Chloe

chloe.jpgUne chose est sûre : Atom Egoyan n’est pas David Lynch. On sent pourtant l’éternel soutien de cette inspiration, d’autant plus ici qu’il s’attelle d’un point de vue analytique au plaisir féminin, ce qui ne manquera pas à  beaucoup de rappeler « Mulholland Drive » dont Egoyan reprend une séquence marquante et quelques plans.

Mais « Chloe » s’avère plus être un empreint qu’un plagiat, car Egoyan garde tout de même en lui une direction qui lui appartient, tout en modifiant le film d’Anne Fontaine dont il est inspiré, »Nathalie.. ». Si sa nouvelle oeuvre est si plaisante, c’est aussi parce qu’il évacue cette fois toute la fumisterie intellectuelle que l’on pouvait lui reprocher habituellement dans son style si singulier ; cette ballade hollywoodienne apporte ainsi une importante intimité avec le public, plus facilement conquis qu’avec ses œuvres expérimentales dont on ne saisit souvent que la moitié des choses. A priori, le film se pose plus comme un hommage direct au « Mulholland Drive » de Lynch qu’à  un véritable remake de »Nathalie.. » (dont il est à  la limite une variation libre), car le parti pris de la relation que le cinéaste arménien fait dans le scénario étire l’ambiguité jusqu’à  soulever le vernis pour mettre en route le drame psychologique et physique qui s’installe (comme dans sa citation lynchienne). La réflexion sur la subjectivité du désir est aussi un thème finement abordé dans le film, jusqu’à  la perversion familiale qui fait éclater la cellule en morceaux (rapport quasi-oedipien dans un final glaçant).

Classique, le film d’Egoyan ne l’est qu’en apparence ; sous son image propre et volontairement séduisante dans sa froideur, sous ses dérèglements cliniques, se cache un film pervers tapi dans l’ombre des maîtres du cinéma multiple (Lynch en première référence, Hitchcock en seconde), dont la mise en abîme purement visuelle contient l’essence même du film et les trappes qu’il masque sournoisement. Bien plus qu’à son air pâle, »Chloe » est une brillante réflexion érotique et charnelle sur le corps des femmes et sur la possession du désir jusqu’à  la paranoïa. Porté par un fabuleux duo d’actrices (Amanda Seyfried se révèle magistrale et Julianne Moore comme d’habitude impeccable), l’œuvre à  priori impersonnelle du cinéaste se retrouve être formellement la plus aboutie tant elle contient en son souffle étrange l’érotisme aliénant des corps prisonniers des espaces et des symboles. La virtuosité du film est bien là , dans sa façon de mêler à  la chaleur de la chair une surprenante glaciation esthétique en rapport aux matériaux et aux lumières qui entourent les personnages. Dans la manière dont s’opposent le concret et le trompe-l’œil, la texture de la chair avec celle, plus virtuelle, de l’architecture high-tech, créant ainsi un véritable empire des sens. Jusqu’à  ce que se réchauffent et brûlent les corps enlacés dans le velours intact du désir. Contraste continu entre les différentes sources de chaleur et donc le dialogue entre le plaisir et la peur (dont le sexe ne peut être qu’une double prolongation), « Chloe » nous perd dans sa douce obscénité, semblant voyager déjà  depuis quelques mythologies lointaines.

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Jean-Baptiste Doulcet

Chloe
Long-métrage américain. Réalisé par Atom Egoyan
Avec Julianne Moore, Liam Neeson, Amanda Seyfried, plus
Genre Drame
Durée 1h39 min

Date de sortie cinéma 10 mars 2010