l’icône défunte sur beaucoup de ses titres agrémentés de saxophone ou autres cuivres de temps en temps. Sympathique, mais à mille lieux de l’évocation du nom du groupe. Les choses sérieuses commencent (ou auraient dû commencer) avec Air.

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Le groupe mythique d’une French touch révolue est bien là, devant un parterre de fans déjà conquis, et démarre comme on aurait pu l’imaginer sans le vouloir vraiment : de manière inoffensive, électro atmosphérique gentillette, bande-son idéale pour un mojito au bord de l’eau. Les versaillais talentueux ne font jamais vraiment décoller leur oeuvre qu’on a tant aimée, allant même jusqu’à rendre instrumental un de leurs meilleurs titres (Playground Love) – hashtag déception… – mais le dernier quart d’heure leur rend justice, quand Sexy Boy, Kelly Watch The Stars et La Femme d’Argent sont passés à la moulinette discoïde parfaite, avec un final assez majestueux, rappelant que Air est (ou fut) un grand groupe. Pour chez soi en tout cas. On reste sur la même scène pour être mieux placés pour le prochain concert, et on écoute de loin les turpitudes musicales des Explosions In The Sky. Le son est dantesque, mais le genre post-rock atmosphérique est un peu casse-gueule dans ce type de festival, qui plus est dans une des plus grosses scènes (et c’est pas non plus la tasse de thé de votre dévoué, faut bien l’admettre…).

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Ce sont ensuite les Tame Impala qui débarquent, attendus comme les dernières rock stars (qu’ils sont en passe de devenir…). La foule est en surchauffe, alors que démarre d’entrée Let It Happen, leur dernier et efficace tube, terminant par une pluie de confettis multicolores. Le show total, entre Coldplay et Indochine… Le public est emballé, moi un peu moins, préférant le groupe pop-psyché 70’s à ses débuts – et voici quelques années sur scène. « Ils ont trop pris la confiance » aurait dit un collégien qui aurait bien raison. Mais force est de constater que le groupe assure (Elephant en force et efficace) et même sait rebondir après leur Eventually coupé en plein milieu par un problème technique, chanté par le public pendant 15 minutes, et repris au moment même de la coupure par le groupe espiègle. La sauce australienne prend très bien, ne faisons pas les grincheux, jusqu’au quasi-final Feels Like We Only Go Backwards qui s’envole bien haut. Du rock psyché taillé pour les stades, mais espérons que le groupe n’éclate pas en plein vol vers sa gloire.

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Clou de la journée pour tout le monde, la reformation des rois du dancefloor rock des 90’s et 00’s : les LCD Soundsystem. On craignait ce retour sur scène de James Murphy et sa bande après cette petite retraite anticipée, style concert alimentaire sans enjeu ni envie, mais ce fut au contraire un concert-défouloir où le chanteur exultait pour notre plus grande joie ses titres joués avec conviction, force, gros son, jusqu’à épuisement des sens, des membres et des corps. Un grand grand moment, qui montait en puissance à chaque morceau… tellement que le corps n’a plus suivi, crevé qu’il était de s’être levé trop tôt la journée, parcouru ces kilomètres jusqu’en terre catalane, enchaînant concerts sans pause sous la chaleur. 1h30 du mat’, le point Goldwin de la résistance physique face aux beats déchaînés et électriques des New-Yorkais en grande forme. Ce fut un stop regretté, mais nécessaire, après une première journée mi figue-mi raisin mais terminée de manière tonitruante et exsangue.

JOUR 2 : Vendredi

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Recharge des batteries pour cette deuxième journée qui démarre par la partie diurne et gratuite du festival en centre-ville, plus précisément au quartier populaire et arty El Raval – déception de ne pas poser ses fesses sur les herbes du parc de la Ciutadella comme l’an passé… – où les après-midi voient les concerts s’enchaîner dans 3 lieux proches du MACBA, le musée d’art contemporain de Barcelone. On commence tout doucement avec l’étonnante Julien Baker, frêle jeune femme à la voix puissante, qui chavire de ses mélodies acoustiques habitées une assistance qui semblait déjà bien la connaître. Une demie-heure superbe, où la gamine se montre à la fois malaisée, timide mais avec un aplomb à clamer ses chansons de brillante manière. A suivre de très près.

