[Interview] Michael J. Sheehy (1ère partie) : « j’ai commencé à jouer en solo dans le cadre du circuit des toilettes »

Malgré une discographie remarquable, en groupe comme en solo, et plusieurs concerts donnés en France au cours des dernières décennies, Michael J. Sheehy reste un artiste relativement confidentiel : voilà encore une injustice à réparer ! La sortie de son nouvel album, Distance is the Soul of Beauty, le mois dernier était l’occasion idéale de faire avec lui une revue complète de sa déjà longue carrière. Voici la première partie de l’interview qu’il a donné à Benzine Mag…

Michael J. Sheehy
MIRACULOUS MULE – PARIS – La Boule Noire – 2018-01-26

Benzine : Sauf erreur, ton dernier album solo datait déjà de 10 ans… Qu’est-ce qui s’est passé entre-temps ?

Michael J Sheehy : Je n’ai pas vraiment fait de musique pendant quelques années. J’ai arrêté de boire il y a 9 ans. J’ai décidé d’arrêter alors que je travaillais dans un pub, dans le quartier de Marylebone à Londres ! Mais en fait, ça m’a aidé d’être de l’autre côté du bar, ça m’a fait comprendre quelle quantité d’alcool les gens consomment, quelle que soit leur classe sociale. J’ai réalisé que les gens boivent à cause de la solitude, parce qu’ils ne veulent pas rentrer chez eux pour être seuls. Je me concentrais simplement sur le fait de rester sobre… J’ai aussi fondé un groupe, Miraculous Mule, avec mon frère et un vieil ami à nous, pour réinterpréter d’anciens gospels, des blues, des chansons de prison, etc. pour les faire écouter au public d’aujourd’hui. Je n’avais pas envie d’écrire, c’était comme si le puits était sec. Cela nous a bien occupés, nous avons fait des tournées, nous avons sorti quelques albums.

Il y a deux ans, j’ai recommencé à écrire, à composer, mais j’avais trop de chansons, trop de doutes… Et puis le confinement s’est produit, et ça a changé ma perspective : tous a basculé… Quand on passe trop de temps sur un disque, on commence à penser qu’on a trop investi dedans. J’ai donc décidé de mettre cet album au placard, pas de l’oublier pour toujours, mais de le mettre en veilleuse, et j’ai commencé à travailler sur d’autres chansons.

« La réponse du public à mes chansons sur Bandcamp a été particulièrement bonne… »

De plus, mes disques ont été un tel désastre commercial que je ne voulais plus emprunter cette voie, et mettre un label dans ce type de situation financière. J’ai donc décidé de travailler avec Bandcamp, qui est une plateforme que je n’avais pas vraiment explorée auparavant. Ils étaient la seule plateforme essayant vraiment d’aider les musiciens à gagner de l’argent. Et puis la réponse du public à mes chansons sur Bandcamp a été particulièrement bonne, alors j’ai décidé de sortir aussi le disque physique.

Aujourd’hui, je me sens bien d’avoir recommencé. J’ai une estime beaucoup plus grande pour beaucoup d’aspects de la musique, pour le fonctionnement des petits labels, et aussi pour les relations publiques… J’ai trouvé assez étonnant combien beaucoup de gens dans la musique sont généreux avec leur temps.

Mais le plus important, c’est que je me suis marié et je suis devenu papa : il y a 3 ans, nous avons eu une fille, et c’est l’une des raisons pour lesquelles ce confinement ne m’a pas touché, je suis papa à la maison depuis 3 ans de toute façon. Cela a été une période incroyable ; cela a changé ma vision de beaucoup de choses. Cela a été une expérience transformatrice. Je ne suis plus un jeune homme, et pendant toutes ces années j’avais en quelque sorte évité toute « vie domestique », je fuyais ce genre de choses !

Benzine : En dehors de la production de ton magnifique dernier album, Distance is the Soul of Beauty, est-ce que la pandémie et le confinement a changé quelque chose dans ta manière de faire de la musique ?

Michael J Sheehy : D’un point de vue personnel, j’étais en congé sabbatique, donc le confinement n’a pas eu autant d’impact sur moi que sur certains de mes amis musiciens, non…

« Pour Noël, je veux une guitare… »

Benzine : On est désolés, mais on voulait, sans te vexer, te poser une question d’ignares : en fait, tu es irlandais, comme on peut lire souvent à ton propos sur le Net, ou bien anglais ? 

