C’était le concert que nous attendions le plus en ce début d’année, et Porridge Radio ne nous ont pas déçus : Dana Margolin nous a ravagé le cœur et offert une heure de catharsis magnifique. Et nous a rappelé combien la musique peut être essentielle à l’équilibre émotionnel.
Every Bad, l’album de Porridge Radio s’était imposé comme l’un des plus marquants de l’année 2020. On attendait donc avec impatience le fameux « retour à la normale » des concerts pour pouvoir juger sur pièces, en live, de ce groupe si prometteur. Leur ouverture du concert de IDLES à l’Elysée Montmartre ne nous avait pas déçus, mais ce premier VRAI concert à la Boule Noire était véritablement l’épreuve du feu pour Dana Margolin et son groupe.
20h : Flora Hibberd est une jeune femme qui se présente comme de nationalité anglaise (« comme Porridge Radio… ») et vivant à Paris. Et elle nous offre 35 minutes intensément poétiques, avec de très beaux textes mis en musique de manière plutôt minimale, un peu à la manière d’une Aldous Harding. La voix de Flora, grave et riche fait beaucoup dans la force des images transmises, par exemple dans un Crater Lake assez saisissant. On pourra regretter une certaine uniformité des atmosphères, qui finit par user un peu notre intérêt. Jusqu’à un final plus vigoureux, avec Headlights, qui démontre par l’absurde le besoin de secouer un peu cette musique pour qu’elle soit encore plus belle.
21h : si nos chouchous de Porridge Radio nous avaient fait bonne impression en première partie de IDLES, nous pressentions que, en tête d’affiche, dans une salle plus intime comme celle de la Boule Noire, le groupe serait encore plus impressionnant, à la hauteur de son magnifique Every Bad. Et nous avions raison ! Une trop courte heure plus tard, nous ressortiront éblouis et bouleversés de la plus forte décharge émotionnelle ressentie depuis longtemps.
En fait, dès l’ouverture de Born Confused avec son final ascendant (« Thank you for leaving me, Thank you for making me happy ! », répété comme un mantra enragé), c’était gagné ! Et la suite, succession quasi ininterrompue de moments forts extraits de Every Bad ou annonciateurs du prochain album, Waterslide, Diving Board, Ladder to the Sky, dont la sortie est prévue pour mai, n’a presque jamais laisser retomber la tension.
Quand on voit le sourire plein de douceur de Dana Margolin, on a du mal à imaginer les torrents de douleur et de frustration qu’elle est capable de déverser dans ses chansons : avec ses textes très près de l’os, voire brutaux, sur la sauvagerie des relations amoureuses, et sa manière de pousser sa voix d’abord dans le défi, puis dans la colère, puis dans la rage incandescente, Dana met en scène l’horreur de l’amour qui déraille et qui s’enfuit, les désastres du cœur. Cela peut clairement ne pas plaire à tout le monde, en particulier cette répétition de phrases – souvent terribles – pendant de longues minutes paraît un peu « too much » à ceux qui préfèrent la douleur discrète et les soupirs de tristesse. Chez Porridge Radio, il s’agit de catharsis, de cris de désespoir et d’affolement de l’âme. Chez Porridge Radio, la vie est une salope et on ne se laisse pas faire, même si l’auto-détestation peut aussi s’inviter au programme…
Oh, tous les morceaux ne sont pas extrêmes, et les claviers de Georgie délivrent leur lot bienvenu de hooks qui sonnent presque New Wave, et les voix de Maddie, la souriante bassiste remise de ses problèmes de cheville, et de Georgie viennent adoucir régulièrement l’amertume des chansons. Et, à l’arrière, devant le grand fond électronique sur lequel brille et palpite la pochette de l’album, Sam propulse la machine Porridge Radio vers l’avant. Quelques accélérations, trop brèves peut-être, montrent parfois la voix d’une autre libération, plus physique celle-ci, des tensions par la danse. Le set se clôt, trop vite, par la tuerie qu’est Lilac… Comment s’arrêter de hurler à pleins poumons avec Dana cet autre mantra rempli d’une indicible panique : « I don’t want to get bitter / I want us to get better / I want us to be kinder / To ourselves and to each other » ? Les larmes aux yeux, on voudrait que ça ne s’arrête jamais, pour ne pas avoir à retourner affronter les désastres de nos vies…
En rappel, Waterslide, Diving Board, Ladder to the Sky (la chanson…) propose une version plus apaisée, en quasi solo, de Dana Et, enfin, en conclusion dévastatrice, le terrible Sweet (« And she will love me when she meets me / She will love me when she meets me / I am charming, I am sweet », jusqu’aux cris, jusqu’aux larmes amères), nous explose définitivement le cœur. Boooooooom !
Porridge Radio ne sont peut-être pas encore un GRAND groupe, juste une énorme expérience émotionnelle. Mais Porridge Radio sont un JEUNE groupe, et l’avenir leur appartient.
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot
Porridge Radio – Every Bad : impressionnant, habité… majeur !