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Cass McCombs
nous charmera beaucoup moins. Son set part dans tous les sens, pourtant démarré de jolie manière. Mais quand le groupe s’emballe et convoque country, pop, jazz fusion, semi-reggae et blues dans un dernier morceau qui n’en finit pas de se perdre, on le perd aussi. De même, pour d’autres raisons, le groupe suivant, Andy Shauf ne convainc qu’à moitié. Malgré un dernier album aux petits oignons, le live de ces jeunes Canadiens très fragiles ne décolle jamais vraiment, et si les compositions semblent réussies, elles ont du mal à occuper l’espace scénique et l’acoustique de la salle qui pourtant ne bronche pas… C’est donc dans une torpeur musicale gentille et qui manque de panache que l’on quitte le quartier pour l’immensité du Parc du Forum et sa soirée dantesque.

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La foule est déjà compacte quand nous arrivons sur le festival, qui affichait complet pour ce vendredi le lendemain de l’annonce de Radiohead en tête d’affiche. En attendant de les découvrir – avec recul car leur dernière prestation lisboète il y a quelques années avait été très décevante, on fonce écouter, pintes à la main, la bombe punk-rock Savages. Les nanas rageuses s’avèrent aussi efficaces sur scène que sur album, les brûlots rock s’enchaînent de manière furibarde, la chanteuse Jehnny Beth possède un charisme impressionnant, on se rappellera longtemps de sa tête de folle furieuse haranguant le public et l’obligeant à la porter sur de nombreux slams… Le public est conquis, ça joue dur, fort, rock, ça réveille tout le monde, et ça fait du bien.

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Du coup, le concert suivant plombe grave l’ambiance corbeau-dark. C’est le pauvre Zach Condon et sa troupe padaboum-tsoin-tsoin de Beirut qui peine à soulever le public. C’est tout le temps pareil avec ce groupe : albums magiques, concerts pénibles. De plus, sur les premiers titres du set, même les vieux tubes sont réorchestrés version « groupe 80’s avec orgue Bontempi » et qui nous font regretter les versions tristes et épurées de ces mélodies qui font partie de nos trésors auditifs calés assez près du coeur. On arrête le massacre assez rapidement pour aller grignoter un petit peu au son d’un groupe coréen qui pratique le second degré et les fringues pas possibles aussi bien que les synthés. Pendant que mes amis vont écouter brièvement les revenants Dinosaur Jr (« ringards à mort, c’était pénible » dixit ces derniers), j’essaie de chercher une place décente pour Radiohead. Mais j’ai déjà de la peine pour les autres scènes du festival : 95% des festivaliers sont devant la plus grosse scène. Ca se presse gentiment, ça se bouscule un peu, mais je trouve une place correcte.

Dès l’entrée du groupe de Thom Yorke, le Primevera Sound devient une église : les fidèles se taisent, la messe commence. Une ferveur et un silence impressionnants accueillent les premiers morceaux très calmes du dernier album, un peu chiants – à part Daydreaming. 20 mn plus tard, applaudissements polis, ennui léger qui pointe, son faiblard, ça ne décolle pas. Puis vient The national Anthem… et là, revirement de situation : le son s’étoffe, la foule paroissienne s’anime, et là, le groupe de rock le plus populaire de la planète va déployer une setlist ahurrissante : de nombreux tubes, des morceaux exigeants exécutés de magnifique manière, des morceaux qu’on ne pensait jamais plus entendre (Pyramid song, Lotus flower, There there, 2+2=5, Street spirit) avec des summums où tout le monde chante avec ferveur ces morceaux qui ont compté dans chacun de nos vies probablement : Paranoid Android, un Idioteque d’anthologie, Karma police… et surtout le fameux Creep qu’on n’attendait plus, que le groupe ne voulait plus jouer, ce morceau maudit, adoré, que la foule reprend dans une hystérie grandiose. Une claque donc, aussi belle qu’inespérée de la part d’un groupe que je n’avais plus envie d’aimer. Et qui revient en force dans la catégorie de « ceux qui compteront toujours ». La messe est dite, et tout le monde à Primavera a prié de concert.