Michael J Sheehy : Je me suis toujours considéré avant tout comme un londonien, Londres est un endroit cosmopolite et international, éloigné du reste du Royaume-Uni. La plupart des enfants avec qui je suis allé à l’école étaient des immigrés de la deuxième génération, d’Irlande, d’Inde, de Jamaïque… Je n’ai jamais ressenti de fierté à propos de ma « nationalité anglaise », et puis quand vous avez des racines irlandaises, votre famille ne vous laisse jamais l’oublier ! En fait, je méprisais le nationalisme anglais, je méprisais tout nationalisme en fait, et puis j’ai réalisé qu’il existe des types « bénins » de nationalisme qui ne sont pas dangereux. Il est facile pour les Écossais, pour les Irlandais d’être fiers de leur nationalité, tandis que pour les Anglais, ils doivent être plus prudents à cause de l’Empire, de l’époque colonialiste. Et c’est sans doute cette pression sur l’expression de la fierté nationale anglaise qui a créé le problème qui nous a conduits au Brexit aujourd’hui, qui est une chose insensée… Oui, j’aime toujours Londres, je vis près de King’s Cross.

Benzine : Est-ce que tu peux revenir un peu sur ta trajectoire musicale ? Comment est-ce que tout ça a commencé ?

Michael J Sheehy : Le principal catalyseur a été mon père, qui était un fanatique d’Elvis Presley. Ce qui m’a aussi poussé à devenir musicien, c’est de voir tous ces films : j’avais 13 ou 14 ans quand j’ai vu un film sur Carl Perkins, avec George Harrison, Eric Clapton, et quelques autres musiciens, qui jammaient et discutaient. Alors que personne ne jouait de la musique dans ma famille, j’ai réalisé que tous ces musiciens incroyables étaient tous autodidactes ! J’ai dit : « Pour Noël, je veux une guitare ». C’était une guitare bon marché, un tas de boue, c’était la seule chose que nous pouvions nous permettre. Je ne réussissais pas à l’accorder ! J’ai mis la main sur un livre (« Rock School ») et j’ai enfin appris quelques trucs. Je n’ai rien fait d’autre pendant un an, mes études en ont beaucoup souffert. Je me suis lancé dans des tentatives maladroites d’écrire des chansons, et puis j’ai eu un certain nombre de révélations musicales : quand tu as entre 15 et 18 ans, l’effet sur toi est quelque chose qui n’arrive plus après. Je suis devenu obsessionnel…

« J’étais obsédé par cabaret berlinois, j’écoutais beaucoup de chansons françaises, et bien sûr les Stooges et Birthday Party »

Benzine : Et c’est comme ça qu’on en arrive à Dream City Film Club ?

Michael J Sheehy : Vers 1993, j’ai commencé à jouer en solo, dans le cadre du « circuit des toilettes » ! (rires). Les gars qui promouvaient mes gigs m’ont demandé si ça m’intéresserait de jouer avec eux. Nous avons formé le groupe et nous avons organisé un premier concert, nous n’avions pas de nom…

 

Michael J. Sheehy
MIRACULOUS MULE – Les Nuits de l’Alligator – PARIS – La Maroquinerie – 2014-02-12

Je regardais les actualités de Londres, il y avait eu une attaque dans un club de cinéma privé miteux à Smithfield, 12 personnes avaient péri, j’ai entendu le nom du cinéma: « Dream City Film Club ». Ça collait assez bien avec notre groupe, ça convenait en quelque sorte au contenu, aux paroles. J’ai décrit le groupe à l’époque comme étant « Marlene Dietrich invitant The Birthday Party à un gang bang ». J’étais obsédé par cabaret berlinois, j’écoutais beaucoup de chansons françaises, et bien sûr les Stooges et Birthday Party. C’était assez gothique, Beggars Banquet nous a signés comme « les nouveau Bauhaus », mais je n’avais jamais écouté Bauhaus (rires). J’ai fini par partir en tournée avec Peter Murphy, en solo, aux USA… C’était une expérience incroyable, je buvais beaucoup, j’ai eu beaucoup de chance de ne pas être viré de la tournée. Pete Murphy est une personne très, très gentille, un vrai gentleman. J’ai aussi rencontré ma femme lors de cette tournée… Une heureuse époque…

Benzine : Commencent donc tes années solo…

Michael J Sheehy : Oui…

(A suivre)

Propos recueillis par Eric Debarnot
Photos live de Robert Gil

Distance is the Soul of Beauty est sorti chez Lightning Archive le 2 octobre 2020

“Distance Is The Soul Of Beauty” : Michael J Sheehy apaisé mais pas guéri !