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Dur d’enchaîner après ça ? Pas vraiment, et c’est la force de ce festival. On savoure en effet dès les premières notes (amples et classes) le duo british à mort de Miles Kane et Alex Turner échappé des Arctic Monkeys. The Last Shadow Puppets offrent un concert musicalement brillant, servi par des chansons géniales et des accompagnements de cordes rendant le tout presque symphonique, ou du moins « cinématographique ». Bref, la grande classe. Par contre, côté cinoche qui cabotine et pas vraiment classe, le loulou Turner en fait des caisses, sûrement alcoolisé ou carrément perché. Son numéro de crooner dandy too much fatigue un peu sur la longueur, laissant même planer des doutes sur les relations entre les deux musiciens – de simples amis, vraiment…? – mais l’euphorie sonore portée par une setlist impeccable et un super son feront oublier les pitreries scéniques du singe arctique bon à interner fissa…

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Déjà deux heures du mat’ – et l’impression que ce n’est que le début de la soirée pour beaucoup de festivaliers, on voit bien qu’on n’est pas dans un festival parisien où tout le monde aurait déjà regagné les bouches de métro à minuit avant fermeture… – mais la fatigue se ressent un peu. Je pars néanmoins retrouver mes chéris The Avalanches à qui je voue un petit culte pour leur unique album Since I left you depuis des années. Que va donner ce concert inespéré lui aussi ? Ben pas grand chose, si ce n’est une playlist très réussie – mélange de musiques africaines, de soul, d’électro-world et de new-wave, la musique black et corporelle comme théma principal de leur set – mais la déception est là, j’aurais aimé entendre leur propre son, leurs morceaux, et pas des remixes de Nina Simone, Macéo Parker ou Bowie, aussi sympatoches soient-ils. Dommage…

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Fin de la seconde journée, éprouvante et riche.

JOUR 3 : samedi

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Un peu sur les rotules en cette dernière partie de marathon musical sous le soleil, les palmiers, les « menus del dia » un peu dégueus servis dans les rues barcelonaises… Mais on essaie d’arriver un peu plus tôt que d’habitude après un passage apéritif et culinaire dans El Born, le quartier en devenir de la ville. Une fois passée rapidement l’entrée et la sécurité (au passage, parfaite organisation du festival compte tenu de la foule qui s’y masse). On va jeter une oreille au hasard sur US Girls. La vaste blague : une meuf vaguement féministe éructe des sons avec sa compagne qui semble mélanger avec synthés et tables de mixage ce qui ressemblerait à de l’électro-dark un peu hip-hop. Ca saoule dès les premières minutes d’installation, on bifurque vers le leader des Beach Boys qui fait son retour sur scène, Brian Wilson. On n’attendait rien, on a pas grand-chose. Censé rejouer le plus fameux album des Garçons Surfeurs, ce Pet Sounds qui a bercé toute mon enfance/adolescence, le très vieux monsieur, assis sur son piano, essaie tant bien que mal de retrouver la magie des harmonies (vocales comme instrumentales) de son chef-d’oeuvre. Et c’est très compliqué : le groupe n’est plus, l’espace scénique trop vaste, le soleil encore trop chaud. On y croit pas vraiment, on chante juste avec lui par nostalgie. Et passé God only knows exécuté de manière correcte, on quitte ce concert qui, paraît-il, se conclura dans la joie et la bonne humeur avec quelques standards du groupe repris par la foule qui n’attendait que ça.

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Mais on est déjà sur une autre scène pour un anglais beaucoup plus excitant : Richard Hawley. C’est déjà la grande classe sur ses albums, c’est aussi la grande classe sur scène : le dandy de Sheffield à la voix de crooner un peu old school propose un vrai best-of de ses albums, avec ses diverses influences : d’un rock anglais inspiré et parfait, à ses balades sublimes qui côtoient parfois la facilité… mais qu’importe : on aime ce mec, sa posture, ses chansons élégantes, son groupe parfait, ses envolées lyriques et sa classe, donc. Excellent moment, les anglais en général sont quand même les rois de la scène.

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Quelques notes au passage de Deerhunter qui semblent en forme après des passages à vide et un son qui dépote pas mal… mais on essaie de se caler assez près de la scène pour le gros concert de la soirée, la Polly Jean qui avait disparu des tournées depuis quelques temps et que je me faisais une joie de retrouver, avec l’excellent souvenir d’un concert fin des années 90 où elle était une grande prêtresse rock. Las : elle est juste restée une prêtresse, tendance chamanique et haut perchée… Le concert débute pourtant de manière impressionnante, solennelle, avec le groupe qui arrive telle une fanfare macabre sur un des nouveaux titres, froid et beau, de son dernier album. Mais la majorité du concert ne sera consacré qu’à ce dernier album, loin d’être fameux, et sur lequel PJ Harvey forcera le trait, avec une théâtralité fatigante, une voix trop haute pour convaincre, et une mise en scène un peu trop précieuse. Tout a des allures de grande cérémonie satanique à la limite du grotesque parfois, et qui énerve un peu – avis très personnel. Puis, sur sa seconde moitié, on retrouve (un peu) la grande dame rock que l’on adore depuis longtemps : le son dark et rock s’amplifie enfin, 50 ft queenie vient réveiller un public trop léthargique, et les tubes glauques de la diva Down By The Water et To Bring You My Love sont impressionnants, redonnant un peu de magnificence à ce concert qui ne l’a pas été assez à mon goût. Frustration noire contenue, comme PJ Harvey qui commence à nous semer…

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On manque un peu d’énergie rock, et c’est pas le concert suivant de Sigur Ros qui va nous donner notre dose exigée. Le groupe islandais est déjà très haut, très loin, trop loin quand on s’approche pour les écouter : le son est dantesque, les visuels aussi, la voix de fausset du chanteur surpasse tout… Je ne suis pas vraiment dans le trip « acides et geysers » ce soir donc on passe notre tour pour bouffer un peu : des hot-dogs pourris, noodles correctes et toutes sortes de trucs pseudo-veggies et ultra-chers qui sont légions en ces lieux. On veut du rock, avec ou sans ventre plein.

On part donc sur les petites scènes pour terminer le festival. D’abord les Parquet Courts, groupe furibard, entre Pavement, Sonic Youth ou d’autres new-yorkais type Modern lovers, mais dont les compos géniales sont ici livrées version slamesque, toutes guitares et cris dehors, comme des petits jeunes branleurs qu’ils semblent être et qui détonnent un peu de leur discographie. C’est méchamment rock oui, un peu trop poussif pour adhérer complètement mais ça a au moins le mérite de faire suer et pogoter une foule un peu trop proprette jusque-là.

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La fatigue se fait sentir enfin vers 2h du mat’, on se pose quand même devant Ty Segall et ses Muggers, le son est un peu moins noisy que d’habitude, la saturation et les cris s’apaisent un peu au cours du set du jeune rageux, déployant même son talent à rendre ses morceaux tels des bombinettes rock. Et c’est là que l’inattendu débarque : Ty Segall invite un fan au premier rang du public à monter sur scène à sa place, le chanteur le remplace dans la fosse, et le chanceux « monsieur tout le monde », sans se démonter, de s’éclater avec le groupe en chantant, hurlant, tapant sur les cymbales pour accompagner le batteur, sautant partout pendant que Ty Segall qu’on suit sur écran, mime le fan transi en criant et hurlant dans la foule des fans. Grand moment, barré et furibard, dont un au moins se souviendra toute sa vie. Deux bêtes de scène.

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On aurait aimé attendre le DJ Coco qui termine comme toujours ce festival, le passage obligé pour clôturer Primavera Sound de la plus belle des manières, mais le corps ne veut plus, trop crevé d’avoir tenu sur ses réserves pendant 3 jours déjà inoubliables. Mais on n’a rien raté : d’après un pote, ce DJ pourtant réputé pour ses setlists rock et électro « s’est cru au Macumba Club de Palavas-les-Flots, c’était à chier ». On veut bien le croire, comme cela, on regrette moins.

Et à l’année prochaine, sûrement, obligatoirement.

Jean-François Lahorgue